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Par Thierry Brun18 août 2015Devant les crises à répétition dans les secteurs du lait et de la viande, la Confédération paysanne développe ses solutions.
La table ronde du 17 août qui devait réunir les acteurs de la filière viande au ministère de l’Agriculture n’a pas apporté les solutions attendues par la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole.Or, rien ne va plus dans l’élevage. Depuis la fin des quotas laitiers, le 1er avril, la crise persiste dans les fermes laitières, malgré un accord obtenu à la mi-juin avec les industriels et les distributeurs. Début juillet, ce sont les éleveurs de porcs et de viande bovine qui ont manifesté et décroché un plan d’urgence le 22 juillet.
Porte-parole national de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel apporte un éclairage édifiant sur cette crise et détaille les mesures qui permettraient d’en sortir.
En quelques mois, l’élevage a révélé une succession de crises dans les secteurs laitier, bovin et porcin. Comment la Confédération paysanne réagit-elle ?
Laurent Pinatel : En ce qui concerne l’élevage laitier, nous avons alerté depuis le début de l’année sur la crise de surproduction du fait de la fin des quotas laitiers le 1er avril. Là-dessus est arrivée la crise de la viande bovine, puis celle de la viande du porc. On ne peut pas parler d’une crise conjoncturelle, mais bien d’une crise structurelle de l’élevage. Nous sommes à la fin d’un modèle productiviste. Dans l’agroalimentaire breton, des usines, Gad entre autres, ont fermé leurs portes. Pour nous, c’est l’occasion de revisiter complètement l’organisation de l’agriculture.
Ces crises de l’élevage ont donc une origine commune…
La première cause est le désengagement de l’État dans l’organisation des marchés. Ce recul a eu pour conséquence la mainmise de l’agroalimentaire sur l’organisation de la production agricole. Prenons l’exemple de la production de viande bovine, qui n’est pas une production en excédent, contrairement au lait et au porc. L’organisation même de la production n’est pas bonne : on produit du jeune bovin en France qui n’est pas consommé sur place.
Cette viande part à l’exportation. Ainsi, on importe des morceaux de qualité et on exporte de la viande un peu moins haut de gamme parce que l’on a laissé faire la filière. Les industriels et les abatteurs préfèrent avoir du volume pour l’exporter au Maghreb, en Turquie et en Grèce, ce qui ne correspond pas à nos habitudes alimentaires.
Les éleveurs des petites exploitations paient-ils chèrement cette situation de crise ?
Les petites exploitations souffrent, mais elles ne sont pas toutes en crise. L’agriculture biologique supporte mieux la crise que le modèle conventionnel. L’agriculture de proximité, qui a fait le choix de la vente directe, ne peine pas plus que d’habitude. Les agricultures qui sont sur des créneaux de qualité, notamment certaines AOC, ont des prix rémunérateurs. Cela signifie que les producteurs qui ont choisi ces créneaux haut de gamme arrivent à s’en sortir.
Certes, certains petits éleveurs se prennent de plein fouet la crise parce que leurs fermes ont une moindre capacité à capter des primes et qu’ils sont dépendants du marché, en particulier ceux qui ont beaucoup investi, comme les jeunes agriculteurs. Les emprunts portent sur des périodes longues de 15 ans mais le prix du lait varie sur de courtes périodes…
Beaucoup ont investi parce qu’on leur a dit que les quotas laitiers étaient supprimés et qu’il fallait produire plus pour le marché chinois. Il s’est pourtant fermé rapidement en raison de la crise de surproduction. Le marché mondial du lait était à 230 euros la tonne il y a quinze jours. On estime qu’il faut 340 euros la tonne pour rémunérer correctement les paysans, voire même 400 si l’on inclut l’augmentation du coût de la vie. En ce qui concerne le porc, le coût de revient, travail compris, est autour d’1,60 euro le kilo. Stabiliser les prix à 1,40 euro limite la casse, mais ce n’est pas avec les incantations du gouvernement que l’on arrivera à régler le problème.
Les petites exploitations ne sont pas forcément les moins compétitives, mais dans un système productiviste, il n’y a pas de place pour tout le monde. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a annoncé en juillet que 10 % des exploitations d’élevages risquaient de fermer d’ici à quelques mois.
Laurent PinatelIROZ GAIZKA / AFPPourquoi les coopératives et les industriels ne veulent-ils pas payer le porc à 1,40 euro ?
Les coopératives et les industriels vont acheter au Marché du porc breton (MPB), le cadran de Plérin, qui est un marché d’excédent. La Cooperl, principale coopérative du secteur, a continué d’acheter les porcs dans les fermes à environ 1,40 euro. Mais quand il y a trop de porcs, les producteurs les emmènent au cadran de Plérin pour l’exportation. Les prix fixés sont ceux du marché mondial. Les porcs produits en France sont mis en concurrence avec ceux des producteurs allemands et néerlandais, dans un contexte de surproduction.
Quelle analyse faite-vous de la gestion de ces crises par le gouvernement ?
Nous avons rencontré Stéphane Le Foll début juillet pour attirer son attention sur la crise à venir concernant le lait, la viande bovine et la viande de porc qui est en crise structurelle depuis le début des années 2000. Le ministre de l’Agriculture a surtout écouté les industriels qui lui ont dit que la situation allait s’améliorer. Le ministre est apparu très détaché par rapport à l’ampleur de ces crises. On a senti une certaine panique du gouvernement, lequel n’a annoncé que des demi-mesures.
Que demandez-vous au gouvernement ?
La solution est européenne. Pour ce qui concerne le porc et la viande bovine, l’urgence est au stockage pour dégager le marché. Pour le lait, il faut diminuer très rapidement la production européenne en se basant sur la réglementation européenne. Nous voulons ainsi une régulation de la production au niveau européen et pas la recherche de nouveaux marchés à l’exportation.
Surtout, en ce qui concerne la viande bovine, il faut arrêter les négociations transatlantiques pour un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis (TTIP). Dans le cas où les négociations aboutiraient, entre 300 000 et 600 000 tonnes de viande bovine arriveraient sur le marché européen. Ce serait la fin de l’élevage en France. Le premier signe fort que François Hollande devait envoyer aux agriculteurs, c’était d’arrêter ces négociations.
Nous demandons une réorientation des aides dans le cadre de la révision du parcours de la Politique agricole commune prévu en 2017. Il s’agit de les cibler vers une agriculture de qualité et de faire en sorte qu’elles suivent les évolutions du marché. Par exemple, quand le prix du blé est haut, les aides baissent et sont redistribuées en direction de l’agriculture de qualité.
Il faut une politique incitative sur le changement de système. Les éleveurs bio n’ont pas touché leurs aides de 2014. On nous avait promis qu’on les aurait fin juillet…
La FNSEA annonce un rassemblement des éleveurs à Paris le 3 septembre, puis le 7 septembre à Bruxelles. Allez-vous vous mobiliser aussi ?
Contrairement à ce que dit le président de la FNSEA, Xavier Beulin, la seule intervention européenne ne suffit pas. L’Europe devrait exiger en contrepartie une réorientation des filières et la baisse des productions en commençant par les plus gros élevages. Il ne s’agit pas d’accélérer l’installation de fermes-usines, comme on le souhaite à la FNSEA. Il ne s’agit pas de mettre de l’argent public pour dégager temporairement le marché et se retrouver dans un an avec la même problématique. Il faut désintensifier l’agriculture. Le système de développement breton ultra productiviste a mis l’agriculture dans le mur.
Nous préparons une série d’action à travers la France, notamment des marches qui remonteront jusqu’à Bruxelles où on manifestera le 7 septembre, jour de la réunion du Conseil européen de l’agriculture, avec nos partenaires européens, Via Campesina Europe et l’organisation européenne des producteurs de lait. D’ici le 7 septembre, nous demanderons aux départements d’agir dans des actions pédagogiques et pas des actions de blocages dont la FNSEA a du mal à sortir.
Nous interpellerons les candidats aux élections régionales sur l’agriculture locale et l’investissement sur des outils collectifs de transformation, petites laiteries, etc., pour permettre à des paysans de se regrouper et servir les collectivités. Nous défendrons le principe de la maîtrise de la production en diminuant les volumes mis sur le marché, de la réorganisation de la production et de la réorienter sur des créneaux de qualité et de haut de gamme.
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