Pour tout politicien aguerri, il eut été franchement dommage, pour ne pas dire déraisonnable, de ne pas récupérer lourdement un bel attentat terroriste comme celui de janvier 2015. Et si on peut largement agonir l’actuelle équipe gouvernementale dès qu’elle tente une action concrète, on ne peut pas lui retirer que, sur le plan des petites bassesses politico-politiciennes, elle sait franchement y faire. Récupération il y eut donc, jusque dans des ministères qu’on aurait pourtant crus à l’abri de ce genre de tortillements.
Prenez par exemple l’Éducation Nationale. Passé l’instant de stupeur et la constatation, amère, que bien des élèves refusaient plus ou moins vocalement de participer aux minutes officielles de componction, le ministère n’a pas perdu le nord et s’est décidé à rattacher dans une acrobatie bizarre (mais malheureusement habituelle) l’acte abominable perpétré en Janvier avec le besoin impérieux d’enseigner la morale, la citoyenneté et le vivre-ensemble républicain. Selon une logique toute particulière et pas désavouée par sa ministre, l’Éducation Nationale a estimé que ces atrocités pouvaient et devaient être efficacement combattues à l’aide d’une bonne louchée de lavage de cerveau propagande cours de civisme, seule réponse vraiment apte à former un citoyen survitaminé, gavé de cinq fruits et de cinq légumes par jour, pas trop gras, pas trop sucré, pas trop salé et surtout pas trop extrémiste au point d’aller buter du journaliste ou, pire encore, du politicien.
C’était décidé : il fallait donc de toute urgence faire intervenir des citoyens lambda, de préférence des contribuables modèles, des pères ou des mères de familles exemplaires, au discours approuvé, afin de bien expliquer aux élèves français ce qu’il faut faire pour respecter le vivrensemble, la laïcité, la tolérance et le consentement à l’impôt sans lesquels il n’est point ni salut, ni société vivable.
Pour cela, deux solutions étaient possibles.
La première consiste à laisser les chefs d’établissements, voire les titulaires des classes, s’occuper de lancer des appels aux enfants pour qu’ils en parlent autour d’eux, à demander aux associations de parents d’élèves ou aux syndicats professionnels, aux associations gravitant autour des écoles, des collèges ou des lycées, bref, à tout ce petit monde de répondre à l’impérieux besoin de citoyenneté par l’exemple qui se manifeste alors.
Bien évidemment, ce principe a le mérite d’être à la fois simple et peu coûteux, mais l’énorme désavantage d’être médiatiquement invisible.
La seconde solution consiste quant à elle à mettre en place autoritairement une structure idoine, chapeautant le tout depuis les hauteurs nuageuses du ministère, et qui permet à la fois d’édicter d’indispensables règles et procédures pour définir au millimètre près qui doit participer, comment et dans quel cadre, et à la fois d’en parler abondamment dans la presse, sur un site web 2.0 coloré avec l’une ou l’autre infographie mielleuse ou une vidéo navrante.
Et voilà le travail : la réserve citoyenne est donc née, qui permet de mettre du citoyen en conserve et de le dépoter en flux tendu, lorsque se dégage un trou dans le gruyère qu’on fait passer pour un emploi du temps de nos élèves, réformes multiples obligent. Moyennant l’inévitable animation acidulée, ça passera comme une lettre à la poste, et on peut même parier que des milliers de consciencieux citoyens se rallieront à cette initiative douteuse.
Si je dis « douteuse », c’est parce qu’on peut lire ce genre de choses pour justifier la création de ce nouveau sémillant bidule :
Inscrite au cœur de la Grande Mobilisation de l’École pour les valeurs de la République, la Réserve citoyenne de l’Éducation Nationale vise à permettre à l’École de trouver parmi les forces vives de la société civile des personnes qui s’engagent aux côtés des enseignants et des équipes éducatives pour la transmission des valeurs de la République. Complémentaire des actions conduites par les associations partenaires de l’école, la réserve citoyenne de l’Éducation Nationale constitue une forme d’engagement individuel bénévole : elle répond aux demandes nombreuses de citoyens désireux d’apporter leur concours à la transmission des valeurs de la République.
Grande mobilisation, forces vives, engagement, valeurs républicaines … Pas de doute, au bullshit bingo de la propagande gouvernementale, toutes les cases sont cochées. Car si, a priori, l’idée que des citoyens passent un peu de temps dans les classes pour expliquer ce qu’ils font n’est pas une mauvaise idée, cette initiative vibrante de vivrensemble et de bons sentiments est fort loin d’être exemptes de petits soucis.
Déjà, on ne peut s’empêcher de se demander comment on a fait pour s’en passer jusque là : toute cette mobilisation, cette force, cet engagement, c’est très joli, mais pourquoi depuis que le ministère existe a-t-on pu se débrouiller pour avoir globalement le même service rendu (des papas ou des mamans viennent expliquer leur travail, ou des leçons de choses ou de civisme devant une classe) sans passer par l’État ni avoir l’onction de l’Éducation Nationale ? Pourquoi s’embarquer si prestement dans cette Réserve truc-machin alors que le besoin ne semblait pas si criant (en tout cas, moins que celui de la maîtrise de la lecture, de l’écriture ou du calcul, par exemple) ?
Et puis, comment les enfants ont-ils réussi le prodige de ne pas tous tourner terroristes alors que l’accent sur la citoyenneté était des plus modestes et les cours de morale puis d’éducation civique réduits à leur plus simple expression ? Manifestement, on s’en passait assez bien, et en tout cas, on n’avait pas besoin que l’État s’en mêle. Comme il n’était pas nécessaire, il a donc absolument fallu qu’il vienne y mettre ses gros doigts boudinés, en utilisant de surcroît l’émotion créée en janvier 2015 puis récupérée sans vergogne par l’appareil gouvernemental.
D’autre part, la tendance à faire appel aux bonnes volontés, si elle est tout à fait souhaitable, marque — lorsqu’elle est reprise au niveau le plus élevé de l’État — comme une petite récupération pas trop subtile d’un mouvement au départ local, froissant allègrement le principe de subsidiarité, et donnant à tout ceci un délicieux côté institutionnel amidonné, à coup de Cerfas, d’inscriptions, d’évaluation de la pertinence et de procédures administratives dûment tamponnées. Le côté spontané consciencieusement évaporé, on a maintenant du Citoyen Bénévole correctement étalonné, mesuré et validé par la chaîne décisionnaire ministérielle.
Une « Procédure Qualité » pour des Citoyens Certifiés Conformes, c’est tout à fait rassurant.
Et surtout, ça ne coûte presque rien.
Rien, parce que bien sûr, les Intervenants Certifiés Conformes qui vont dispenser savoir et sagesse républicaine ne seront guère coûteux, nos réservistes étant bénévoles (ce qui tombe bien, compte tenu des finances minuscules de l’Education Nationale). De là, d’ailleurs, à coller l’un ou l’autre Citoyen Estampillé dans les activités périscolaires en déroute suite à la réforme Peillon, il n’y a qu’un pas qu’on ne franchira que si les médias n’en parlent pas trop.
Presque, parce qu’il ne faudrait tout de même pas oublier de payer, en vrai argent, tout le petit monde qui se chargera de gérer les candidatures, de les évaluer, de certifier conforme nos nombreux réservistes, de même qu’il a bien fallu payer pour les embarrassantes joyeuses communications (vidéo, web) réalisées ad hoc pour présenter cette palpitante initiative politicienne.
Et très très presque parce qu’encore une fois, on décide assez unilatéralement d’un message à faire passer alors même que les bases ne sont toujours pas acquises, pendant que le budget de l’Education Nationale n’arrête pas d’augmenter, pendant que le nombre d’élèves, lui, diminue, pendant que la valeur des diplômes en sortie continue de s’amoindrir et le niveau général de connaissance de nos collégiens et de nos lycéens s’effondre complètement. Et puis comment des individus qui savent à peine lire, écrire et compter peuvent-ils espérer un jour être des citoyens à la morale solide ? À moins bien sûr qu’on vise essentiellement leur acceptation docile d’un vivrensemble de plus en plus artificiel, accolé à leur consentement à l’impôt de plus en plus indispensable ?
Dans ce cas-là, bien sûr …
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