Malgré la décision controversée du gouvernement indien de bloquer 857 sites de contenus pour adultes, la pornographie en ligne semble gagner toujours plus d’adeptes.
Coup d’éclat, mais surtout un coup d’épée dans l’eau, ce geste de l’État indien faisait suite à un revers devant le plus haut tribunal du pays.
Pour Kamlesh Vaswani, la pornographie est «pire qu’Hitler, pire que le sida».
Encouragée par un militant anti-pornographie, l’avocat Kamlesh Vaswani, l’administration du premier ministre Narendra Modi est allée de l’avant en se contentant de faire appliquer les demandes de Vaswani auprès du puissant ministère des Télécommunications. L’avocat considère le contenu pour adultes comme capable de «faire évaporer l’avenir des individus», et même «détruire la société». Pour lui, la pornographie est «pire qu’Hitler, pire que le sida».
Internet, vecteur de démocratisation de la pornographie
Petit hic : les Indiens tiennent à leur pornographie. Attaqué sans relâche par de nombreux citoyens qui y voient un empiétement majeur sur leur vie privée, New Delhi a reculé, annonçant que seuls les sites hébergeant de la pornographie juvénile seront désormais visés par l’interdiction.
Comme le souligne le Times of India, certains sites précédemment visés n’hébergeaient aucun contenu à caractère sexuel, mais plutôt des blagues. Tous avaient toutefois été jugés «immoraux et indécents».
Ce recul particulièrement rapide d’un État face à ses citoyens – et qui plus est, sur une question aussi sensible que ce que les gens font devant leur écran d’ordinateur – porte à croire que les sites Internet pour adultes, autrefois conspués et qualifiés de perversion sans nom, cimentent toujours davantage leur présence dans le paysage socioculturel.
Un autre genre de «binge watching»
La cerise sur le sundæ? Le site pour adultes Pornhub s’est récemment mis à l’heure de Netflix en lançant lui aussi un service par abonnement à 9,99$ US par mois, sans publicités. À ce prix, Pornhub offre ainsi du contenu en haute définition, des «vidéos exclusives» et d’autres fonctionnalités supplémentaires. Histoire de maximiser l’impact de ce lancement, Pornhub s’est même payé quelques publicités en ligne.
Est-ce à dire que la pornographie est devenue mainstream? La question ne se pose pas. Après tout, le sexe fait partie de la vie, et la révolution sexuelle des années 1960 fut le premier clou dans le cercueil du moralisme à tout vent. Suivirent les cassettes VHS, les DVD, puis, en partie, l’Internet. Ironiquement, c’est d’ailleurs cet Internet – avec l’accès à un contenu quasi illimité pour presque rien, ou même carrément rien – qui permit à Pornhub d’adopter ce nouveau modèle d’affaires, tout en le forçant à agir de la sorte. Car avec quantité de sites diffusant de la pornographie gratuitement, il s’est produit la même chose qu’avec les médias traditionnels : plus personne ne veut payer, et il faut donc trouver de nouvelles méthodes pour remplir les caisses.
Ce que prouve le blocage raté des sites pornographiques en Inde, c’est que la société contemporaine est de plus en plus ouverte à l’idée de la «normalisation» de la pornographie. Le fait que chacun puisse occuper comme il l’entend son temps sur l’Internet – dans les limites de la loi – semble faire consensus. Imaginerions-nous, par exemple, le gouvernement canadien lancer une croisade contre les sites pour adultes? La chose plairait peut-être aux tenants de la droite, mais elle se buterait à une contestation sociale d’importance, et les tribunaux seraient saisis de l’affaire. Il en va de même pour bon nombre de nations occidentales et de pays en développement.
Bien entendu, cela n’empêche pas certains gouvernements de serrer la vis, toujours au nom de la moralité. L’Arabie saoudite est ainsi très sévère en ce qui concerne les contenus pour adultes. Quant à la Corée du Nord, la solution est encore plus simple : il n’y a pas ou presque pas de connexions à Internet, point final.
Défendre la «morale»
Le cas britannique est cependant plus surprenant. Invoquant le devoir de protéger les enfants, les fournisseurs d’accès à Internet de Grande-Bretagne doivent, depuis plus d’un an, bloquer le contenu à caractère sexuel par défaut. Pour en consulter, l’abonné doit contacter son fournisseur en demandant explicitement à y avoir accès. Cette démarche s’inscrit dans une charge tous azimuts contre le principe de neutralité du web, et vise aussi les systèmes de cryptage des communications. Histoire que les services de renseignement puissent mieux espionner la populace, sans aucun doute. En ce qui concerne la porno, le gouvernement Cameron semble toutefois avoir du plomb dans l’aile, les mesures étant contestées au niveau de l’Union européenne.
Il semble donc exister un fort mouvement de légalisation et de démocratisation de la pornographie à travers l’Occident, ainsi qu’au sein des nations industrialisées en général. Chaque adulte devrait ainsi être libre de consommer le contenu légal qui lui plaît, que ce soit des sites à connotation sexuelle ou autres. Après tout, selon une étude montréalaise qui date déjà de 2009, tous les hommes dans la vingtaine ont déjà consommé de la pornographie.
Tout n’est pas rose
Oui, il existe encore de graves problèmes découlant de la production de cette même pornographie, surtout en ce qui concerne les abus et les conditions de travail des acteurs et actrices. Oui, consommer trop de pornographie peut entraîner une dépendance, et surtout fausser la perception que l’on peut avoir de l’autre sexe et des relations intimes. Mais cette même pornographie peut aussi pimenter la vie de couple, le fait de consommer ce genre de contenu – et d’en parler – peut même permettre de mieux éduquer les gens à propos des notions de consentement et de plaisir sexuel. Tout le contraire, donc, de cette perversion immonde qui, de l’avis de l’avocat indien Kamlesh Vaswani, est responsable de tous les fléaux du monde, y compris l’épidémie de crimes à caractère sexuel en Inde.
La pornographie n’est certainement pas la panacée, mais elle est là, et grâce à Internet (où à cause du Web, c’est selon), elle n’est absolument pas près de disparaître. Autant s’en accommoder et apprendre à vivre avec cet univers numérique quasi omniprésent.