Jusqu'à présent, le système bancaire a toujours reposé sur des méthodes propriétaires (matérialisées par des algorithmes), dont seuls les concepteurs connaissaient le fonctionnement. Alors, les gestionnaires de fonds, courtiers et autres intermédiaires qui souhaitaient profiter de l'expertise – particulièrement réputée – de Goldman Sachs devaient négocier avec elle la mise en place de la stratégie d'investissement désirée et s'en remettre aveuglément à ses équipes pour sa mise en œuvre.
Avec la nouvelle stratégie qui se dessine aujourd'hui, finies ces cachotteries, les clients pourront disposer des outils (informatiques) exploités en interne par la banque et, ainsi, concevoir et implémenter eux-mêmes leurs modèles de trading, en fonction de leurs besoins. Les premières applications – qui concernent notamment les produits de taux (fixed income), les dérivés action et la gestion quantitative – sont déjà déployées auprès d'une vingtaine d'entreprises pilotes depuis le début de 2014.
Cette transformation au sein de Goldman Sachs est due à son DSI, R. Martin Chavez, dont l'inspiration est issue du mouvement du logiciel libre et de la philosophie du partage, prévalant dans la Silicon Valley. Le raisonnement qui sous-tend sa réflexion en est d'ailleurs assez proche : en leur offrant un service à forte valeur ajoutée, les clients seront enclins à confier une part plus grande de leur business à la banque, même s'ils ont toute latitude d'exécuter leurs opérations dans un autre établissement.
Le concept pourrait d'ailleurs être étendu à bien d'autres domaines que les plates-formes de trading. Parmi les candidats possibles à une ouverture à l'extérieur, figurent, par exemple, une solution d'accès mobile sécurisé aux applications d'entreprise (destinée aux collaborateurs) et un outil de messagerie spécialisé. Dans tous les cas, la seule question posée pour évaluer l'opportunité est : « ce logiciel est-il plus utile s'il est mis entre les mains des clients ou en restant confiné dans les murs de Goldman ? ».
Au-delà du développement de l'activité espéré grâce à cette approche, ses bénéfices sont également attendus au cœur de l'organisation, en procurant aux autres départements de la société (la banque d'investissement, entre autres) les moyens de développer des solutions innovantes pour leurs propres clients.
Les premiers résultats obtenus semblent confirmer la validité de cette audacieuse stratégie : les utilisateurs pilotes génèrent effectivement un chiffre d'affaires en hausse sensible auprès de l'institution. Pourtant, nombreux sont les observateurs qui restent sceptiques, mettant en doute la possibilité pour Goldman de compenser ainsi la perte de revenus provoquée par la distribution « publique » de ce qui représentait autrefois ses principaux différentiateurs concurrentiels, en matière d'analyse de marché.
En réalité, les géants de Wall Street n'ont guère d'autre choix que de se réinventer. Entre l'automatisation galopante de leurs métiers et la pression croissante de la réglementation, leurs revenus sont voués à baisser inexorablement. La seule solution à long terme est de renverser les modèles de manière radicale. Dans cette perspective, la « libération » des outils internes – qui prolonge un peu la (jeune) tradition de publication de notes de recherche – est une option (parmi d'autres) qui peut faire sens.