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(note de lecture) Céline Walter, « Petite / C’est la fête, tu voudrais mourir », par Mazrim Ohrti

Par Florence Trocmé

Couv Petite Céline WalterSujet délicat à traiter que l’enfance via le médium artistique ; sans tomber dans les travers du gnangnantisme ou du pathos s’entend. Coffre quasi inviolable pour l’adulte dont le contenu ne lui appartient plus mais continue malgré tout de le hanter, toute sa vie durant. Aporie donc que le creuset de cette expérience singulière pour chacun, sous des conditions et une alchimie qui nous échappent. 
Premier livre de Céline Walter, d’une singularité qui vaut pour un essai transformé ; et ce, dès le titre : « Petite / C’est la fête, tu voudrais mourir. » Saisir sa propre enfance, l’évoquer (et  l’invoquer) révèle en effet qu’elle n’est plus nôtre – malgré toute tentative de percée phénoménologique. Le quatrième de couverture est presque une mise en garde en ce sens : « Le passé est une joie immonde / Qui n’a de mémoire que pour le pire / Dans l’espérance / De te le faire bouffer. » Le texte de Céline Walter prend racine dans une parole qui excède le mythe de l’enfance pour y faire fusion. Son regard sur sa propre enfance est loin d’être angélique ; quant à sa solitude, ses responsabilités, ses choix : « Tu accordes bien de l’importance à tout ce qui ne ressemble à rien. (…) Tu sautes et tu saignes volontaire. Tu choisis ta chute. C’est ton retour sur terre. (…) Jamais tu n’as su t’agenouiller autrement. » Si l’enfance devient (par défaut) un outil de mesure du temps, d’évident corollaire son paysage n’est visible que par le petit bout d’une lorgnette de plus en plus floue – et pour cette raison impossible à reconstituer. C’est oublier à quel point l’enfance sait explorer, s’explorer par tous les moyens, à chaque instant, en tous sens et dans chaque recoin : « (…) sous des îles intérieures. Celles qui flottent sous les tables ou sous les cabanes des canapés ». Elle résiste dans l’infortune d’une impatience sans nom, à la recherche d’elle-même, prospectant les espaces clos, relativisant au passage la fragilité de la mère (au « M mortifère ») ; sous une condition aussi immuable que le dehors est vaste. Car « Dehors est ton toit. Depuis que tu sais courir, tu cours te mettre sous sa protection. ». Jusqu’à ce que se révèle à elle-même une conscience capable de scinder les divers plans de la réalité, notamment pour en finir avec ce statut échu de la vulnérabilité et de la petitesse ; puisqu’« un jour le temps fera tomber une pluie de clefs. Et il y en aura une pour toi. Oui, tu verras bien comment elle ouvre. » Cette perspective d’évasion admise chez les uns les autres, d’émancipation de l’enfance, n’est pas sans trahir l’adulte précoce sous un rapport psychosensoriel et psychoaffectif, nourrissant sa solitude à mesure. (On ne choisit pas d’être poète). Et quand enfin l’enfance sert de valeur refuge : « Il flotte gris dehors. le moral en goutte d’eau, goutte à goutte d’ennui. La gorge en bouche d’égout, ça délave dedans. », peut commencer alors le rituel pour un rendez-vous avec cet autre soi-même : « Ouvrir les mains. Découper dans chacune d’elle un cercle de glace et pêcher à la ligne les souvenirs heureux. Ça mord ? Mordre le soleil. L’emporter avec soi. Le maintenir au milieu du ventre. Là, il refleurira pour tous. » Pas de doute, Céline Walter use de sorcellerie pour éclairer, qui sait, ce supplément d’âme à quoi aide toute forme d’art, ici, la littérature. Or en littérature l’archéologie s’impose ; de quoi extraire quelque datation : « Un trois octobre. Six bougies brûlent en cuisine comme six bâtons tracés sur un mur de prison. » A savoir « Le jour de fête où tu es morte. Une fois de plus. » Cette fête annuelle (universelle) qu’on devine ne fait que prononcer à chaque fois la sentence de mort à petit feu de l’enfance par l’adulte ; lui imposant au final la notion du temps qui passe. Et l’enfant d’intégrer cette notion peu à peu : « Elle vivait chez sa fille. Une dame au moins aussi vieille qu’elle et qui l’appelait maman. Elle appartenait pour toi à la vie " de dans le temps". »  
 
Peu (ou prou) aléatoire, la forme du texte ; lequel commence en prose (quelques pages) pour continuer en vers, dans un glissement subtil sans rupture de ton ni de style. Les sections mêlent allègrement les deux formes. Au fur et à mesure, lorsqu’on croit que le vers prend le relais, la prose s’immisce de nouveau ici et là ; pour disparaître définitivement des trois dernières sections à chaque fois plus petites – et aux vers de plus en plus courts et ramassés. Il en va de l’enfance comme de la confusion des impressions, des sensations et des sentiments à retrouver sous le prétexte d’une liberté nous faisant défaut l’âge avançant. Et si le livre est le miroir de cette période en lambeaux, la mise en coupes et en vers offre toujours la possibilité d’harmoniser, d’ordonner, de mesurer en l’éclaircissant, une pensée compensatrice de cette liberté, tournée vers la mémoire qui tend toujours trop à écraser les perspectives des souvenirs. Souvenirs qu’on parle d’ordinaire de rassembler, voire ramasser ; pour recréer les liens d’une vie qu’on souhaite plus cohérente au regard de son histoire personnelle ? Chaotique peut-être mais cohérente pour le moins. En dépit des lieux plus ou moins réels, d’un temps cyclique ou linéaire, reconstruits dans l’urgence et les transes : « Encore l’été et toi. Tu n’es pas » là « mais ailleurs (…) Ça ressemble à » ça. « Pourquoi pas » ça plutôt. À chacun la création de sa propre histoire également par le manque, les lacunes, les incertitudes : « Sur une photo. Que tu tiens. Qui te tient. / Tu sais déjà que tu chercheras longtemps. Par quel miracle » veut-on se réapproprier son enfance, si ce n’est par le temps personnifié en « un sale gamin » – par exemple. Visages, figures et formes ne suffisant pas à l’enfance d’autant plus solitaire, elle s’arrête pour prendre le temps de questionner la vie dans sa finitude (« À quoi ça ressemble un petit chat ressuscité ? »), de l’observer à travers un champ expérimental et spéculatif, instantané mais infini. Les spéculations existentielles qui sont autant de souffrances cachées devraient laisser « lire dans la main d’un ciel ou d’une plante, ce qui est important ». Après tout Dieu est une idée comme une autre et accompagne l’enfant qui s’en remet à lui. Puis, c’est comme si l’on se réveillait un jour à l’âge adulte, offrant « D’un coup » comme une nouvelle panoplie qui serait un changement de paradigme ; nécessaire devant l’enfance qu’on voulait quitter puis qu’on regrette l’instant d’après. Cette fusion avec cet autre soi-même se voit désacralisée. « Faire une choix, c’est mourir. (mais) Te quitter, c’est naître. ». C’est alors que le regard se veut aussi vierge, aussi inédit, aussi épiphanique que le lui indique l’idée de l’enfance : « Chaque saison est une ivresse / (…) Chaque journée une extase (…) Le verger en fleur devient insupportable / Il est d’une beauté telle qu’il lui arrive de sauver quelqu’un ». Dieu, soi-même, suscite une vision différente ; lequel « ne sait pas applaudir autrement qu’à l’américaine. » Avant de reprendre les traits du « bon Dieu » de l’enfance qui marque la pureté, la naïveté qui « appelles l’ordre des choses / Rends à chaque place son tout. Par exemple, tu écris l’herbe. » – ainsi d’une naïveté moindre qu’elle n’y paraît sous un regard panthéiste. La femme, encore peu de temps auparavant (semble-t-il) enfant, sait qu’elle « peu(t) aller / Sans (s)e soucier du sens de la visite (…) tu te promets le printemps » annonce-t-elle « devant cette enfance sans armes / Sur laquelle tu ne te retournes pas. » Et tout est dit, l’objet poétique est en marche, tourné vers l’enfance de l’art ; de quoi venir à bout de cette tendance schizophrénique que nous fait supporter l’enfant que nous avons tous été, sans exception. Et si l’« Impossible » n’a pas de visage, au moins peut-il s’« arrach(er) au creux des mots (….) » Aussi, à quoi bon vouloir mourir, Petite ? 
 
(Mazrim Ohrti) 
 
 
Céline Walter, « Petite / C’est la fête, tu voudrais mourir », éditions Tituli


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