Le symbolisme des papillons est multiforme. Selon les cultures et les époques, ils sont associés à des valeurs positives : beauté de la nature, beauté de la forme, féminité, sensualité, été, naissance, mariage, bonne santé, jeunesse, connaissance ou négatives : folie, flamme, pluie, tornades, mort, faiblesse, vieillesse, impermanence, mauvais sort. Ron Galliardi, qui a consacré une thèse à ce sujet, en a trouvé 31 [1].
Ce papier se limite à l’Art occidental [2] et à un seul symbolisme : celui du papillon dans ses rapports avec la mort, matérialisée par un crâne. Commençons par l’origine du motif, dans l’Antiquité gréco-latine.
Sarcophage de Prométhée
3 ème siècle après JC, Musée du Capitole, Rome
Plusieurs sarcophages romains partagent cette iconographie, dans laquelle l’âme avec des ailes de papillon, Psyché, est représentée à plusieurs reprises.
La création de l’homme
On la voit d’abord dans la main d’Athéna (1), qui l’injecte sous forme de papillon dans la tête de la figurine d’argile façonnée par Prométhée.
Après la mort
On la retrouve à droite (2), sous forme de figurine ailée, dans les bras d’Hermès psychopompe qui la porte, après la mort du corps, vers les demeures souterraines d’Hadès.
Cette intaille reprend le thème d’une autre manière : Hermès tient dans sa main gauche une figurine humaine qu’il conduit vers le fleuve Acheron (en bas à droite), tandis qu’un papillon est posé sur son épaule droite, le bras droit tenant le caducée.
Au moment de la mort
Un cadavre est représenté au centre (3). Dès le XVIIème siècle, l’archéologue Giovanni Pietro Bellori comprend que le personnage ailé est Eros, éteignant sur le corps mort la torche qui représente les sensations du défunt. L’âme ailée s’échappe vers la droite, où elle va être récupérée par Hermès.
Ce motif est d’autant plus intéressant qu’il a donné naissance, grâce à une interprétation fautive, à une iconographie proliférante. Nous résumons ici l’histoire racontée en détail dans [3] . A la fin du XVIIIème siècle, Lessing réfute vigoureusement l’interprétation de Bellori : ce jeune homme ailé à la torche retournée ne représente pas Eros mais le Génie de la Mort, figure imaginaire et romantique, et qui va désormais contaminer la littérature et les cimetières tout au long du XIXème siècle.
Tombeau des Stuarts, Génie de la Mort,
Canova, 1829, Basilique Saint Pierre de Rome
Pendant la vie : Eros embrasse Psyche
Il aurait suffi à Lessing de regarder sur la gauche du sarcophage (4) pour retrouver le jeune homme aux ailes d’oiseau embrassant une jeune fille aux ailes de papillon, iconographie irréfutable d’Eros embrassant Psyché, le Désir se mettant en harmonie avec l’Ame.
Pendant l’amour : Eros tourmente Psyche
En contrepoint de ce motif très connu, l’art antique disposait d’un motif symétrique, tout aussi courant, mais qui est tombé ensuite dans l’oubli.
Eros brûlant un papillon avec une torche
Camée en jaspe rouge, 1er siècle avant JC
La flamme (le désir sexuel) torture l’Ame immortelle : cette scène figure notamment sur des gemmes égyptiennes de l’époque gréco-romaine, accompagnée d’incantations magiques destinées à embraser le coeur de l’ensorcelé(e). [4]
Selon certains (Futwängler [7]), ce motif pourrait signifier que l’âme aussi est mortelle, comme Lucrèce l’explique dans De la nature des choses (De Rerum naturae).
La torche et le papillon
A l’inverse, loin de toute intention métaphysique, le motif de la torche et du papillon relève parfois du pur badinage :
« Amour, si tu brûles trop souvent une âme qui voltige vers ton flambeau, elle s’enfuira ; elle aussi, méchant, elle a des ailes. » Méléagre, épigramme 57, 1er siècle avant JC
La torche nue
D’autant que la torche allumée ou éteinte est à elle seule un symbole sexuel évident :
« Je n’écris plus sur le beau Théron, ni sur cet Appollodote, tantôt feu étincelant, tantôt tison éteint. Je préfère l’amour des femmes : que l’étreinte du pédérastre aux fesses velues soit laissée aux chevriers qui baisent les chèvres ».Méléagre, épigramme 41, 1er siècle avant JC
« Non jam mihi scribitur formosus Theron, neque ille Apollodotus, modo ignis splendidus, nunc exstinctus titio. Praefero femineam venerem ; clunibus hispidi cinaedi compressio sit curae caprariis caprarum amantibus.
Si la torche représente le désir sexuel, il est probable que, dans certains cas, le motif de la torche retournée représente non pas son extinction définitive par la Mort, mais son extinction temporaire par l’Amour.
Illustrations de L’Antiquité expliquée, Bernard de Montfaucon, 1719
Planche 127, détail
Artemis avec une torche retournée.
Améthyste. Gravé par Apollonios. Seconde moitié du 1er siècle av JC
On la trouve également, associée à Diane/Artémis, comme symbole de la chasteté.
Dans la suite de cette analyse, nous allons approfondir la signification du papillon dans les mondes grecs et latins, en résumant les grandes lignes de la thèse passionnante de Chiara Blanco [5].
Psyche et phalaina
Il existe en grec deux mots pour désigner le papillon : psyche (Ψυχή) et phalaina (φάλαινα), qui a donné phalène en français (le papillon de nuit)
« phalaina est un petit animal qui vole autour des torches et les éteint ». Scholia in Aristophanem
Ainsi le motif de la torche embrasant le papillon prend le contrepieds de l’histoire naturelle, qui traduit quand à elle l’autre phase du combat métaphorique : celle où l’Ame essaye d’éteindre le Désir.
La phalène et la baleine
Etrangement, phalaina désigne aussi en grec la baleine (d’où le nom français). Chiara Blanco a trouvé le point commun qui pourrait expliquer pourquoi ces deux animaux si différents partageaient le même nom : à savoir le phototropisme.
« phalaina : créature qui est attirée par la lumière, l’une sous la forme d’un poisson et l’autre, qui va vers la lumière pendant la nuit, appelée aussi candelosbestria (κανδελοσβέστρια). La phalaina a le désir d’être avec l’homme… elle est effrontée car elle désire être avec l’homme. » Scholia ad Oppianum
Il est remarquable, mais peut être fortuit que, dans deux cultures très différentes – la grecque et la biblique – la bestiole aérienne et le géant des mers soient toutes les deux devenues des figures de la Résurrection.
L’équivalent latin : le dangereux papilio
Dans la sphère latine, le papilio, équivalent du phalaina grec, est vu également très négativement.
« Le papillon que la lumière des lampes attire est compté parmi les substances malfaisantes ; on lui oppose le foie de chèvre. Le fiel de la chèvre est un préservatif contre les maléfices faits avec la belette des champs »Pline, Histoire Naturelle, XXVIII, 45, Traduction française : E. Littré
Papilio quoque lucernarum luminibus advolans inter mala medicamenta
numeratur; huic contrarium est iocur caprinum, sicut fel veneficiis ex mustella rustica factis
.
D’autant plus qu’il s’attaque à l’un des piliers de l’économie romaine : les abeilles.
« Ce papillon lâche et vil, qui vole autour des flambeaux allumés, leur est funeste, et de plus d’une façon : il mange la cire, et laisse des excréments qui engendrent des teignes ; de plus, partout où il va il masque les fils d’araignée, qu’il couvre du duvet de ses ailes. Il s’engendre aussi dans le bois même de la ruche des teignes, qui font des ravages surtout dans la cire ».Pline, Histoire Naturelle, XI, 21 «
Papilio etiam ignavus atque inhonoratus, luminibus accensis advolitans, pestifer,
nec uno modo: nam et ipse ceras depascitur et reliquit excrementa, e quibus teredines gignuntur; fila etiam araneosa, quacumque incessit, alarum maxime e lanugine obtexit. Nascuntur e ligno teredines, quae ceras praecipue adpetunt.
Cette concurrence entre papillon et abeille est d’autant plus marquée que, dans la culture romaine, cette dernière est, elle-aussi, un symbole de l’âme : plutôt l’âme pure attendant l’incarnation, tandis que le papillon désigne ce qui survit à la mort.
Mais lorsqu’il s’agit d’insister non pas sur les aspects macabres, mais sur le mode de reproduction très particulier du papillon, fait de naissance et de re-naissance, les grecs emploient toujours l’autre terme, psyche. On en trouve la première occurrence chez Aristote :
« Ce qu’on appelle les papillons naissent des chenilles ; et les chenilles se trouvent sur les feuilles vertes, et spécialement, sur le légume connu sous le nom de chou. D’abord, la chenille est plus petite qu’un grain de millet; ensuite, les petites larves grossissent; elles deviennent en trois jours de petites chenilles; ces chenilles se développent; et elles restent sans mouvement; puis, elles changent de forme; alors, c’est ce qu’on appelle des chrysalides; et elles ont leur étui qui est dur. Quand on les touche, elles remuent. Elles sont entourées de fils qui ressemblent à ceux de l’araignée ; et l’on ne distingue à ce moment, ni leur bouche, ni aucune partie de leur corps. Après assez peu de temps, l’étui se rompt; et il en sort, tout ailés, de ces animaux volants qu’on appelle papillons (psyche). D’abord et quand ils sont chenilles, ils mangent et rejettent des excréments; mais une fois devenus chrysalides, ils ne prennent plus rien et ne rendent plus d’excrétions« . Aristote, Historia Animalium, Livre Cinquième, Chapitre XVII,551b
L’immobilité et l’absence d’alimentation de la phase « cocon », bien soulignée dans le texte, fait bien sûr penser à la mort, suivie par une résurrection glorieuse – sans nourriture ni déchets.
Dans la sphère latine, l’équivalent de psyche est animula, que l’on trouve employé au sens propre chez Cicéron :
« J’ai reçu vos longues lettres, qui sautaient vers moi comme de petits papillons »
Ciceron Epistulae ad Atticum,IX, 7.
« Attulit uberrimas tuas litteras, quae mihi quiddam quasi animulae restillarunt. »
Mais c’est dans le très connu poème d’Hadrien que l’association papillon-âme (animula-anima) est portée au sommet :
Papillon, « âme tendre et flottante,
compagne de mon corps, qui fut ton hôte,
tu vas descendre dans ces lieux
pâles, durs et nus,
où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois.»
Hadrien,Carmina Traduction M.Yourcenar (*)
Animula vagula blandula,hospes comesque corporis,
quo nunc abibis? In loca
pallidula rigida nudula,
nec ut soles dabis iocos
(*) sauf pour « papillon », traduit par elle « petite âme ».
Le papillon et son crâne
Dans l’imaginaire grec, la phalaina – le papillon sous sa forme nocturne et maléfique – semble entretenir une affinité particulière avec la Tête :
« Elle a une terrible tête, qu’elle hoche de manière sinistre, et un ventre lourd. Si avec son aiguillon elle pique un homme sur le haut de la tête, ou dans son cou, elle le condamne aisément et immédiatement à mort. » Nicander, Scholia in Nicandri Theriaka
Selon certains spécialistes, cette tête orné d’ailes de papillons représenterait Platon méditant sur l’immortalité de l’Ame (Winckelmann) ; selon d’autres, ce serait le Dieu du Sommeil, Hypnos (Furtwängler) [7]. Il existe néanmoins plusieurs intailles antiques où la première interprétation est certaine :
Philosophe méditant sur l’immortalité de l’âme,
Sardoine antique
Reproduit dans Antique Gems and Rings, Charles William Kingdd
Cette affinité entre le crâne et le papillon n’est pas qu’anecdotique : elle constitue la vulgarisation d’une conception très particulière de l’âme-moelle, résidant non seulement dans la tête, mais dans divers fluides corporels. C’est ce qu’explique le Timée de Platon, dont nous donnons ci-après quelque extraits [6].
La moelle, semence universelle
Dieu prit les triangles primitifs réguliers et polis… les mêla les uns aux autres en due proportion, et en fit la moelle, préparant ainsi la semence universelle de toute espèce mortelle. Puis il y implanta et y attacha les diverses espèces d’âmes, et au moment même de cette répartition originelle, il divisa la moelle elle-même en autant de sortes de figures que chaque espèce devait en recevoir.
Celle qui est dans la tête est divine.
« Une partie devait, comme un champ fertile, recevoir en elle la semence divine ; il la fit exactement ronde et il donna à cette partie de la moelle le nom d’encéphale, dans la pensée que, lorsque chaque animal serait achevé, le vase qui la contiendrait serait la tête. »
Les autres moelles sont mortelles
« L’autre partie, qui devait contenir l’élément mortel de l’âme, il la divisa en figures à la fois rondes et allongées et il les désigna toutes sous le nom de moelle. Il y attacha, comme à des ancres, les liens de l’âme entière, puis construisit l’ensemble de notre corps autour de la moelle, qu’il avait au préalable enveloppée tout entière d’un tégument osseux…. Ainsi, pour protéger toute la semence, il l’enferma dans une enveloppe pierreuse, à laquelle il mit des articulations… » Timée/73c-74c
Plus d’âme, moins de chair
« A ceux des os qui renfermaient le plus d’âme il donna la plus mince enveloppe de chair et à ceux qui en contenaient le moins, l’enveloppe la plus ample et la plus épaisse… c’est que les chairs abondantes, éparses et fortement tassées les unes sur les autres, auraient par leur rigidité rendu le corps insensible, affaibli la mémoire et paralysé l’intelligence. Voilà pourquoi les cuisses et les jambes, la région des hanches, les os du bras et de l’avant-bras et tous nos autres os qui n’ont pas d’articulations, et aussi tous les os intérieurs qui, renfermant peu d’âme dans leur moelle, sont vides d’intelligence, tous ces os ont été amplement garnis de chairs ; ceux, au contraire, qui renferment de l’intelligence, l’ont été plus parcimonieusement ».
La tête humaine : fragile, mais sensible
« …l’espèce humaine, couronnée d’une tête charnue, nerveuse et forte, aurait joui d’une vie deux fois, maintes fois même plus longue, plus saine, plus exempte de souffrances que notre vie actuelle. Mais en fait les artistes qui nous ont fait naître, se demandant s’ils devaient faire une race qui aurait une vie plus longue et plus mauvaise, ou une vie plus courte et meilleure, s’accordèrent à juger que la vie plus courte, mais meilleure, était absolument préférable pour tout le monde à la vie plus longue, mais plus mauvaise. C’est pour cela qu’ils couvrirent la tête d’un os mince, mais non de chairs et de nerfs, puisqu’elle n’a pas d’articulations. Pour toutes ces raisons la tête qui fut ajoutée au corps humain est plus sensible et plus intelligente, mais beaucoup plus faible que le reste. »
De la moelle au sperme
« Parmi les hommes qui avaient reçu l’existence, tous ceux qui se montrèrent lâches et passèrent leur vie à mal faire furent, suivant toute vraisemblance, transformés en femmes à leur deuxième incarnation. Ce fut à cette époque et pour cette raison que les dieux construisirent le désir de la conjonction chamelle, en façonnant un être animé en nous et un autre dans les femmes, et voici comment ils firent l’un et l’autre. Dans le canal de la boisson, à l’endroit où il reçoit les liquides, qui, après avoir traversé les poumons, pénètrent sous les rognons dans la vessie, pour être expulsés dehors sous la pression de l’air, les dieux ont percé une ouverture qui donne dans la moelle épaisse qui descend de la tête par le cou le long de l’échine, moelle que dans nos discours antérieurs nous avons appelée sperme. Cette moelle, parce qu’elle est animée et a trouvé une issue, a implanté dans la partie où se trouve cette issue un désir vivace d’émission et a ainsi donné naissance à l’amour de la génération. Voilà pourquoi chez les mâles les organes génitaux sont naturellement mutins et autoritaires, comme des animaux sourds à la voix de la raison, et, emportés par de furieux appétits, veulent commander partout ».
Figure éjaculant sur un papillon
Vase à figures noires, 6ème siècle avant JC, Pergamon Museum, Berlin.
L’utérus est un animal
« Chez les femmes aussi et pour les mêmes raisons, ce qu’on appelle la matrice ou l’utérus est un animal qui vit en elles avec le désir de faire des enfants. Lorsqu’il reste longtemps stérile après la période de la puberté, il a peine à le supporter, il s’indigne, il erre par tout le corps, bloque les conduits de l’haleine, empêche la respiration, cause une gêne extrême et occasionne des maladies de toute sorte, jusqu’à ce que, le désir et l’amour unissant les deux sexes, ils puissent cueillir un fruit, comme à un arbre, et semer dans la matrice, comme dans un sillon, des animaux invisibles par leur petitesse et encore informes, puis, différenciant leurs parties, les nourrir à l’intérieur, les faire grandir, puis, les mettant au jour, achever la génération des animaux. Telle est l’origine des femmes et de tout le sexe féminin. » Timée/91-92b
En établissant, grâce à la notion de « moelle » un continuum entre l’encéphale et le sperme, l’une siège de la semence divine, l’autre de la semence humaine, le Timée nous donne une vision dynamique, étonnamment « liquide », de ce qu’est l’immortalité : un fluide qui se propage d’un squelette à un autre.
Du coup, buvons tant que nous sommes vivants et que le fluide nous traverse.
Coupe à boire avec des squelettes
Trésor de Boscoréale, Fin du Ier siècle avant J.-C, Louvre Paris
« Le premier des grands squelettes tient de la main droite une bourse bien garnie, surmontée du mot phtonoi ( envies). Il la porte en arrière comme pour la dérober aux regards, tandis qu’il présente au personnage couronné de fleurs un papillon, image de l’âme : psychion (petite âme) dont il serre délicatement les deux ailes entre les doigts de la main gauche. Le mouvement de ses bras et de ses mains indique la pesanteur du premier objet et l’extrême légèreté du second …
Cette première scène… exprime nettement l’idée de la jouissance matérielle et indique les raisons qui, selon la morale païenne, doivent pousser l’homme à se livrer au plaisir. Après la mort, l’âme fugitive s’envole et disparait, semblable à un papillon ; du corps il ne reste que des ossements insensibles dont il est inutile de s’occuper. Il faut jouir de la vie, car le lendemain est incertain ! » [9]
Le gobelet de Boscoréale, avec sa morale épicurienne, aurait pu servir aux héritiers du gai défunt de cette épitaphe trouvée à Obulco (Andalousie) :
« Je recommande à mes héritiers d’amener du vin pur avec les cendres, pour faire voleter mon papillon enivré ».
Heredibus mando etiam cinere ut m[era vina ferant], volitet meus ebrius papilio »
Memento mori
Mosaïque pompéienne, 1er siècle avant JC, Museo Archeologico Nazionale di Napoli
Pour en terminer avec le monde gréco-latin, voici un des plus beaux exemples de papillon posé sur un crâne.
La mosaïque représente la Roue de la Fortune qui tourne entre la richesse (symbolisée à gauche par l’étoffe pourpre, le sceptre et la couronne) et la pauvreté (symbolisé à droite par la besace, le bâton et le manteau de mendiant).
En haut, le niveau rappelle que la mort égalise tout : ne reste ensuite que l’âme immortelle posée, selon l’expression de Platon, sous son « enveloppe pierreuse ».
Durant le Moyen Age, ce symbolisme s’oublie , bien que le papillon prolifère dans les marges d’innombrables enluminures – à titre seulement décoratif. Car désormais l’âme immortelle s’est trouvé une représentation plus orthodoxe.
Enluminure du Pélerinage de l’Ame, de Guillaume de Digueville
14e s, Bibl. Sainte-Genevieve, ms. 1130, Paris
Dédaignant le Démon quadrupède, l’Ame qui a désormais forme humaine emboîte le train de celui à qui elle ressemble : l‘Ange. A noter qu’étant immatérielle, elle n’a même pas besoin d’ailes.
Miniature de St. Vincent (détail en haut à gauche)
Heures de Catherine de Cleves,
Utrecht, vers 1440, The Morgan Library, New York
Parmi les huit papillons qui décorent les marges autour de Saint François, ce Vulcain montre, dans les motif de son aile, une tête de mort.
Vanessa atalanta
L’enlumineur a à peine accentué ce visage paréidolique, qui se forme dès que deux ocelles ressortent pour figurer les yeux, avec une tâche plus allongée pour la bouche..
Triptyque du Jugement dernier(détail)
Memling, 1467-71, Musée National Gdansk
Le Vulcain hallucinatoire
Il est remarquable que Memling ait choisi le même Vulcain aux tâches anthropomorphes pour orner l’aile de ce démon, occupé à enflammer définitivement une luxurieuse.
La gueule de l’Enfer, Polyptyque de la Vanité et de la Rédemption,
Memling, vers 1490, Musée de Strasbourg
On connait par ailleurs son intérêt pour les figures cachées, non pas purement gratuites, mais justifiées par le pouvoir diabolique de susciter des hallucinations. Ici, en plus de la figure grimaçante qui apparaît sur le torse du démon, on note un rocher anthropomorphe dans le rôle du témoin désolé (en jaune), et une seconde gueule, faite de flammes (en blanc), qui surcharge le gueule de l’enfer en lui empruntant sa langue et sa canine. (sur l’interprétation d’ensemble de ce polyptyque, voir Le Polyptyque de Strasbourg )
Le Vulcain infernal
Dans le Jugement de Gdansk, un second démon à droite du premier joue de la fourche : il porte lui aussi des ailes de Vulcain, cette fois autour des fesses.
La coloration noire et rouge, harmonisée avec les couleurs de l’Enfer, plus sa capacité de susciter des images cachées, peut justifier le choix du Vulcain comme accessoire démoniaque.
Le papillon diabolique
Cependant, dans le panneau central, on retrouve un démon habillé des ailes d’une Petite Tortue (Aglais urticae) qui possède le même chromatisme noir et rouge, mais cette fois en plein soleil, à proximité des irisations de l’arc en ciel et des plumes de paon de l’archange : diabolique, le papillon le reste donc, même éloigné des flammes infernales.
Il semble qu’il a existé au Moyen Age une double symbolique du papillon : positive pour le papillon blanc – sorte de substitut de la colombe du Saint Esprit, en général à côté d’une Vierge à l’Enfant – et négative pour le papillon coloré et tacheté, en cohérence avec la préférence bien connue de l’oeil médiéval pour les couleurs unies, et son aversion pour les motifs zébrés ou bariolés. Pour des exemples et une discussion détaillée sur ce sujet, voir [11]
Après une longue éclipse, le papillon va revenir en force chez les peintres flamands : vedette des natures mortes florales – où il contribue à célébrer la magnificence de la création, on le trouve aussi dans les Vanités, où il se charge de souligner la fugacité et la fragilité de l’existence.
A noter l’inversion remarquable par rapport à la symbolique médiévale : le papillon coloré va écraser en popularité le papillon blanc, qui joue désormais les utilités. D’une part parce que l’esprit protestant a fait table rase, après une période d’intenses destructions, des symboliques antérieures. Mais surtout parce qu’un peintre se valorise plus auprès de son acheteur en peignant, à l’écaille près, les ailes somptueuses d’un Vulcain plutôt que la pauvre tâche noire sur fond blanc de la Piéride du chou.
Parmi les nombreuses Vanités à papillons, il n’existe cependant que quelques rares exemples où la présence insistante d’un papillon à proximité immédiate d’un crâne, suggère qu’après un long périple souterrain, la métaphore gréco-latine commence à refaire surface.
Vanitas
Jan Sanders van Hemessen, 1535, Palais des Beaux-Arts de Lille
Dans cet extraordinaire panneau, un ange aux ailes de macaon porte un miroir dans lequel apparaît un crâne. Le miroir complique l’interprétation, mais ce tableau complexe pourrait bien signer la réapparition de l’âme-papillon en peinture. Voir Le miroir transformant 2 : transfiguration
Livre de modèles de calligraphie de Rodolphe II.
Joris Hoefnagel , 1591-1596 , Musée Paul Getty
Ce manuscrit exceptionnel a d’abord été composé par le calligraphe Bocskay pour l’empereur Ferdinand d’Autriche, entre 1561 et 1562. Trente ans plus tard, son petit fils Rodolphe II l’a fait illustrer par Joris Hoefnagel, qui s’est inspiré librement des textes dans son style d’un naturalisme méticuleux.
Le texte
Dans cette page, le texte est tiré de la liturgie du quatrième dimanche après l’Epiphanie :
« O Dieu, qui sais que parmi tant de grands dangers, du fait de la fragilité humaine, nous ne sommes pas faits pour subsister :donne-nous la santé de l’âme et du corps pour que, de ce dont nous souffrons à cause de nos péchés, nous puissions avec ton aide triompher. »
« Deus, qui nos in tantis periculis constitutos, pro humana scis fragilitate non posse subsistere: da nobis salutem mentis et corporis ut ea quae pro peccatis nostris patimur, te adjuvante, vincamus. Per Dominum. »
L’illustration
Si la poire illustre l’homme souffrant à cause de ses pêchés, on ne voit pas bien quelle aide divine pourrait l’aider à recouvrer la santé. L’illustrateur semble donc oublier le versant positif des choses, et forcer le texte dans le sens de la fragilité humaine et de la mort, illustrées par le fruit coupé.
A première vue, le papillon figure, avec la chenille, la mouche et le mille-pattes, dans le camp des nuisibles venus se repaître de sa putréfaction.
A seconde vue, on remarque que le papillon, n’ayant pas besoin de manger, se distingue des agresseurs. De plus, isolé sur la queue de la poire, il présente une symétrie de forme avec elle.
Hoefnagel n’a pas oublié la partie positive du texte : si la poire figure l’homme ayant succombé aux périls, le papillon représente
son triomphe final grâce à Dieu, son âme noire et blanche, pécheresse et pardonnée, revenue contempler son cadavre.
Vanité au papillon
Jacques Linard, 1634, Collection privée
Le contraste entre le crâne – lourd presse-papier écrasant le livre fermé, et le papillon – feuille vivante effleurant la lettre ouverte, crée entre eux un inévitable dialogue.
D’autant que le Paon de jour (Nymphalis io) se trouve encadré sur sa gauche par une figure de la putréfaction (la poire) et sur sa droite par un symbole de la résurrection (le coquillage dont la spirale se reproduit semblable à elle-même)
Paon du jour
Epitaphe de Bernouilli
Eadem mutata resurgo
(Deplacée, je réapparais la même)
Assistons-nous ici à la résurrection de la phalène comme métaphore de l’Ame, équidistante de la Mort et de la Résurrection ?
Vanité
Adriaen van Nieulandt, 1636, Frans Hals Museum, Haarlem
Le billet qui dépasse du livre porte la devise en français : « Mourir pour vivre ».
Celui collé sous le crâne porte l’expression latine : « Aquid sunt aliud, quum breve gaudium » « y a-t-il autre chose qu’une joie brève ».
Le papillon est une Ecaille Martre (Arctia caja). Sa position, entre les pétales tombées et la coquille, entre flétrissure et éternité, est identique à celle de la Vanité de Linard et milite, là encore, en faveur d’une représentation de l’âme.
D’autant qu’au beau milieu du crâne, un nouvel arrivant fait son apparition et contraste, par sa noirceur, avec la Beauté du papillon : la mouche, symbole de la Mort et de la Corruption des chairs.
Vanité, Simon Renard de Saint André,
1650-1677, Collection privée
Sur le livre, on peut lire « Le tombeau des plaisirs : l’odorat ». La mouche posée sur le crâne fait encore système avec le Vulcain posé sur la rose : deux bestioles attirées par une odeur, l’une infecte, l’autre divine.
Contrairement au vieux symbole gréco-latin, le coléoptère libéré du squelette évite de revenir s’y poser : car le monde chrétien dispose maintenant de son cousin satanique, le diptère, préposé aux basses besognes.
Vanité
Tomas Yepes, entre 1640 et 1670, Collection privée
C’est ici un machaon (Papilio machaon) qui, passant au dessus de la mèche fumante, réinvente la vieille affinité avec la torche.
Hésitant, le papillon de Yepes semble suspendre son vol entre trois cibles, et trois iconographies : deux antiques (la flamme et le crâne) et une moderne (la rose).
Vanité
Jan van Kessel, vers 1665-1670, National Gallery of Art, Washington
On voit ici, malgré la présence du crâne, la difficulté d’associer le papillon à l’Ame, dès lors qu’il y en a plusieurs, à la fois blancs et colorés, et qu’ils rivalisent de volatilité avec des bulles de savon.
Le tableau exactement contemporain qui suit va, en revanche, resserrer la symbolique de manière indubitable.
Vanité
Maria Van Oosterwyck, 1668, Kunsthistorisches Museum Vienne
Le Vulcain posé sur la grosse brochure centrale fait écho à la mouche posée, non pas sur le crâne, mais sur un petit livre fermé.
Le livre de la mouche
Sur la note coincée dans le livre, on lit la mention Self-Stryt (Combat contre soi-même), le livre en dessous étant l’Imitatio Christi (L’imitation de Jésus-Christ).
La petitesse de la mouche réduit à un vrombissement toute la philosophie et toute la religion. Le sablier qui ne coule plus, la plume qui n’écrit plus (encore tâché d’encre), le globe céleste qui ne tourne plus, confirment que la voie de l’Etude est sans issue.
Car la mort fait cesser tous les combats, même les plus nobles.
Un globe céleste presque identique
Judocus Hondius de Jonge et Adriaen Veen, 1613, Musée Maritime, Amsterdam
Le livre du papillon
Le titre « Rekeningh » désigne un Livre de Comptes fatigué, qui complète la bourse et les pièces : tous objets dont la légèreté du papillon – qui ne fléchit même pas la couverture – souligne la pesanteur, inutile dans l’Au Delà.
Car la Mort clôture tous les comptes.
Juste au dessus des ailes, on peut lire sur la couverture « Nous vivons pour mourir et nous mourons pour vivre » « Leeuen om te steruen/En /Steruen om te leeuen », devise qui désigne clairement le papillon comme l’âme humaine, en attente de la résurrection de son corps.
De l’autre côté de la bestiole, sur la lettre coincée sous le livre de comptes, une citation biblique confirme la brièveté de la vie humaine :« L’homme est enfanté par la femme pour bien peu de jours et beaucoup de tracas« . Job 14,1
Les tracas
Le coin en bas à gauche semble dédié à ces tracas qui rongent notre existence : on y voit un épi de maïs à moitié dévoré, et une souris qui s’attaque à un épi de blé. Une piéride du choux (Pieris brassicae) s’attaque, plus haut, à un autre épi planté dans le bouquet.
En pendant à la flûte, un autre instrument de musique, rarissime, complète cette idée de dévoration universelle : il s’agit d’une crécelle de lépreux (voir un autre exemple dans La boule mystérieuse).
A la dévoration de la chair divine (le blé) s’ajoute celle de la chair humaine.
Une autre Vanité avec crécelle de lépreux
Jan Davidsz de Heem, 1651, Musées Royaux des Beaux Arts, Bruxelles
La fiole
Au centre de ce désastre, la fiole fermée par un bouchon d’argent, marquée « Aqua Vitae », semble indemne de toute corruption : son liquide rouge évoque ici moins le vin de l’ivresse que celui de l’Eucharistie. Sur le reflet, on voit la fenêtre de l’atelier et même, minuscule, la peintre à son chevalet [10]
Le paradoxe de ce type d’autoportrait furtif est qu’il immortalise et magnifie à tout jamais l’habilité du peintre, comme si, par exception à la règle des Vanités, la seule permanence en ce monde était autorisée dans ces objets picturaux de second ordre que sont le reflet et le détail.
(pour d’autres exemples de Vanités à la boule réfléchissante, voir Le peintre et son image : de la Vanité à la virtuosité.)
Dans leur recherche de sujets rares pour amateurs de classiques, quelques artistes du XIXème siècle ont repris littéralement la métaphore âme-papillon (sans le crâne).
L’Amour tourmentant l’âme
Augustin Dumont, 1877, Musée des Beaux Arts, Amiens
Ou bien, au choix, pour ceux qui sont arrivés jusqu’ici en lisant en diagonale :
- Aristote enfant étudiant à la clarté d’une torche la transparence d’un papillon
- Ange pesant une âme dans un courant d’air chaud
- l’Animus réchauffant l’Anima (vieux folklore zürichois)
le Cà se vengeant du Surmoi (vieux folklore viennois).
L’âme captive,
Bouguereau, 1891, Toledo Museum of Art, Toledo
Soit encore, par les mêmes exégètes :
- Aristote enfant étudiant à la clarté du soleil la transparence d’un papillon
- Ange s’interrogeant sur le sexe d’un papillon
- le Soufre fixant le Mercure
- un gros Cà et un petit Surmoi
Nous terminerons le parcours par ce grand créateur d’iconographies tortueuses que fut William Holman Hunt, avec une oeuvre insolite où il est question d’un papillon, d’un crâne, et et de deux âmes perdues, sans aucun rapport avec la métaphore antique.
Le berger mercenaire
The hireling shepherd
William Holman Hunt, 1851, Manchester Art Gallery, Manchester
Le texte de Shakespeare
Comme à son habitude, Hunt exposa ce tableau avec comme légende un passage de Shakespeare :
Que tu veilles ou que tu dormes, joyeux berger,
Si tes brebis s’égarent dans les blés,
Un signal de ta bouche mignonne
Préservera tes brebis d’un malheur.
Shakespeare, Le roi Lear, Acte III, scène 6
Traduction de François-Victor Hugo
Thy sheep be in the corn;
And for one blast of thy minikin mouth,
Thy sheep shall take no harm.
Un peu court pour donner un sens à tous les détails de cette composition compliquée, dont le clou est ce bizarre papillon qui ne doit rien à Shakespeare. En outre, le titre du tableau Le berger mercenaire, n’est pas shakespearien, mais évangélique :
« Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire, lui, n’est pas le pasteur, car les brebis ne lui appartiennent pas : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse ». (Jean, 10,10-12)
Le Mauvais Pasteur
De manière très inhabituelle, Hunt a cru bon de fournir cinquante ans plus tard une explication détaillée, qu’il suffit de citer pour éclaircir de nombreux points.
« La chanson de Shakespeare représente un berger qui néglige son véritable devoir, celui de garder les moutons : au lieu d’utiliser sa voix pour faire honnêtement son devoir, il se sert malignement de sa « bouche mignonne ». Il est du type de ces autres pasteurs à la tête confuse qui, au lieu d’effectuer leurs services auprès de leurs ouailles – qui sont constamment en danger – font de vains discours sans valeur pour l’âme humaine. »Lettre à J.E.Pythian, 21 January 1897, Manchester City Art Gallery « Shakespeare’s song represents a shepherd who is neglecting his real duty of guarding the sheep: instead of using his voice in truthfully performing his duty, he is using his « minikin mouth » in some idle way. He was a type thus of other muddle headed pastors who instead of performing their services to their flock — which is in constant peril — discuss vain questions of no value to any human soul. »
En 1851, les esprits étaient travaillés par la crainte de voir l’église catholique profiter des divisions entre les différentes tendances des Anglicans pour reprendre pied sur les Iles Britanniques.
La représentation du Mauvais Pasteur est très exceptionnelle, et sert toujours à mettre en valeur l’image du Bon Pasteur (voir des exemples dans La Brebis perdue) Le Mauvais Pasteur représenté seul – et même pire : en conversation rapprochée avec une bergère – est donc une iconographie unique, rendue possible par ce climat particulier d’inquiétude religieuse.
Le Sphinx à tête de mort
Hunt poursuit ainsi son explication :
« Mon imbécile a trouvé un Sphinx à tête de mort , cela remplit son petit esprit de pressentiments de malheur et il le montre à une conseillère tout aussi sage, pour avoir son opinion. » « My fool has found a death’s head moth, and this fills his little mind with forebodings of evil and he takes it to an equally sage counsellor for her opinion. »
Hunt a donc choisi ce papillon – qui porte sur lui la marque de sa nocivité – comme emblème non pas d’une catastrophe annoncée, mais de la superstition qui frappe les esprits faibles. Ce n’est pas par son supposé pouvoir maléfique mais parce qu’il suscite « de vains discours sans valeur pour l’âme humaine« , que le papillon va provoquer, indirectement, une série de catastrophes.
Des catastrophes en chaîne
Voici la fin de la lettre :
Elle méprise son anxiété, par ignorance plutôt que par profondeur, tout en le détournant de sa fidélité : pendant qu’elle nourrit son agneau avec des pommes vertes, il laisse ses moutons passer la limite et pénétrer dans le champ de blé. Ce n’est pas seulement que le blé sera gâté, mais en le mangeant les moutons sont condamnés à la destruction, en « gonflant », selon le terme des fermiers. » « She scorns his anxiety from ignorance rather than profundity, but only the more distracts his faithfulness: while she feeds her lamb with sour apples his sheep have burst bounds and got into the corn. It is not merely that the wheat will be spoilt, but in eating it the sheep are doomed to destruction from becoming what farmers call « blown. »
Ainsi, la discussion oiseuse conduit à plusieurs catastrophes : les moutons passent la rangée d’arbres au risque de se noyer dans le marécage ; ils vont gâcher la récolte de blé (on en voit déjà un au milieu des épis) et ils en seront bien punis (météorisme, puis mort).
Par contraposée, le Bon Pasteur vu par Hunt n’a même pas besoin d’être celui qui « donne sa vie pour ses brebis » : il lui est tout au plus demandé de garder à l’oeil ses ouailles, trop pressées de franchir les limites et de succomber aux excès.
Comme un panneau « Danger de Mort ! », le papillon marque la limite à ne pas dépasser.
Une vilaine fille
Au milieu de cette théologie musclée, le personnage féminin – nécessaire pour expliquer l’inattention du berger – complique considérablement la lecture.
Faut-il s’en tenir à l’explication psychologisante de Hunt – elle méprise sa peur, non parce qu’elle est plus sage, mais parce qu’elle n’en comprend même pas la cause ?
Ne peut-on pas subodorer, dans cette barrique , dans ces faces rougeaudes, dans ces mains si proches, une pulsion plus forte qu’un mauvais pressentiment ? Le papillon n’est-il pas le prétexte à un flirt poussé, et le discours moral la couverture d’une sexualité champêtre ?
Ou bien, à l’inverse, faut-il pousser encore plus loin dans le symbolisme, et voir dans cette mauvaise fille, qui couvre son agneau en plein midi en plein été, qui lui donne des pommes vertes au risque de l’empoisonner, à la fois une nouvelle Eve et une mauvaise Marie ?
Pour prolonger cette aventure, il suffit de taper « butterfly » et « skull » dans un moteur de recherche pour constater combien le thème du crâne et du papillon est devenu populaire ces dernières années, propulsé par le goût gothique, décliné à l’infini comme motif décoratif ou de tatouage.
Références : [1] Voir http://www.insects.org/ced4/symbol_list1.html et http://www.insects.org/ced4/symbol_list2.html [2] Pour une vue d’ensemble des papillons dans l’art : https://fr.wikipedia.org/wiki/Papillons_dans_la_peinture [3] Eros and Thanatos, http://eroscoin.blogspot.fr/2011/03/eros-and-thanatos.htmlA croire que l’accoutumance moderne aux images a rendu notre rétine suffisamment tolérante pour supporter la fusion de ces deux motifs extrêmement réactifs, l’un parce qu’il est probablement câblé parmi les signaux d’alerte de l’espèce, l’autre parce qu’il a suggéré aux hommes d’avant la quadrichromie et les quadriréacteurs, la possibilité cumulée de la Beauté et de l’Envol.
Voir aussi http://www.forumancientcoins.com/ayiyoryitika/ProlegomenaEros.html [4] Voir Burning Butter flies: Seals, Symbols and the Soul in Antiquity, Verity Platt http://www.academia.edu/301927/Burning_Butterflies_Seals_Symbols_and_the_Soul_in_Antiquity [5] The soul as a butterfly in Greek and Roman thought (2013) http://etheses.dur.ac.uk/9419/1/THESIS-BLANCO.pdf?DDD3+ [6] Platon, Timée, traduction d’Émile Chambry http://ugo.bratelli.free.fr/Platon/Platon-Timee.htm [7] ASPECTS OF DEATH, AND THEIR EFFECTS ON THE LIVING, AS ILLUSTRATED BY MINOR WORKS OF ART, ESPECIALLY MEDALS, ENGRAVED GEMS, JEWELS, &c.: PART IV (Continued) F. Parkes Weber The Numismatic Chronicle and Journal of the Royal Numismatic Society
Fourth Series, Vol. 10 (1910), pp. 163-202 http://www.jstor.org/stable/42663630?seq=1 [8] Meleagre http://users.skynet.be/remacle2/erotique/meleagre.htm [9] Le Trésor de Boscoreale Antoine Héron de Villefosse Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot Année 1899 Vol 5 http://demo.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1899_num_5_1_1160?_Prescripts_Search_tabs1=advanced& [10] Le site très documenté d’un spécialiste de Maria van Oosterwijck (Noud Janssen) http://mariavanoosterwijck.nl/oeuvre/vanitasschilderijen/a1
Pour un autre autoportrait de Maria dans un reflet , voir http://mariavanoosterwijck.nl/oeuvre/bloemstillevens-boeketten/b26 [11] Par l’entomologiste Alcimar do Lago Carvalho et traduit par Jean-Yves Cordier , un très intéressant article sur la symbolique du papillon dans l’art du Moyen Age
http://www.lavieb-aile.com/article-les-papillons-dans-un-tableau-de-hans-memling-125258718.html [12] Du même, en plus détaillé: « Papillons entre le ciel et l’enfer: Comparaison des Pieridae et des Nymphalidae (Insecta: Lepidoptera) dans les natures mortes des Pays-Bas au XVIIe siècle » http://www.lavieb-aile.com/article-papillons-entre-le-ciel-et-l-enfer-comparaison-de-la-pieridae-et-nymphalidae-insecta-lepidoptera-125297008.html [13] Voir http://www.victorianweb.org/painting/whh/replete/hireling.html