Julien dossena - le createur du futur

Par Aelezig

Article de Elle - Avril 2015

Que faire après la célébrissime cotte de mailles des sixties ? A la tête de Paco Rabanne depuis deux ans, ce jeune Breton a repris le flambeau du couturier visionnaire en inventant une mode aussi surprenante que désirable.

Il revient souvent en Bretagne, dans le village de pêcheurs où il a grandi. Sait-il que, non loin de là, Paco Rabanne, retiré depuis longtemps dans le pays d'Iroise, regarde le même horizon que lui ? Depuis deux ans, Julien Dossena est le directeur de création de cette marque à l'histoire aussi fantasque qu'avant-gardiste et, même s'il n'a jamais rencontré le couturier, il partage avec lui la fascination pour cette terre chargée de légendes et propice à la contemplation.

Depuis deux ans don, Julien Dossena remet avec succès sur la scène de la mode ce nom si connu. Tout le monde peut résumer Paco Rabanne à la cotte de mailles. C'est précis, mais c'est restreint. Julien Dossena, lui, grand admirateur de cet univers, a décidé d'en exhumer tout le champ sémantique, et c'est en véritable explorateur qu'il est parti à la conquête de Paco Rabanne.

Il faut une certaine maturité pour appréhender une marque comme celle-ci, portée par un créateur qui a révolutionné les années 70 avec un discours vestimentaire radical et qui, peu à peu, est devenu un bel illuminé aux prédictions farfelues. Il faut du sang-froid pour reprendre un nom qui, depuis le départ de son fondateur, en 1999, a été malmené par une succession de stylistes peu inspirés. Julien Dossena, jeune homme de 30 ans à l'allure tendre mais à la volonté affirmée, n'a jamais eu peur des défis. Au magazine, nous le connaissons depuis longtemps. Nous l'avons rencontré quand il était styliste chez Balenciaga, époque Nicolas Ghesquière, et qu'il avait des velléités de créer sa propre marque. Nous l'avions fortement encouragé et il avait été le lauréat de notre promotion ELLE aime la mode pour soutenir la jeune création, avec sa marque Atto, qui avait la couverture de ELLE en avril 2013. Nous l'avions retrouvé avec joie et fierté cette même année pour son premier défilé Paco Rabanne, accueilli par tous avec enthousiasme. Une étoile était née !

Julien Dossena est discret, peu enclin à mettre en avant un parcours impeccable, détournant sa modestie par des éclats de rire. Quand il est adolescent, en Bretagne, les journées se déclinent au rythme des marées : "Grandir au bord de la mer dans un village de 400 habitants, dit-il, cela construit un état d'esprit particulier. L'espace, le temps, la rêverie... C'est une vie paisible et saine où l'on se forge des amitiés qui durent toute une vie." Dans cette enclave isolée et préservée, il est intrigué par la culture semi-underground qui émerge des grandes villes à la fin des années 90. "En province, on se renseigne bien plus qu'un jeune à Paris ! Je voulais tout savoir de ce qui se passait autour de moi. J'adorais l'esthétique des magazines anglais et je demandais à la maison de la presse du Pouldu de m'alimenter en "The Face", "I.D" ou "Dazed & Confused". Pas simple ! J'adorais ces looks très urbains, faits de plusieurs influences. Je me suis intéressé à la mode grâce à la photo. Je voyais non pas le simple vêtement, mais aussi son contexte, ce qu'il évoquait. Je lisais beaucoup, je voulais tout savoir de l'architecture ou de l'art contemporain. Dans ma petite bande, l'on souhaitait se diriger vers l'art ou la culture. On avait tous le nom d'Yvon Lambert à la bouche, alors qu'on n'avait jamais mis les pieds dans sa galerie ! Cette émulation amicale m'a beaucoup aidé, car on se poussait les uns les autres." Les années étudiantes commencent, entre fac à Rennes et école Duperré à Paris. C'est là qu'il a conscience que la mode sera son vecteur d'expression. Mais comment ? "J'étais circonspect. Je ne savais même pas ce que voulait dire être designer. Je voyais l'avènement des groupes de luxe avec des créateurs stars et cela me faisait peur. De l'autre côté, il y avait Martin Margiela, Dries Van Noten, Olivier Theyskens. J'aimais cette mode cérébrale où on conceptualisait un discours via le vêtement. Je ne connaissais rien à ce monde de la mode et, très primairement, je me suis dit : c'est en Belgique que ça se passe."

"A nous deux Bruxelles" et Julien Dossena entre à la belle école de La Cambre, où il pressent enfin son destin de créateur. Pendant ses études, il ose le festival d'Hyères. Bien lui en prend, car il reçoit, en 2006, le prix spécial du jury, présidé cette année-là par Ann Demeulemeester : le monde belge est bien fait ! Il revoit ces épisodes de jeunesse avec amusement : "C'est impressionnant, la mode, quand on n'est pas dedans. Je ne suis pas très sociable, et j'étais perplexe quand je voyais ces personnages théâtraux ; cette sorte de cirque m'effryait. Mais à Hyères, j'ai rencontré des gens "normaux", passionnés par leur métier. J'y ai trouvé mes réponses, à savoir que la mode était aussi une histoire totale où l'on pouvait toucher à tout. Le dessin, la projection, la mise en volume, lap roduction, la scénographie avec le défilé, mais aussi le business et les moyens de communication. J'ai compris toutes les possibilités de cet univers." Bien sûr, comme tous les talents en herbe de sa génération, il est fasciné par Balenciaga ordonné par le jeune Nicolas Ghesquière. "Il se passait des choses mystérieuses pour moi dans cette marque et je voulais connaître les secrets de ce travail, de ce vocabulaire étonnant entre couture et laboratoire. Je voulais entrer dans ce studio." Tout aussi simplement, il envoie un CV par la poste et entre comme stagiaire en 2007 pour devenir styliste jusqu'au moment où Ghesquière quitte la maison, en 2012. Il voit ces années-là comme un compagnonnage fabuleux : "C'était d'une exigence extrême. Nicolas était totalement investi et sa façon de concevoir ce métier me correspondait. Nous étions en recherche permanente. Là, j'ai appris le plus important : la mode est une affaire sérieuse." Au moment où Julien se sent assez accompli pour fonder sa propre marque, il est approchép ar le groupe Puig, propriétaire de Paco Rabanne. Raisonnable comme peut l'être un designer d'aujourd'hui, il met son projet Atto de côté pour se consacrer à l'aventure.

Françoise Hardy

De Paco Rabanne, Julien Dossena admire le manifeste stylistique qui a révolutionné une époque. Il aimerait s'imprégner de cette ambiance de la fin des années 60 où tout explose : les codes comme la société française. "Où les filles ne veulent plus s'habiller comme leurs mères et où les mères rêvent de se vêtir comme leurs filles. Il faut imaginer l'arrivée de couturiers comme Courrèges, Cardin ou Paco Rabanne. Ce devait être une époque géniale !" Et s'il ne devait garder qu'une image, ce serait celle de Jane Birkin arrivant chez Castel au bras de Serge Gainsbourg dans sa mini-robe en métal. "C'est une allure puissante, complètement inédite : pourtant, elle n'a rien d'excentrique. Birkin a l'air à l'aise dans cette tenue, elle va danser, la robe suit le corps tout en souplesse. C'est fort et c'est simple. C'est pur et c'est relax. Il y a une radicalité du propos au service d'une certaine sensualité, voire d'un confort. Ces deux aspects que l'on pourrait croire antagonistes, n'existent que chez lui et se marient très bien." C'est le lien qu'a trouvé Julien avec le créateur initial et c'est ce discours-là qu'il voudrait reprendre. "Je ne vois pas Paco Rabanne comme une succession de codes à appliquer, telles la cotte de mailles ou les pastilles en Rhodoïd, mais plutôt comme un état d'esprit. L'esprit d'un créateur qui avait une vision d'un mode de vie où les femmes seraient affranchies, si bien dans leur corps qu'elles pourraient faire de leurs armures des vêtements de sensualité. Les femmes de Paco Rabanne sont toujours en action. Ces robes très conceptuelles accompagnent leurs gestes et mettent en valeur toute leur féminité. Transposer cela aujourd'hui, ce serait une femme active qui va du yoga au bureau, avec un caleçon en matière technique et un beau trench par-dessus. Et puis là, on peut intégrer les codes, et la cotte de mailles ou un top en Rhodo sur un pantalon tout simple devient un élément qui s'adapte au style de vie."

Tout ce potentiel, Julien Dossena l'exploire avec une avide curiosité, et le succès commercial qu'il rencontre depuis deux ans l'enjoint à continuer, avec le sentiment de réhabiliter un nom qu'il respecte et qui mérite une nouvelle estime. Un nom qui aura 50 ans cette année, ce qui le pousse encore plus à dire à quel point Paco Rabanne a compté dans l'histoire de la mode moderne.

Jane Birkin

En 2016 ouvrira la première boutique, dans un esprit rétro-futuriste, fidèle au maître. "Il fut un génie visionnaire, ajoute Dossena. Et c'est ce qui est touchant dans cette histoire. Cette fulgurance révolutionnaire et cette honnêteté dans le discours. Tout comme Helmut Lang ou Martin Margiela, Paco Rabanne s'est effacé quand il n'a plus eu rien à dire dans la mode, pour s'exprimer différemment, dans la peinture, je crois. J'aime cette idée qu'on puisse un jour explorer d'une autre façon. Il faut être un esprit fort pour regarder autrement." Julien Dossena a compris : tout est question d'horizon.