Doris Kelanou avait fait une entrée remarquable en littérature avec son roman L'Hôte indésirable, paru en 2007. Cette publication était d'autant plus réjouissante qu'elle émanait d'une femme. Je ne veux pas dire qu'une oeuvre écrite par une femme a plus de valeur que celle d'un homme, mais au Congo Brazzaville, la place littéraire étant surtout investie par les hommes, je ne trouve pas mauvais de saluer particulièrement les écrits des femmes, surtout lorsqu'ils traduisent un ancrage profond dans la société que connaît particulièrement l'auteur, avec la volonté de saisir par les cornes les taureaux qui saccagent son jardin.
Ainsi, c'est avec beaucoup d'impatience que l'on attendait la nouvelle publication de Doris Kelanou. C'est enfin chose faite. Elle vient de faire paraître, toujours chez Anibwe, L'Echo du silence, dont la rédaction avait été commencée peu de temps après la parution de premier opus, mais la maternité, le travail professionnel, surtout lorsqu'il repose particulièrement sur vos épaules, ne laissent que peu de temps à une femme. Je pense que les hommes et les femmes ne sont pas logés à la même enseigne lorsqu'il s'agit de donner vie à des projets d'écriture. Cette question constitue en partie la matière de mon roman Chêne de Bambou.
Revenons à L'Echo du silence, qui confirme ce que l'auteur nous avait montré d'elle dans son premier opus : elle nous y apparaissait comme une éveilleuse des consciences. Eh bien, dans son second ouvrage, cet éveil des consciences se fait à la lumière de l'histoire, que l'auteur rafraîchit pour nous, d'autant plus qu'elle est encore toute récente. En effet, Barack Obama, cet homme né d'un père noir, que l'Amérique a installé à la Maison blanche, est toujours l'actuel Président des Etats Unis, puisqu'un second mandant lui a été accordé. Aujourd'hui, on s'y est peut-être habitué, mais il faut se remémorer ce moment, qui survient 50 ans seulement après l'assassinat de Martin Luther King. 50 ans, cela peut paraître beaucoup, c'est un demi-siècle, mais en même temps, c'est si peu de chose. Le King aurait-il pu imaginer que 5 décennies seulement après lui, une famille noire occuperait la Maison Blanche ? La Maison BLANCHE !!! Il croyait à cette Amérique capable de regarder à la compétence et non à la couleur de la peau, mais pensait-il que cela arriverait si vite, finalement ? Doris Kelanou donne donc la parole au King, qui se réjouit depuis le lieu où il repose, car si la mort est un rideau qui ne nous permet pas de le voir physiquement, il ne nous empêche nullement d'entendre l'écho de sa voix.
"Je suis fier de constater que les fils des esclaves et ceux des esclavagistes s'asseyent ensemble à la table de la fraternité."
( L'Echo du silence, page 22)
Bien-sûr l'Amérique n'en a pas encore terminé avec ses vieux démons, et l'actualité est là qui rappelle, mois après mois, année après année, la condition de l'homme noir aux Etats-Unis, que l'on accuse promptement de tous les maux, tandis que l'homme blanc est regardé avec indulgence. Combien de bavures policières concernant des Noirs, aux Etats-Unis ? Voici cependant ce qu'exprime Doris Kelanou, à travers la voix de Martin Luther King :
"Toute cette méchanceté traduite par des actes de barbarie orchestrés par des policiers-tueurs Blancs graciés par la justice sont comme une lampe qui s'éteint, mais qu'ils tentent désespérément de rallumer. Cette expression de violence policière raciste et gratuite n'est que la réponse du vaincu au vainqueur qui peu à peu s'étiole."
Après le King, l'auteur accorde la parole à Nelson Mandéla. "Un homme. Oui, un homme, pas un messie. Pas un saint. Un homme ordinaire", qui a cependant fait des choses extraordinaires. Il a lutté contre l'opresseur, disons plutôt contre l'opression, mais il ne s'est pas engagé dans le chemin de la vengeance de l'oppression subie sur l'opresseur, ça c'est tellement extraordinaire ! S'il a fait tout ce qu'il a fait, c'est en partie parcequ'il avait "hérité de son père fière insoumission, sens de l'obstination et de la justice." (page 30) Ainsi, il faut savoir transmettre les bonnes armes à nos descendants, pour qu'ils sachent défendre leur dignité.
Ainsi, l'éveil des conscience auquel nous faisions référence plus haut est doublé d'une affirmation de la dignité des hommes noirs, d'une valorisation de la culture, de l'histoire africaine, comme on le voit avec la troisième personnalité que Doris Kelanou fait revivre : Kimpa Vita. Une femme, car les femmes également ont fait l'histoire, même si elle est méconnue ou mal écrite : "aux Ne-Kongo de la réécrire " ! (page 68) Kimpa Vita fut à l'origine d'un mouvement qui ne s'éteignit pas avec sa mort :
"Sa mort, loin de marquer sa fin, marqua le commencement d'une révolution de l'autre côté de l'océan". (page 71)
En effet, nous apprend Doris Kelanou, afin d'endiguer le mouvement lancé par Kimpa Vita, nombreux de ses adeptes furent vendus et se retrouvèrent esclaves au-delà de l'océan, et ce sont ces esclaves "Ne-Kongo" qui contribuèrent largement à faire aboutir la révolution haïtienne, celle qui donnera naissance à la première République noire de l'histoire.
Bref ce livre de Doris Kelanou invite à introduire l'extraordinaire dans nos vies, afin que nous vivions dans une société plus harmonieuse, cela ne va pas sans connaître l'histoire, notre histoire : "ne demeure pas ignorant de ton histoire, tu seras semblable à un arbre sans racines. Or, un tel arbre est sans longévité. Il est emporté par la première secousse." (page 74)
Le regret que j'ai à exprimer sur ce livre, c'est que c'est une mise en bouche qui n'apaise pas votre faim, il n'est composé que de trois nouvelles ("Mon rêve accompli", "Vers un autre ailleurs" et "Racines"), mais bon, on ne va pas se plaindre, il vaut mieux trois nouvelles que rien du tout, et la quantité n'est pas toujours gage de satisfaction.
Doris Kelanou, L'Echo du silence, Editions Anibwe, 2015, 78 pages.