Depuis des mois, cet homme de très mauvaise foi baptisé PV hante mon blog en laissant des commentaires de plus ou moins bon aloi. Je lui ai récemment proposé de lui laisser, une fois par mois, les colonnes d'A REBOURS pour exprimer son point de vue. Bien entendu, un point de vue qui n'engage que lui !!!
Une fois n’est pas coutume, c’est la chronique de ce cher Alain-Gérard Slama (qui est en train de devenir mon chroniqueur de droite préféré) datée du mercredi 28 mai sur France Culture, ainsi que les échanges qu’il a eus avec Naomi Klein, qui m’a interpellé.
La chronique du sieur Slama, à 7h55, était comme on pouvait s’y attendre, polémique et militante : le libéralisme est un excellent système, lançait-il, et pointer les excès, les tragédies humaines qu’il fait peser sur la planète est un acte idéologique condamnable qui se range du côté de la théorie du complot. Le tort supposé de Naomi Klein est de montrer que les financiers, les banques, les neocons’ aux USA, font feu de tout bois et n’hésitent pas à profiter de grandes catastrophes (tsunami, cyclones etc…) pour reconstruire un monde à l’image de leur idéal : privatisation des écoles à la Nouvelle Orléans, ultralibéralisation de l’économie en Indonésie etc., sur fond de tabula rasa assumée par eux dans leurs propres discours.
Parallèlement à cela, dans un tout autre domaine, qu’observe-t-on ? En politique comme en management, c’est l’art du Storytelling (brillamment commenté ici par Jojo) qui semble s’imposer. A mon niveau, je le constate chaque jour : que nous demande-t-on, sinon de savoir raconter des histoires vraisemblables, des fables qui laissent croire que tout est pour le mieux ? Peu importe que le contenu soit absent, qu’il n’y ait aucune réalité derrière les belles phrases et les jolies images : ce qui compte est bien l’effet de la fable sur l’auditeur… celui-ci peut être un électeur, un actionnaire, un employé, un téléspectateur ou un simple citoyen…
C’est bien ce que met en évidence le Guide pratique pour réussir sa carrière en entreprise (Avec tout le mépris et la cruauté que cette tâche requiert) d’Antoine Darima : savoir raconter n’importe quoi pour valoriser son "non travail" et sa "non production" dans le but de progresser, de monter les échelons et de devenir cadre toujours plus supérieur pour continuer à brasser de plus en plus de vent et monter encore.
Finalement, ce système est assez semblable aux montgolfières : beaucoup d’air, de la chaleur et hop !
Décliné sur le mode du management, cet art de fabuler autour du vide a un effet étonnant que j’ai pu mesurer dans mon propre contexte d’exercice professionnel : à mesure que le vide prend de la place (ce qui est un phénomène paradoxal mais non moins réel dans les structures, tant privées que publiques pourvu qu’elles soient assez grandes), la fable s’enfle (s’infatue disait-on) et les responsabilités se diffusent, se disséminent même… en d’autres termes, plus le cadre est supérieur, plus le dirigeant a du pouvoir, moins il est responsable et plus il responsabilise les autres à lui subordonnés et leur fait entrer cela dans le crâne à coup d’historiettes amusantes sur le monde du : "notre destin est entre vos mains… moi je ne peux rien pour vous !". En bref, moins il y a de contenu, plus on fabule et moins on assume ses responsabilités, plus on formalise.
Historiquement, la figure d’Amerigo Vespucci est éclairante quant à notre modernité : falsificateur, fabuliste, il a réussi à faire nommer l’Amérique à son nom car ses récits furent plus persuasifs et efficaces que ceux du pauvre Colomb, qui n’a hérité que de la Colombie…
Revenons à notre cher A.-G. Slama : lors de l’échange qu’il a eu avec Naomi Klein, celle-ci est revenue à la charge plusieurs fois, exemples et documents à l’appui, pour montrer les horreurs du libéralisme à travers le monde et, surtout, pour les pays et les populations les plus pauvres. Une incise d’A.-G. Slama m’a saisi : on ne parle pas des même libéraux ni du même libéralisme, disait-il… et j’ai compris ce qui finalement reste plaisant chez Slama en même temps que déroutant chez un esprit aussi éclairé : il se réfère constamment à une fiction ! Lui qui vilipende les marxistes au prétexte que l’application de ce système fut une dictature terrible ne s’applique pas la même exigence tandis que la seule application du libéralisme que nous connaissons contribue à appauvrir les populations exploitées, à détruire les ressources naturelles et la nature, à transformer les individus en consommateurs dociles… bien loin de l’idéal voltairien, pourtant invoqué sans cesse par Slama. Etonnant, non ?
A.-G. Slama contre les "storytellers" ? Le vide contre le plein ? La forme contre le fond ?…
Il est triste que ceux qui souhaitent faire progresser l’Homme se racontent à eux-mêmes des histoires pendant que ceux qui veulent les asservir leur racontent d’autres histoires, qui les enchaînent avec une redoutable efficacité…
Missa dicta est.