A ce moment se joue un changement. La France va-t-elle devenir une monarchie parlementaire, pacifique, sur le modèle de l'Angleterre ? Pour cela, il aurait fallu que le roi prenne la tête de la nouvelle élite ayant émergé du règne de Napoléon. Mais, s'il abandonne l'ancienne noblesse, s'il accepte l'Etat centralisé, séduit par la puissance qu'il lui donne, il ne croit pas devoir sa légitimité à l'avenir, mais au passé. Quant aux nobles, ils estiment qu'ils ont triomphé, qu'on leur doit des rentes et que tout va recommencer comme dans un avant fantasmé. Ils se font haïr. Mais, même les nouvelles élites n'ont pas l'esprit anglais. Si elles doivent leur succès à leur effort, elles ne rêvent que de servir l'Etat. Que de privilèges ? (Notre élite serait-elle servile, par nature ?)
Cela va se traduire dans une sorte de mythe du conflit, voire de la guerre civile. Les élites n'arrêteront pas de rejouer la Révolution. Ce mythe fondateur de la nation a deux caractéristiques : la restauration, collaboration avec l'étranger, et la trahison. D'un côté, il y a ceux qui revendiquent le droit (l'ancienne noblesse), de l'autre ceux qui recherchent la gloire (la nouvelle élite). Et tout ceci serait symbolisé par les cent jours. Waterloo n'est plus la juste rétribution de la folie meurtrière d'un tyran, c'est l'événement fondateur d'une nation martyre.
Le plus curieux est que ce discours n'est pas le reflet de la réalité. Celle-ci est pragmatique. Ce qui me fait dire qu'une particularité de notre pays, ou de ses élites ?, semble être de s'enflammer pour des idées. Malheureusement, celles-ci conduisent souvent à des actions regrettables, ou a une irresponsabilité qui l'est tout autant.
(WARESQUIEL, L'histoire à rebrousse poil. Les élites, la Restauration, la Révolution, Texto, 2014.)