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J’ai habité chez une voyante, et ça je ne l’avais pas vu venir

Publié le 16 août 2015 par Valentine D. @sciencecomptoir

En allumant la télévision ce soir, je suis tombée sur une émission qui listait une série de faits étranges et paranormaux. Il fut un temps où je trouvais ces émissions loufoques et divertissantes, mais leur vue m’est désormais insupportable. Et dire que ce genre de programmes passe en prime time ! J’aimerais tellement qu’ils soient plutôt remplacés par des chroniques de La Tronche En Biais, par exemple. Ça, ça serait utile et autrement intéressant.

Si ce style d’émissions m’arrache des haut-le-cœur, c’est parce que je sais maintenant que certains y croient vraiment. Sont-ce Jésus dans cette tache d’huile de moteur ou Bécassine dans ce nuage ? Sont-ce mon poing dans ta gueule ? Assurément. Ce ne sont rien d’autre que paréidolie, voyons ! Et ces histoires d’esprits frappeurs ? Un petit tour du côté d’Hygiène mentale qui fait du bien par où ça passe.

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Sans doute la plus belle paréidolie de l’univers. Source : http://golem13.fr

Si je prends ce sujet tellement à cœur, c’est parce que j’ai vu le crime s’accomplir sous mes yeux ; j’ai habité avec une voyante pendant 4 mois au Royaume-Uni, et je l’ai vue profiter de la faiblesse des gens (et surtout de leur pognon). En était-elle consciente ? Je n’en sais rien et très honnêtement, nous n’étions pas assez proches pour qu’elle me fasse ce genre de confidences. Le fait est qu’elle prenait son rôle très à cœur et qu’elle se faisait un sacré petit pécule chaque mois. Quand on pense que la moindre des consultations commence à £25 pour 45 mn (soit environ 35€) et qu’elle comptabilisait en moyenne par mois : 2 soirées pour des événements spéciaux + 4 soirées chez elle (une dizaine de participants ; chacun raquait évidemment, £15 par personne) + 2 à 3 coups de téléphone par jour, soit environ 75 coups de téléphone par mois + 6 réceptions de client(e) seul(e) chez elle + 4 demi-journées de consultations dans une boutique, en me basant sur les tarifs indiqués sur le site web de son gang de malfaiteurs, on atteint au bas mot plus de £3000 par mois* (environ 4200€, quand le SMIC anglais est à 1 378€ contre 1457€ en France), un joli complément de salaire (probablement non imposable) à côté de son travail à mi-temps (et du loyer que je lui versais).

Quand je suis arrivée chez elle, ce fut un choc : partout, une décoration poussée à l’extrême. La maison était peuplée de centaines de figurines, tableaux et autres trucs kitchs à thème elfes, fées, licornes, indiens d’Amérique, sorcières et Jésus ; c’était tellement trop que je n’ai même pas pris de photos, je le regrette presque maintenant. Chaque recoin en était farci, elle s’était autoproclamée la « sorcière du quartier ». Bon, soit, ça la regarde. Mais visiblement, être medium ne lui suffisait pas : il fallait qu’elle l’affiche. Tout un décorum, toute une mise en scène pour accompagner ses dons… Ça m’a rappelé les cours de prestidigitation que j’avais suivis étant petite.

Mais le plus gros arrive maintenant : j’ai vu comment elle fonctionnait. Je n’ai pas directement assisté à une consultation dans son ensemble, mais voilà ce que j’ai vu, entendu, saisi au détour des couloirs, à de nombreuses occasions et en plus de ce qu’elle me disait elle-même ; des bribes d’information que j’ai progressivement pu rabouter les unes aux autres.

Le coup du portrait

La dame se disait clairvoyante, clairaudiente et clairsentiente. En termes profanes, elle disait voir, entendre et sentir les esprits. Son pouvoir qui faisait sa renommée dans le coin (elle m’a même fièrement confié avoir tenu jadis une chronique de voyance sur une radio locale), son pouvoir donc, c’était de dessiner le portrait de personnes décédées chères au client (au consultant, pardon). Je l’ai vue faire, en effet. Non seulement elle dessinait comme mon pied gauche, mais aussi elle avait son « truc » à elle ; une fois le dessin accompli sur son temps libre (un portrait relativement quelconque et passe-partout, sans trop de traits caractéristiques), elle le montrait lors de ses consultations à sa foule de clients en restant silencieuse. A partir de là, l’un d’entre eux s’écriait (ou pas) « oh ! C’est ma grand-tante ! » ou « oh ! C’est Michelle ! » et voilà, le tour était joué. Avouez que c’est habile ! Si personne ne trouvait de ressemblance entre le dessin et les visages de toute sa généalogie, ce n’était pas grave, elle se carrait son dessin sous le bras et réessaierait plus tard, sur une autre foule, jusqu’à temps que ça marche. Elle avait comme ça des tas de portraits qui n’avaient pas encore trouvé acquéreur dans son carnet.

Bien cerner ses clients

Deuxième astuce : la psychologie de comptoir. Quel genre de personnes pouvait bien avoir à claquer des dizaines de livres sterling, en pleine semaine, dans une telle période de crise ? Je vous le donne en mille : des vieux veufs désespérés, de préférence à la retraite. A partir de là, le discours était simple : Robert vous aime, il va bien là-haut, il pense à vous, il n’aime pas vous voir contrariée, il voudrait que vous soyez heureuse et que vous refassiez votre vie avec quelqu’un d’autre (pour celles qui n’étaient pas encore ménopausées). Et le reste du temps, il suffisait d’écouter ce que les clients avaient à dire. Et ils en ressortaient soulagés, ravis, la bourse et l’esprit légers… jusqu’à la prochaine crise d’angoisse.

Mon témoignage n’est évidemment pas impartial, si j’avais voulu parfaire mon expérience j’aurais dû assister en intégralité à une de ces réunions de manipulateurs anonymes. On me l’avait proposé d’ailleurs, mais mon éthique m’a retenue avant que je franchisse le seuil du salon transformé pour l’occasion en pièce obscure à l’air opaque et chargé d’encens, une musique aux côtés mystérieux jouant doucement en fond. Et puis, entendre des hurlements de fous en pleine nuit depuis ma chambre me donnait suffisamment d’adrénaline comme ça.

J’ai été très marquée par son absence de culpabilité et sa mauvaise foi à tout rompre. Je ne dis pas que les effets n’étaient pas visibles : ses consultations faisaient du bien aux gens, parce qu’ils trouvaient une oreille attentive qui cette fois n’était pas couverte de poils et des réponses qui n’étaient pas sous forme d’aboiements, mais dignes au contraire des meilleurs fortune cookies. Mais ces personnes-là n’étaient manifestement pas riches (ou alors ils cachaient bien leur jeu), et je voyais qu’ils faisaient preuve d’une certaine détresse, ils n’étaient pas maîtres d’eux-mêmes. Elle entretenait une espèce de dépendance en tirant avantage de leur faiblesse flagrante pour leur soutirer de l’argent. Voilà ce qui me révolte. Voilà pourquoi trouver ce genre d’émissions à la télé me met hors de moi. Parce que derrière ce divertissement sans prétention, il y a toute une mafia de manipulateurs qui n’attendent que votre coup de fil, votre visite, pour vous prendre dans leurs filets.

* les tarifs que j’ai pris en exemple sont ceux indiqués sur le site web de son groupe de voyants ; il se peut que la voyante elle-même ne touche qu’une partie de ce montant.


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