Un peu d'histoire...
Les Inrocks 15 08 2015"Bidonville historique en péril", la banderole est à peine visible depuis le pont Palmers qui surplombe l'A86. Tout comme le reste du bidonville du Samaritain, niché rue Pascal entre les rails du RER B et les usines de la zone industrielle de La Courneuve. Pourtant, ce campement établi en 2008 - ce qui en fait le plus vieux d'Ile-de-France -, abrite aujourd'hui 80 familles roms, 300 personnes dont 106 enfants. Ces sept années ont laissé le temps à cette communauté de s'installer. Ici, les plaques de lino et les tapis de sol remplacent le bitume, les habitations de bois s'enchaînent le long de trois artères aux allures de ruelles.
A quelques pas de l'entrée se trouve l'église pentecôtiste. Une grande salle de vingt mètres sur cinq, à la fabrication soignée, décorée de rideaux à dentelle blanche et d'un autel en bois, fleuri par des roses en tissu. Les habitants s'y retrouvent chaque dimanche matin pour célébrer l'office.
Attablé contre le lieu de culte, le pasteur sert le café à une journaliste anglaise. Depuis que le maire de La Courneuve, Gille Poux (PCF), a annoncé l'évacuation du bidonville le 7 août dernier, c'est la valse des médias au Samaritain. "Beaucoup de journalistes viennent en ce moment, on a même eu la télévision", raconte Jozsef, 17 ans. Habitant du bidonville depuis trois ans, il est assis en face de Pierre Chopinaud, membre de l'association la Voix des Rroms, et Mehdi Bouteghmes, élu indépendant de la majorité au conseil municipal de La Courneuve.
Une décharge à ciel ouvert
Jozsef a déjà l'habitude des médias depuis qu'il a lancé une pétition en ligne, à l'attention du maire, pour que l'élu annule l'évacuation du bidonville et valide le projet de "résorption" monté par une trentaine d'organismes - fondations, universités, associations, etc. -, dont Médecins du Monde et la Fondation Abbé-Pierre.
Ce projet vise à "améliorer les conditions de vie immédiates des habitants, par l'assainissement du quartier et la sécurisation des habitations, mais aussi à les accompagner dans leur insertion", résume Mehdi Bouteghmes, opposé à la décision du maire. Construites avec des matériaux de récupération, les baraques sont rudimentaires et fragiles. Des objets en tout genre s'entassent sur les toits, dont la chute peut s'avérer dangereuse.
L'urgence est surtout de résorber les 1 500 mètres cube de déchets entassés au fond du bidonville. En traversant la première artère, l'odeur putride, amplifiée par les chaleurs d'août, se fait de plus en plus forte à mesure que l'on se rapproche de cette décharge à ciel ouvert. Une fois la dernière habitation franchie, se découvre un amoncellement d'ordures : poussettes, pneus, vélib', bonbonne de gaz, jeans, des déchets de toute sorte s'entassent de part et d'autre. Au milieu, un chemin permet de traverser cette zone infestée de rats et colonisée de mouches, située à une dizaine de mètres d'enfants en bas âges.
Un projet de sortie pour le bidonville
"Il y a des choses qui sont faites plus ou moins régulièrement pour le ramassage des ordures, mais elles ne permettent pas de tout absorber, tempère au téléphone Jean-Luc Vienne, directeur du cabinet de Gilles Poux. Après c'est toujours la question de savoir à quel moment on pérennise un bidonville ou pas."
Un quart des adultes ont un travail régulier
Un autre volet du projet prévoit l'accès à l'eau courante. A l'extérieur du bidonville, une femme et une poignée d'enfants viennent remplir un jerrican d'eau, pompée d'une bouche à incendie. "Ils s'en servent pour les tâches ménagères, explique Pierre Chopinaud. L'eau potable, ils sont obligés d'aller en acheter".
L'objectif final reste de mener les habitants au bout du processus d'insertion. Selon les porteurs du projet, 25 % des adultes du bidonville ont un travail régulier. "Quelques-uns sont en CDI, ils sont généralement mécaniciens, électriciens et travaillent dans de petites boîtes dans l'artisanat, d'autres travaillent au noir et le reste vit de la ferraille, de la récupération", détaille Pierre Chopinaud. Les parents de Jozsef, eux, rentrent dans la dernière catégorie. "Mon père cherche du travail, pendant que ma mère cherche dans les poubelles", raconte l'adolescent.
Se faire embaucher est d'autant plus difficile pour eux qu'ils ne peuvent pas se domicilier à la Courneuve. "Certains sont obligés de se domicilier à Paris, c'est le parcours du combattant pour trouver un travail avec les bâtons dans les roues que leur met l'administration locale", estime Pierre Chopinaud. Pourtant selon la municipalité, huit demandes de domiciliation sur dix ont été acceptées depuis 2013.
La COP 21, accélérateur de l'expulsion ?
"Si je ne remets pas en cause la bonne foi de ceux qui portent [le projet de résorption], je suis en désaccord avec son contenu, et il ne peut à mon sens constituer une alternative à la procédure engagée", a expliqué le maire de La Courneuve dans un communiqué diffusé par France 24.
Le refus de Gilles Poux d'accepter ce projet tient surtout aux doutes de l'élu sur son délai de résultats. Selon les organisations, l'insertion des habitants du Samaritain serait actée sous trois à cinq ans. Une période jugée trop courte par le maire de La Courneuve, qui estime même que ce projet finirait surtout par "pérenniser les bidonvilles".
Alors que le Samaritain est installé depuis sept ans, pourquoi l'évacuation n'intervient-elle que maintenant ? "A un moment donné, on a émis l'hypothèse que l'organisation de la COP 21 y était pour quelque chose", confie Pierre Chopinaud. Le sommet international pour le climat se tiendra en grande partie sur le site Paris-Le Bourget (du 30 novembre au 11 décembre 2015), situé à quelques kilomètres au nord du bidonville.
L'hypothèse est renforcée par la venue de policiers le 6 août dernier, expliquant aux habitants que leurs baraques "devraient avoir disparu avant la tenue de la COP21″, retrace Libération.
" Je pense que l'organisation de la COP 21 a certainement joué au niveau de la préfecture, considère Mehdi Bouteghmes. C'est l'occasion d'évacuer les camps de Roms de la Seine-Saint-Denis, d'autant que le Samaritain est le dernier de La Courneuve."
Pour Jean-Luc Vienne, "il n'y a pas de lien". La procédure d'évacuation date d'une décision prise en 2013. A cette époque, la Courneuve comptait 11 bidonvilles, abritant près de 2 000 personnes. Aujourd'hui la procédure arrive à son terme, le Samaritain est le dernier de la commune.
"On vient de dépasser les 30 000 signatures"
D'ici deux semaines, les habitations de la rue Pascal devraient être de l'histoire ancienne. "On va se retrouver à la rue", lâche Jozsef. Alors que des engagements étaient pris de la part des autorités, à ce jour aucun dispositif n'est prévu pour accompagner les familles après l'évacuation. Conscient de cette situation, Gille Poux a demandé la mobilisation d'hébergements d'urgence, mais pour l'instant rien n'a été annoncé.
Dans l'entourage du maire, on s'agace de cette focalisation sur la municipalité. "Personne n'a interrogé la préfecture de région, alors qu'on a un administrateur [Jérôme Normand, nommé en 2013, ndlr] chargé de l'accompagnement des démantèlements de campements illicites", regrette Jean-Luc Vienne. Malgré une lettre adressée au président de la République en 2013, la commune déplore le manque d'implication de l'Etat sur l'enjeu des bidonvilles.
En attendant les défenseurs du projet restent mobilisés et enchaînent les sorties médiatiques pour rassembler des soutiens. "Tu as vu Jozsef, la pétition ? On vient de dépasser les 30 000, il y aura bientôt plus de signatures que d'habitants à La Courneuve", plaisante Pierre Chopinaud.
Le Maire affirme " ne pouvoir faire autrement "
" Depuis 10 ans maintenant, notre ville est confrontée à l'installation de bidonvilles sur des terrains occupés illégalement.
Depuis 10 ans nous demandons à l'État de prendre ses responsabilités, en mettant en œuvre un plan national d'urgence pour l'accueil des populations appelées communément Roms, fuyant leur pays européen d'origine où elles sont victimes de ségrégations. C'était une fois encore le sens de l'appel lancé par notre conseil municipal en 2013 au président de la République, au moment où notre ville comptait 11 bidonvilles dans lesquels vivaient jusqu'à 2000 personnes, représentant ici près de 15% des populations Roms d'Ile‑de‑France. À plusieurs reprises, notre ville a pris des positions claires pour les droits des populations Roms, nous avons participé financièrement à la création de villages d'insertion, nous avons rempli nos obligations en termes de scolarisation et avons même agi pour le relogement quand cela était possible. Pour autant, devant l'ampleur des questions posées et l'absence de solidarité nationale, " la seule solution qu'on nous laisse est d'agir pour l'évacuation de ces campements ". C'est ce que nous avions écrit, dans un silence médiatique total, à François Hollande. C'est donc ce que nous avons fait pour le bidonville installé depuis 2008 sur un terrain communal ‑ rue Pascal ‑, comme pour les autres, refusant de " choisir " entre tel ou tel bidonville, telle ou telle famille. Notre appel est resté sans réponse, le bidonville devrait être évacué à la fin de ce mois. Et à défaut de la mise en place d'un " dispositif d'accompagnement " sur lequel s'était engagée la Préfecture de Région, je demande que soient mobilisés des hébergements d'urgence. Mais au fond, comment accepter que quelques villes populaires, dont la nôtre, se retrouvent seules à gérer l'accueil et l'accompagnement de ces familles, seules face à une question nationale et européenne ? Pourquoi l'effort ne serait‑il pas partagé, de Levallois à La Courneuve, de Rambouillet à Ivry‑sur‑Seine, avec des moyens de l'État et de l'Europe à la hauteur des problèmes posés ? Quand en finira‑t‑on avec les discriminations qui se vivent concrètement dans les villes comme les nôtres ? Pourquoi notre ville, fière des 101 nationalités qui la composent et reconnue pour ses politiques publiques solidaires, devrait accepter que soit ainsi fragilisé ce que les Courneuviennes et les Courneuviens construisent ensemble pour développer leur ville, pour que chacune et chacun puisse y trouver sa place, pour que le vivre‑ensemble prenne tout son sens ? Comment admettre dans notre pays, 6e puissance mondiale, que la seule perspective proposée à des femmes, des hommes et des enfants soit de survivre dans des bidonvilles ? Est‑ce cela la " solidarité " du 21e siècle en France et en Europe ?Il est donc plus que jamais urgent que l'État français prenne la responsabilité d'organiser la conférence régionale que j'appelle de mes vœux depuis si longtemps, qu'un véritable plan d'urgence soit mis en place dans lequel notre ville prendra sa place, dans le cadre de la si nécessaire solidarité nationale. "
Les JC manifestent leur désaccord
Le défenseur des droits désaprouve
Les soutiens expliquent leur désaccord
Une condamnation du tribunal administratif
Pour avoir refusé de domicilier les habitants du Samaritain, le Centre Communal d'action sociale (CCAS) de la Courneuve, présidé par le maire de la commune, Gilles Poux, vient d'être rappelé à la loi par le tribunal administratif de Montreuil. D'autres procédures sont en cours, à l'échelle européenne, cette fois pour le refus de scolarisation des enfants du Samaritain.
Une entrave permanente.
Comment une municipalité peut-elle empêcher une domiciliation, au mépris de la Loi ? Il suffit que la Centre Communal d'action sociale (CCAS) qui enregistre les demandes de domiciliation exige des pièces impossibles à fournir. Par exemple une déclaration d'impôts avec une adresse à La Courneuve, pièce que les habitants ne peuvent évidemment fournir que si, justement, ils sont domiciliés sur la Commune (cf liste des pièces exigées par la Commune, en toute illégalité). Une autre tactique consiste à enregistrer les habitants avec, à chaque fois de nouvelles erreurs, afin de repousser l'examen des dossiers de plusieurs mois, de plusieurs années.
Une première condamnation,
Devant cette obstruction, en juillet, trois habitants ont saisi la justice. L'audience devait avoir lieu le mercredi 12 aout, en pleine mobilisation contre l'expulsion. La veille, devant la certitude de perdre son procès, l'avocat de la municipalité fait attribuer en urgence les domiciliations. Le lendemain, l'audience n'a plus à statuer sur une domiciliation devenue effective mais condamne le Centre Communal d'action social (CCAS) à payer les frais de justice des trois plaignants, habitants du Samaritain.
La municipalité persiste, hier encore.
L'affaire ne s'arrête pas là. Jeudi 13 aout, Médecins du monde apprend par le CCAS lui-même qu'une nouvelle commission de domiciliation est prévue le lundi 17 aout, avec réponses pour le mardi 18 aout. Confiants, 11 habitants et leurs soutiens se rendent au CCAS, Vendredi 14 aout, avec leurs dossiers. Alors qu'ils sont en train d'enregistrer les dépôts, une responsable descend de ses bureaux pour leur annoncer que finalement la Commission ne pourrait avoir lieu le lundi, et que le delai d'examens et de réponse serait de deux mois. Ce soudain changement délai semble bien étrange, surtout que, trois jours, plus tôt, il n'avait pas fallu plus de quelques heures pour attribuer des domiciliations aux plaignants.
Une expulsion prévue sans diagnostic social de l'Etat
Le maire s'apprête à expulser sans avoir jamais discuté du projet de sortie progressive et concertée du collectif de fondations et d'associations dont Médecins du Monde. Mais la municipalité s'apprête également à expulser que l'Etat n'ait réalisé de diagnostic social, pourtant obligatoire depuis la circulaire de 2012. Partenaire du projet d'un côté, allié de l'expulsion de l'autre, l'Etat n'a pris aucune des responsabilités qui lui incombent.
Contacts :
Comité de Soutien aux résidents du Samaritain : [email protected]
Pierre Chopinaud, La Voix des Rroms : 06 81 89 02 20
Mehdi Bouteghmes, élu : 06 52 49 48 85