Boni de Castellane (1867, 1932) fut le dernier des grands
seigneurs français. C’est celui qui a le plus fait pour laisser de la haute
aristocratie un souvenir fascinant.
Je le trouve plus intéressant que Proust. Non seulement, il
écrit fort bien, et court !, mais, alors que Proust a décrit une société,
lui l’a créée. Il a fait de sa vie une œuvre d’art.
Car, je le découvre en le lisant, la caractéristique
première du grand seigneur était d’être un esthète. Il créait des châteaux et
des fêtes. Sa vie, jusqu’à ses plus infimes détails, était art. Et pour cela il
faisait corps avec tout un peuple d’artistes, qu’ils soient veneurs, cuisiniers
ou fleuristes. Il aurait pu définir le barbare comme le faisaient les Chinois :
« celui qui ne connaît pas les rites ».
Boni de Castellane a voulu défendre la « Tradition » contre l’esprit de la
« Révolution ». La Tradition, c’était l’Ancien régime comme création
esthétique. La Révolution, c’était le chaos. « La Révolution avait fait sentir ses ravages dans les monuments aussi
bien que dans les idées. Le mauvais goût était devenu l’expression du désordre
mental après l’Ancien Régime. »
Champion de la Tradition, il va pourtant innover. Il épouse
une héritière américaine. Il lance une mode. Il utilise la fortune de celle-ci
pour acheter des châteaux et des objets d’art, et un yacht aussi grand qu’un
bateau de guerre, pour organiser des fêtes d’un faste qui n’a d’égal que celui
de Louis XIV. Mais sa femme, dont il choisit les vêtements, n’est pas sensible à l’honneur qu’il
y a à participer à ce rêve, en dépit de sa basse extraction. Car elle est fière
d’être ce qu’elle est. Elle divorce. Curieusement pour épouser le duc de
Talleyrand, le cousin de Boni. Ce qui le laisse surpris, ruiné et désemparé.
Mais il se reprend. Le marché de l’art apparaît. Les nouveaux riches vident les
châteaux de leur mobilier. Boni de Castellane va tirer parti de son sens du
beau pour gagner beaucoup d’argent comme intermédiaire.
Il sera aussi un parlementaire nationaliste. Il semble avoir
vu plus juste que ses contemporains. Notamment, il aurait aimé une Autriche
forte, et neutre, pour faire contrepoids à l’Allemagne. Mais, là aussi, il fut
un homme politique inefficace. Probablement en partie parce qu’il a eu plus d’estime
pour ses opposants (il dit beaucoup de bien de Jaurès et de Blum) que pour son camp.
S’il est anti-dreyfusard, autre exemple, c’est parce que l’affaire fait du tort
à l’armée.
Alors, « tout est perdu, for l’honneur »,
conclusion de sa vie ?, me suis-je demandé. Pas sûr. Car il a fait le jeu
des forces qu’il dénonçait. Peut-être avait-il mal interprété la vie de son
arrière-grand oncle, Talleyrand, qu’il voyait à tort comme un saint : il
faut savoir plier ses principes à la réalité, mais, ce, pour servir un principe
ultime ?