Ce petit (mais long!) témoignage se veut un message d’espoir et j’espère qu’il apportera un peu de réconfort à celles et ceux qui le liront et qui en auront besoin.
Je tiens à préciser avant tout que je ne suis pas médecin, que je n’ai pas fait d’études dans le domaine médical et que ce billet est simplement le récit d’une « expérience » et des centaines d’heures passées à chercher des informations (lecture de rapports de sage-femmes, de cours de médecine compris) pour tenter de mieux cerner ce qui nous était tombé dessus…
Certains soignants m’ont dit que j’en savais plus qu’eux à la fin de mon hospitalisation (dédicace spéciale à la sage-femme qui m’a assurée que je rentrerais chez moi à 34 SA … ) Pour la petite histoire, le jour de mon déclenchement, le personnel nous a pris pour un couple d’internes en médecine…
La Rupture Prématurée des Membranes touche peu de femmes enceintes surtout si elles n’ont pas subi d’acte invasif comme l’amniocentèse ou autre.
Il existe deux cas de RMP, la totale et la partielle. Si la poche des eaux se rompt prématurément, alors vous n’aurez aucun doute car un bon litre de liquide amniotique (il ressemble à l’eau) vous aura trempée. En revanche si la rupture est partielle, le doute est encore permis (transpiration, urine, pertes vaginales….). Il existe un test « simple » pour différencier fuite urinaire et perte de liquide : si après avoir uriné, les pertes continuent (même sous forme de toutes petites gouttes), alors il s’agit probablement de fuite de liquide amniotique.
Pour en avoir le coeur net, il n’y a pas trente six mille solutions : aller faire immédiatement un prélèvement à la maternité. Avoir perdu seulement quelques gouttes de liquide est bon signe mais ne veut pas dire qu’il n’y a pas de danger. Il existe des protections (exactement comme des serviettes hygiéniques) qui se colorent normalement au contact du liquide amniotique mais dans mon cas elles se sont révélées totalement inutiles car elles ne détectaient pas la molécule qui pourtant était bien présente. Et pourtant j’ai fait presque une dizaine de tests.
Les tests faits à la maternité (consistant en un prélèvement) détectent cette molécule contenue dans le liquide amniotique. Il existerait des faux positifs (contestés bien entendu par les labos mais dont se méfient la plupart des médecins car le sang ou la présence de sperme pourrait fausser les résultats)… et des faux négatifs, j’en suis persuadée vu mon parcours. Le résultat vous est généralement donné dans l’heure qui suit (et dans un couloir, debout, histoire que la future maman manque de s’évanouir…).
Selon les hôpitaux, le protocole est différent, ce qui peut rendre fou…
Les RPM peuvent survenir à n’importe quel stade de la grossesse. Plus les ruptures arrivent tôt, plus le diagnostic est sombre. Avant 22 SA, elles touchent environ 4 femmes pour 1000. La mienne est survenue le jour même des 22 SA… Il restait alors 4 mois et demis de grossesse !
Une échographie est réalisée aux urgences de la maternité pour déterminer la quantité de liquide restante autour du foetus. Les médecins calculent une valeur en partageant l’utérus en 4 zones. Si le chiffre trouvé est inférieur à 8, alors il y a sûrement un manque de liquide. Mais seul le prélèvement effectué près du col (dans des conditions d’hygiène strictes, soyez très attentifs à chaque examen ! ) avec un matériel stérile peut donner un résultat fiable…
Si le fameux test est « positif » alors il y a rupture ou fissuration de la poche des eaux et s’il est négatif, vous pouvez respirer (et rester vigilante malgré tout !).
Après une rupture ou fissure, la future maman doit rester au moins 48h hospitalisée car le risque de mise en travail est très grand. Immédiatement des antibiotiques sont donnés car souvent les ruptures surviennent à cause d’une infection.
S’il y a bien une infection vaginale, alors il y a un risque d’accouchement prématuré (ou de fausse-couche suivant le terme de la grossesse) lié à ce que l’on appelle la chorio-amniotite, l’infection des membranes de la poche des eaux.
C’est la complication numéro 1, la plus dangereuse et la plus redoutée par le corps médical. Elle peut être fatale au bébé et très néfaste à la mère.
Le problème, c’est que chacune des « mauvaises » bactéries vaginales peut déboucher sur une chorio-amniotite.
Une fissuration de la poche des eaux peut entraîner des contractions (tout comme une infection car le corps cherche à se protéger en se débarrassant de ce qui est « malade ») et donc une mise en route du travail prématurée.
On ne stoppera jamais des contractions liées à un début d’infection. Il faut agir extrêmement vite dans ce cas là.
Si la fissuration se produit avant 25 SA, non seulement les médecins vous rangent dans la catégorie « peine perdue » mais surtout ils vous renvoient à domicile voir ce que décide « la Nature », si « vous expulsez votre foetus » (je ne me remettrai probablement jamais de la violence inouïe de cette phrase). Entendre cela de la bouche de médecins, spécialisés dans la PMA qui plus est, est insupportable.
A 22 SA et 4 jours, après une hospitalisation courte de 3 jours, on m’a donc dit de rentrer chez moi non sans m’avoir bien demandé si mon bébé résultait d’une fécondation in vitro plusieurs fois. Comme la conception était naturelle, ce n’était pas bien grave, la société n’avait pas donné d’argent pour rien, elle n’avait rien à faire de notre bébé de 500g ! C’est en tout cas comme cela que je l’ai perçu et nous en avons été écoeurés.
On m’a dit de vivre normalement. Ce qu’évidemment je n’ai pas fait.
Rester allongée 23h45 sur 24 peut sembler très contraignant voire impossible. Mais c’est mettre de très grandes chances de son côté… car qui dit fissuration de la poche des eaux dit souvent ouverture prématurée du col (qui se dit « tiens du liquide, c’est le jour de l’accouchement ! »).
Etre alitée, c’est vraiment ne pas bouger de son canapé. Il faut tout prévoir: boissons pour la journée, ordi, bouquins, tablette, téléphones, chargeurs (déjà branchés pour éviter de se pencher), nourriture. Et on groupe les actions : toilettes – frigo (pour récupérer le sac contenant déjà le repas froid et les couverts, n’allez pas cuisiner !) et hop ! à nouveau sur le canapé ! (en culpabilisant bien sûr car vous vous êtes levée !)
Certaines en profitent pour lire ou regarder des séries… Moi je n’y suis pas arrivée. Je me suis gavée de vidéos futiles sur Youtube, de parties de Candy Crush et d’émissions de déco.
Pendant cet intervalle à domicile (une hospitalisation était prévue à 25 SA si nous tenions), l’hygiène doit être exemplaire. S’il est possible de ne pas partager ses toilettes, il vaut mieux le faire. Lorsque ce n’était pas possible, mes proches les lavaient totalement à chaque fois… jusqu’à dix fois par jour.
Même si le corps médical ne m’en a pas informée (et c’est bien signe qu’ils pensent que toute femme ayant une poche des eaux fissurée n’a aucune chance de mener sa grossesse à terme ! ) les relations sexuelles sont interdites tout comme les bains. Les deux sont la porte d’entrée à la prolifération des bactéries (pouvant causer une chorioamniotite).
J’ai fait laver mes sous-vêtements à 60… Ils étaient ensuite rangés dans des sacs en plastique (ceux pour la congélation !) pour ne pas être en contact avec autre chose. C’était peut-être inutile mais peu importe.
Il fallait que je puisse agir et ces petits riens donnent le sentiment de faire quelque chose de constructif.
Je suis restée alitée (alitement non « strict » car je pouvais aller aux toilettes et prendre une douche en 4e vitesse) pendant 13 semaines. Pendant la longue hospitalisation, celle où l’on raye chaque jour et qu’à force le carton du calendrier est troué, je n’ai pas voulu descendre en fauteuil respirer l’air extérieur. Jamais je ne me serais pardonnée de mettre encore mon bébé en danger. On oublie vite ce que c’est qu’une vie normale. Heureusement.
Il y a les moments d’espoir parfois, quand enfin, on approche de 28 SA et de la grande prématurité. On se dit que bébé est presque sauvé.
Et là, un pédiatre vient vous démolir en vous racontant que si votre rejeton sort de vos entrailles sans problème (sachant qu’un bébé qui naît avant 34 SA a besoin d’assistance alimentaire et pulmonaire… ce qui sont des problèmes en soi), de toute façon il chopera une septicémie. Ou une maladie nosocomiale.
De quel droit un médecin peut-il affirmer de telles choses ? Comment peut-on oublier toute humanité en dressant un tableau si noir d’une situation qui n’est qu’hypothétique ? Pourquoi détruire l’espoir qui permet de ne pas se lever, de continuer à se battre ? Les forces morales jouent énormément dans ce long parcours et arriver à les reconstituer après une visite pareille ne se fait pas sans peine…
Soignants, si vous me lisez, ce dont je doute, rappelez-vous que ce vous dites à une femme enceinte alitée ne s’envole pas une fois que vous aurez passé la porte (en oubliant de la fermer… c’est pas comme si on pouvait le faire facilement ! ). Vos mots seront gravés pour toujours, tourneront et retourneront dans sa cervelle (eh oui ! on peut avoir fait d’autres études que médecine voire même pas d’études du tout et avoir quelques neurones à sa disposition !). Alors par pitié, choisissez vos mots !
J’en reviens encore à cette expression qui m’a torturée : « Expulser votre bébé » qui enclenche forcément un processus de culpabilité, d’angoisse terrible et de sentiment d’être une mauvaise mère alors que l’enfant va bien !
Une sage-femme, plus jeune que moi, probablement très sympathique au demeurant, a le jour où nous avons quitté l’hôpital dit la phrase suivante, faisant référence à la prématurité de mon bébé (né seulement 3 jours avant le terme, soit plus de 35 semaines de gestation pour le corps médical.) « Si votre bébé était normal, vous auriez pu sortir avant. »
J’ai été tellement choquée d’entendre ces mots que je n’ai pas réagi. Et j’ai pensé aux parents dont les enfants sont nés à 25, 28, 30 SA et qui sont confrontés à la peur des complications, à la peur de séquelles. Un bébé à peine prématuré est anormal ? Non, il a une longueur d’avance ! (merci SOS prémas….).
Je n’ai eu de considération avec certains médecins que lorsque j’ai explicitement dévoilé leurs sous-entendus en utilisant leur vocabulaire technique fraîchement appris dans leurs cours de médecine sur le net. Parce que s’asseoir sur le lit de la patiente, mettre la main sur sa cuisse, lui caresser le genou sous les yeux de son mari, ce n’est pas franchement ce qu’on attend. Cette compassion maladroite (dans le meilleur des cas, ne nous voilons pas la face…) on peut s’en passer. Comprendre pour mieux appréhender, accepter et combattre la situation, non.
Alors concrètement, que faire pour combattre cette putain de fissure ?
Beaucoup de médecins disent qu’il n’y a rien à faire. Pour moi, c’était impossible. Il fallait au moins limiter les risques.
Un repos strict, une hygiène corporelle drastique (attention tout de même à ne pas trop se laver pour ne pas détruire la flore vaginale qui combat les « mauvaises » bactéries !), des toilettes immaculées sur lesquelles vous pourriez manger, des sous-vêtements lavés à 60 (attention à ne pas garder les protections plus de 3h, mouillées elles peuvent favoriser la multiplication des bactéries), une abstinence totale, pas de bain (de toute façon à l’hôpital…).
Ce combat contre la mort, vous ne le vivez pas seule. Généralement les bébés se mettent à beaucoup interagir avec leur maman.
Croyez-le ou non, mon bébé n’a jamais autant bougé qu’après la première fissuration (bien sûr les hormones ont dû jouer) et lors de la visite du pédiatre.
J’y ai toujours cru car il était impossible d’accepter de perdre mon bébé. Et si lui bougeait pour me dire qu’il était là et qu’il se battait, moi qui avais bien plus de forces que lui, moi qui étais responsable de lui, je n’avais pas le droit de craquer, de baisser les bras, de ne plus y croire.
Et pourtant des moments difficiles il y en a eu. Les multiples protocoles d’urgence (où on ne sait pas si 45 minutes plus tard on sera césarisée… suspens !), les deux corticothérapies pour maturer les poumons de bébé, les tocolyses qui vous mettent KO mais qui calment enfin ces contractions, les dextros , les plateaux pour diabétiques alors que vous n’êtes pas diabétique, les plateaux repas immondes ou avec aliments non lavés voire très déconseillés aux femmes enceintes (avec terre sur la salade, gâteau de foie, fromage au lait cru et fraises), l’absence totale d’intimité (merci à l’aide-soignante venue récupérer le test urinaire alors que j’étais encore aux toilettes…), les pleurs terribles des autres patientes dans la nuit… et surtout les échographies de 45 minutes à une heure où l’on ne montre pas une fois, pas une seule, son bébé à une maman alitée depuis plus de trois mois. Echographie où le seul but est que de jeunes internes et externes voient le développement d’un foetus unique sans malformation à 32 SA.
Dès 8SA mon bébé a permis à de jeunes internes de s’essayer à l’échographie. En temps qu’enseignante, je trouvais très bien voire même glorifiant que notre petit embryon permette à de jeunes médecins de progresser dans leur spécialité. Seulement voilà… Comment peut-on oublier l’humain à ce point là ? Comment peut-on être aussi peu attentif et avoir aussi peu de bon sens ?
Voilà comment il est facile de faire craquer une future maman. Examinez son bébé sous toutes les coutures mais ne le lui montrez pas une seule fois l’écran. Et surtout si elle fait un malaise, continuez l’examen en la mettant sur le côté, il ne faudrait pas perdre une minute de ce temps si précieux.
Voilà donc la future maman confrontée à un dilemme : poser des questions qui la taraudent ou demander à la fin de l’examen à voir une minute son futur bébé… Les deux questions posées, l’écran est déjà éteint, la sonde nettoyée…
On est parfois si loin de l’humain. Mon médecin référent, qui m’a suivie 14 semaines, n’a pas jeté un seul coup d’oeil à un mon enfant après sa naissance et n’a pas répondu à notre bonjour lorsque nous l’avons croisé dans le couloir. Etre une pointure dans son domaine, c’est certes merveilleux, mais comment un gynécologue obstétricien peut-il n’en avoir rien à faire à ce point là de ces bébés qu’il a suivis jour après jour, échographie après échographie ?
Et puis il y a ceux qui vous serrent la main (oui, la première fois après deux mois, je vous assure qu’on verse une larme parce qu’enfin notre identité sociale a été reconnue et qu’on existe encore en tant qu’individu), qui vous disent « encore vous ! » voire même « bravo, vous avez tenu tout ce temps ! »… Il y a même ceux qui serrent la main du futur Papa et qui lui disent « bonjour Monsieur » au lieu de faire comme s’il n’existait pas… Et puis il y a toutes les sage-femmes qui répondent inlassablement (ou sans trop le montrer !) à toutes les questions et qui tentent d’apaiser nos angoisses, les aide-soignantes qui réconfortent.
Des moments durs, il y en a donc eu. Des déceptions aussi. Les proches qui ne prennent pas de nouvelles notamment. La mort qui plane fait peur certes mais la combattre ne se fait pas seul.
Mais dans ce long marathon psychologique, il y a eu de beaux moments aussi. La présence du futur Papa, les bons pour le lit accompagnant, les visites quotidiennes de mes parents avec des petits plats, les caps passés semaine après semaine : 25 (seuil de prise en charge du bébé), 28 (entrée dans la très grande prématurité), 30 (changement de dizaine important paraît-il), 32 (moins de problèmes respiratoires), 34 (réflexe de succion), 35 (unité kangourou voire maternité) et 36 (on s’approche du terme !), la première pizza engloutie en 5 minutes chrono, les discussions avec les kinés et les sage-femmes, les visites de quelques proches, les brassières et pulls tricotés par ma grand-mère, les beaux monitorings « celui-là, on pourrait le mettre dans un livre ! », l’unique séance de préparation à l’accouchement, l’énorme colis rempli de cadeaux de copines virtuelles, les longs mails et messages d’autres femmes en MAP qui d’inconnues sont devenues des proches, la force incroyable donnée par les échanges avec celles qui avaient été dans cette situation difficile, les textos ou visites surprises d’anciennes connaissances ou amies perdues de vue depuis plus de 7 ans…La « brioche » toute sèche du dimanche matin prenait souvent une saveur particulière ! Et même parfois les rires qu’on veut limiter à cause des contractions …Il y en a eu très peu, mais il y en a eu.
Mon parcours a été atypique. Fissuration de la poche des eaux à 22 SA, hospitalisation, retour au domicile à 22SA+4, fissure colmatée à 25SA, fissuration de la poche des eaux à 25+6, contractions et col en entonnoir à 14mm, hospitalisation, ouverture du col à 1 doigt, liquide à 15 un beau jour (erreur de calcul de l’interne ? nous ne saurons jamais !), col qui gagne en longueur utile grâce au repos, trois ou quatre protocoles d’urgence, trois tocolyses, deux corticothérapies, quatre antibiothérapies, fissure colmatée à 35+4, sortie de l’hôpital à 35 +6, fissuration de la poche des eaux à 36+1, hospitalisation, déclenchement avec gel et relai d’ocytocine à 36+3, poche des eaux percée par la sage-femme (eh oui ! vous avez bien lu !) et naissance de notre victorieux et persévérant bébé à 36+4.
Notre enfant n’a jamais manqué de liquide amniotique, ça a été une grande chance par rapport à d’autres bébés qui naissent tout comprimés dans leur poche. Un bébé peut se développer sans trop de liquide, si la poche des eaux s’est rompue, puisqu’il en reconstitue en urinant chaque jour. Une rupture de la poche des eaux n’entraîne pas de souffrance foetale directe. Mais le risque infectieux est plus grand car l’ouverture de la poche plus grande que lorsqu’elle est « simplement » fissurée.
Une MAP est toujours très difficile. Mais quant à celle-ci s’ajoute un risque infectieux, la grossesse prend une toute autre dimension car je doute qu’on puisse échapper à la culpabilité. Plus appréhender la mort que se réjouir de la vie qui est là en cette période qui aurait dû être si heureuse est une souffrance quotidienne pour les futures mamans qui ont connu ce genre de parcours. J’ai eu le sentiment de mettre mon enfant en danger et la délivrance me semblait bien porter son nom.
Le 22 Février 2015, mon bébé n’avait que 20% de chances de survie. Et encore moins de naître sans infection. Aucun médecin n’y croyait. Et pourtant, le prélèvement de cordon est revenu négatif le jour de mon accouchement.
Il faut de la chance, évidemment, mais aussi beaucoup de forces et de persévérance pour continuer à se battre en restant immobile. Mais cette Victoire vaut tous les sacrifices !