"L’auteure est une de ces femme-piments qui a des choses à dire. Qui sait de quoi elle parle, et quand elle n’en sait pas assez, elle prend trois mois pour enquêter, interroger, confronter. Puis, elle nous offre ce livre-vérité-pas-bonne-à-dire, écrit sur un style direct, comme une conversation qu’on aurait dans un pub, en face d’un (Virgin) Mojito qu’on aura à peine le temps de toucher tellement on sera pris par le récit."
Négriers du foot – Maryse Éwanjé-Épée
Une lecture puissante.
Si ce livre ne parlait pas de foot, et n’était pas écrit par une personnalité que j’aime bien, je ne l’aurai sans doute pas lu. Je ne lis presque pas de ce type de livre qui se la joue "Enquête exclusif" racoleur façon M6. Mais là il s’agit de foot. Et il s’agit de Maryse Ewanjé-Epée.
J’ai pourtant résisté à l’envie de me plonger dans les bas-fonds du parcours du footeux africain. J’ai largement suivi la campagne de lancement de ce livre en 2010 et, malgré mon intérêt, j’ai résisté à l’envie de le car je ne voulais pas vomir. "Comprenez mon émotion"...
Je suis le genre de personne qui boycott le magazine "L’Équipe" depuis 2010, à cause de knysna, et de ce quotidien sportif symbole de ces médias qui ont monté la France contre les footballeurs d’origine africaine. Je suis le genre de personne qui, de rage, a écrit un "Traitres à la France, ces costauds", sur l’air de "douce France" (Charles Trenet) après le scandale - parfaitement étouffé - des quotas de footballeurs noirs de Laurent Blanc (d’où le fait que je ne pourrai jamais être fan du PSG tant que je verrai la tronche de ce type sur leur banc). Et je suis également le type qui, à 3h du matin, scribouille une ode au plus grand taiseux du foot français : "Henry, C’est fini !" (lui qui fut trainé dans la boue...).
Bref, je suis un gratte-papier chez qui le foot est "sanguinaire", qui snife des rails de ligne blanche (sur carré vert) depuis que, tout gamin, j’ai foulé le sol sablonneux de l’école de La Liberté, à Talangaï.
Tout ça pour dire que, ce livre m’a passionné. Il m’a soulevé le cœur et il m’a mis la larme à l’œil, mais il m’a passionné. Et j’y ai vu le parcours de tellement d’amis...
Dany, ami d’enfance rencontré entre les pages d’un comics Marvel. Il se réveillait à 6h du mat’ pour aller faire un footing. Tous les jours. Motivé à la mort pour réussir dans son sport. Il fut international et se balada entre le Bénin, l’Égypte, le Danemark et tout un tas de pays exotiques du chasseur de contrat. J’ai vu son parcours à travers ceux brossés par l’auteure Maryse Ewanje-Epee ; ceux de Onana, ceux de Matip, ceux de Edel Apoula. Des trajectoires d’enfants du foot baladés au grés des intérêts des nouveaux marchands du temple Soccer.
J’ai reconnu, dans les portraits des Abéga ou des Boya, mon pote Tchico. Rencontré dans les cuisines d’un restaurant londonien luxueux . La plonge était la nouvelle réalité de cet ancien enfant-foot togolais, devenu adulte roublard et couteau-suisse de la débrouillardise. Il s’était retrouvé à la rue en plein hivers anglais, son "agent" ayant disparu dans la nature en "oubliant de payer l’hôtel" (sic). Faire la vaisselle de Gordon Ramsay, au lieu de partage sa table, lui servait de couverture pour des activités beaucoup plus denses, dans l’ombre. J’ai fictionnalisé son parcours dans mon livre "Le clan Boboto", et je crois qu’il continuera à hanter mes manuscrits.
Le premier tiers de ce livre est consacré au parcours, et au scandale, d’Edel Apoula. L’auteure à l’intelligence de fuir le manichéisme. Le vilain blanc négrier de Philibert n’est pas tout à fait noir, et les enfant-victimes, ne sont pas de blanches colombes. Mais on en apprend des vertes et des pas mûres.
Ensuite, il y a une plongée dans le monde des agents de football. Dégueulasse. Mais, là aussi, le marécage ne recouvre pas exclusivement ceux à qui on attribue la puanteur.
Et l’Afrique est, encore et toujours, la victime. Victime des chasseurs de jambes ("pas cher, généralement prêt au combat, on peut le qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot, ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline.", dixit Sagnol. Je ne bois plus de Bordeaux), victimes de ses dirigeants, de ses parents - les Kessac, les Edoa... - qui ne voient que leurs profits et exploitent , tels les chasseurs d’esclaves d’antan, la misère des gamins qui rêvent de Champion’s League.
Puis, quand on a l’impression que la fange de billets-foot va nous noyer dans notre propre dégueulis, Maryse Ewanjé-épée fait preuve de mansuétude et nous fait grâce de quelques rayons de soleil. J’ai découvert - réellement - des noms dont j’avais pourtant déjà entendu parler : Diambars, France Bénin Football +, Foot solidaire, Manifoot... des assos qui vous font perler la larme, tel un cas-soss en quête d’un peu d’humanité dans ce monde de brute.
Découvrir sous la plume de Maryse des gens comme Adjovi-Boko (à qui j’ai toujours trouvé une bonne tête de super-pote) et de tous ceux qui "font des choses", ressemble à un bouffée d’oxygène dans un Paris en alerte 5 pollution-véreux. Comme toujours, il y a de l’humanité qui surnage et tente de résister à l’attrait de des esprits méphistophéliques qui règnent sur la planète foot. Et, merci d’avoir mis en avant ces gens-là.
Ce livre doit être lu. Amateur de foot ou non. Allergique au foot ou non. Parce qu’il met le doigt sur ce qui est, et a toujours été, l’ultime combat ; celui des faibles contre les forts. La jeunesse africaine subit la gabegie de ses adultes, que ce soit des footeux ou des diplômés math-sup. Elle subit les voracités de l’occident qui lorgne sur son or, noir ou rond, coulant ou roulant, sous la terre ou sur des terrains.
L’auteure est une de ces femme-piments qui ont des choses à dire. Elle sait de quoi elle parle, et quand elle n’en sait pas assez, elle prend trois mois pour enquêter, interroger, confronter. Puis, elle nous offre ce livre-vérité-pas-bonne-à-dire, écrit sur un style direct. Comme une conversation qu’on aurait dans un pub, en face d’un (Virgin) Mojito qu’on aura à peine le temps de toucher tellement on sera pris par le récit.
Le temps de petites gorgées et la pause pipi seront fournis par les innombrables notes de bas de page. Si certaines sont tout à fait pertinentes et servent à mieux cerner l’environnement dépeint, nombreuses sont tout à fait dispensables et excessives. Était-il nécessaire d’expliquer que Fally Ipupa était aussi appelé "Dicap La merveille", "El Marabiocho"... ? (lol). Et surtout, était-il indispensable de le citer, tel un penseur de la Renaissance ? (re-lol).
On zappera aussi les - trop - nombreux "dictons africains" qui, sans doute, inconsciemment, voulaient rappeler aux lecteurs que l’auteure est africaine et sait de quoi elle parle. Nous le savons Maryse, nous le savons que tu es de Mboa...
D’ailleurs, l’auteure ne se contente pas de parler des autres. Elle y met un peu d’elle dans ce livre, avec la parcimonie nécessaire. Et l’émotion est là quand elle raconte comment elle a "gagné son africanité" (dixit moi) en comprenant, et acceptant, le phénomène de parasitisme familiale à l’africaine. Avec tous ses avantages et ses inconvénients.
Bref, j’arrête de m’étaler. Ce sujet mériterait une rencontre "Palabres autour des arts" sur la jeunesse africaine, mais avant cela, allez lire le livre "Négriers du foot". Puis venez palabrer avec nous.
“Négriers du foot”
Maryse Éwanjé-Épée
Le Rocher Éditions (17 mai 2010)