Quand Babelio rencontre Héloïse d’Ormesson

Par Samy20002000fr

Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des éditeurs, nous avons posé quelques questions à Héloïse d’Ormesson fondatrice des éditions éponymes avec son compagnon Gilles Cohen-Solal.

© Sandrine Roudeix

Créées il y a une dizaine d’années, les éditions Héloïse d’Ormesson incarnent à la perfection ces maisons dans lesquels grandissent des auteurs appelés à devenir grands et où semble régner une ambiance sinon familiale, disons, fraternelle. On ne compte plus les succès littéraires et commerciaux de cette pourtant petite maison d’édition nichée au cœur du Vème arrondissement de Paris. Quel est le secret d’Héloïse d’Ormesson et Gilles Cohen-Solal ? Nous avons posé la question à Héloîse.

La maison Héloïse dOrmesson a été créée en 2004. Pourquoi avoir quitté les éditions Denoël pour créer votre propre maison d’édition ?

Avant de fonder les éditions Heloise d’Ormesson avec mon conjoint Gilles Cohen-Solal, j’hésitais entre créer une agence littéraire ou une maison d’édition. L’agence me séduisait voulant travailler au plus près des auteurs et défendre leurs intérêts. Gilles était quant à lui plus attiré par les enjeux d’une maison.J’avais travaillé dix ans chez Flammarion puis six chez Denoël. Dans ces deux maisons, j’ai pu publier ce que je souhaitais, mais je n’avais pas la maîtrise du planning, des tirages et encore moins celle des budgets publicitaires alloués à tel ou tel livre. J’avais certes le choix des publications, mais pas celui des investissements commerciaux, ni de la promotion. Sur certains titres qui n’avaient pas rencontré le succès que j’escomptais, j’ai parfois eu l’impression que nous ne les avions pas soutenu jusqu’au bout.

J’avais le désir de défendre chacun des titres en leur accordant une stratégie spécifique. C’est ainsi qu’est née la maison Héloïse d’Ormesson. Même s’il était évident que nous ne proposerions pas uniquement des titres commerciaux, nous soutenons toujours chacun de nos auteurs avec un matériel de promotion auprès des libraires que d’autres maisons ne réalisent d’ordinaire que pour les gros enjeux commerciaux. Nous avons pu nous tenir à cette promesse et il s’agit, je pense, d’une des raisons de notre succès.

Dix ans plus tard, je suis fière de constater que nous nous tenons à ce credo et offrons toujours émotion, humanité et onirisme. Le pari est tenu.

Vous avez publié vos premiers titres en 2005 avec Méchamment dimanche de Pierre Pelot, La Mémoire des os, un essai de Cléa Koff et Discipline, un texte de prose poétique d’Yves di Manno. Quelle était la promesse de la maison d’édition ? Aviez-vous la volonté de publier des titres ambitieux ?

Lors du lancement de la maison, nous affirmions :  « L’émotion de Pierre Pelot, l’humanité de Cléa Koff, l’onirisme violent d’Yves di Manno, nos premiers titres sont une déclaration d’intention ». Dix ans plus tard, je suis fière de constater que nous nous tenons à ce credo et offrons toujours émotion, humanité et onirisme. Le pari est tenu.Pierre Pelot est un auteur emblématique des ouvrages que nous voulions défendre. C’est-à-dire des romans populaires, ayant du souffle, une dimension épique, une narration forte, mais aussi du contenu, un style, une écriture. Nous avons ainsi toujours souhaité publier des romans de qualité qui pouvaient plaire au grand public. Avec Méchamment dimanche de Pierre Pelot, nous étions parfaitement en phase avec la ligne que nous nous étions fixée.

En publiant simultanément l’essai de Cléa Koff, nous nous sommes tout de suite inscrits comme une maison généraliste, qui ne proposerait pas que des romans, mais également des essais. Nous avons toujours gardé cette ambition. Aujourd’hui, nous publions à peu près 45% de littérature française, 45% de littérature étrangère et 10 % d’essais. Cela correspond à trois essais par an sur environ vingt-trois titres.

Il me semble crucial de ne pas céder a la surproduction.

Vous avez d’ailleurs toujours tenu à ne publier qu’une vingtaine de titres par an. Pourquoi vous imposer cette limite ?

C’est peut-être ma plus grande fierté concernant la maison d’édition. Nous avions annoncé des l’origine que nous ne dépasserions pas la vingtaine de publications par an et nous n’avons jamais dévié de cet objectif. A ce jour, nous continuons sur cette cadence, qui me paraît idéale. Elle nous permet en effet de revenir sur un titre s’il est dans l’actualité et de ne pas avoir des titres qui se chassent les uns les autres. Ce rythme nous confère une visibilité en librairie qui serait sans doute plus difficile à obtenir si nous ne publiions que six titres par an. Les libraires ont compris que ce n’était pas des vains mots. Nous ne nous sommes jamais laissés emporter par la surproduction. C’était pourtant une gageure. La première année, n’ayant pas programmé de livres en novembre et en décembre, janvier venu nous avons souffert sur le plan de la trésorerie ! Un manque d’anticipation de jeunes entrepreneurs. Depuis nous répartissons mieux les publications, même si nous ne publions toujours aucun livre en décembre. Nous sommes aussi plus prévoyants en terme de gestion. Quoi qu’il en soit il me semble crucial de ne pas céder a la surproduction.

Que cela signifie-t-il d’être une petite structure dans le monde de l’édition aujourd’hui ?

En tant que petite structure, nous devons valoriser nos points forts c’est a dire notre dimension à la fois affective et artisanale. Nous capitalisons sur le fait d’être une maison et non une entreprise d’édition. Une maison, cela veut dire que l’équipe, soudée, motivée, entretient une relation de complicité avec les auteurs. Cela signifie également une atmosphère conviviale. Dans cette optique nous avions il y a quelques années mis a disposition des auteurs un appartement dans lequel ils pouvaient séjourner, travailler, se retrouver. Cela a permis à certains d’entre eux de tisser des liens d’amitiés forts. Encore aujourd’hui, alors que cet appartement n’existe plus, nos auteurs continuent à entretenir des liens privilégiés, s’envoient leurs manuscrits, se concertent et lorsque l’un d’entre eux est reçu dans une librairie, les autres viennent le soutenir, l’entourer. Il existe un vrai esprit maison, une manière de communauté EHO, qui est l’une de nos plus grandes réussites.

Votre maison a fêté ses dix ans il y a un an. Le monde du livre a-t-il beaucoup changé en 10 ans ?

Oui, le monde de l’édition à considérablement changé. Le phénomène du « long-seller » existe maintenant en France. C’est-à-dire qu’il y a aujourd’hui des auteurs qui se vendent de mieux en mieux et de plus en plus longtemps, mais ils sont de moins en moins nombreux. A l’inverse, de plus en plus d’auteurs se vendent de moins en moins. De surcroît, les auteurs qui vendaient entre 30 ou 40 000 exemplaires ont quasiment disparu, alors que ce sont ces derniers qui faisaient la richesse des éditeurs. Lorsque j’ai débuté dans le métier, on comptait encore beaucoup d’auteurs de ce que les anglo-saxons appellent « la mid-list » qui se situent entre les auteurs pointus, littéraires, et les auteurs de best-sellers. Ce sont ces « classes moyennes littéraires » qui sont en voie de disparition. Cette nouvelle donne s’applique aussi chez nous. Nous publions vingt-quatre livres par an environ. Jusqu’à présent, nous avions vingt livres qui s’équilibraient, deux titres qui généraient des bénéfices et deux best-sellers qui faisaient tourner la maison pour un ou deux ans. Depuis deux ans, nous assistons à une mutation. Les vingt titres ne s’équilibrent plus. Ce sont les deux livres qui dégagent des bénéfices qui permettent de résorber les pertes. Nous sommes donc obligés d’avoir un best-seller.

Ce phénomène s’applique je crois plus ou moins dans toutes les maisons d’édition françaises.

Être éditeur, c’est amener un livre vers ses lecteurs. On ne peut pas se satisfaire d’éditer des livres qui ne se vendent pas.

Vous avez fait vos premières armes dans le métier du livre aux Etats-Unis. Que vous a apporté cette expérience loin de nos frontières ? Avez-vous importé un certain savoir-faire ou une vision particulière du métier d’éditeur ?

Il est évident que le fait d’avoir débuté dans le métier aux Etats-Unis m’a énormément apporté. Je suis une littéraire, qui a fait des études de lettres, mais dès les premiers jours, on m’a appris, outre-atlantique, à travailler en tenant compte de la dimension économique. En pratiquant le compte d’exploitation par titre, j’ai appris qu’on peut promouvoir des textes jugés difficiles en serrant le budget et en étant très vigilant sur le tirage, les coûts par poste. On peut prendre des risques, si l’on veille à ces notions d’équilibre budgétaire. Pour une petite maison comme la nôtre, il est indispensable de garder ces considérations en tête. Si je ne publiais que ce que j’aimais, en ne tenant compte que de la qualité littéraire sans jamais me soucier de rentabilité, la maison aurait périclité depuis longtemps.

De surcroît, je pense que notre métier est à mi-chemin entre l’art et le commerce. Nous ne sommes pas des conservateurs de musée. Être éditeur, c’est amener un livre vers ses lecteurs. On ne peut pas se satisfaire d’éditer des livres qui ne se vendent pas. Il ne s’agit pas de considération mercantile, mais de notre cœur de métier. Ceci étant dit, il y a évidemment des auteurs qu’il faut publier coûte que coûte, parce que ce sont de grands écrivains, que leurs textes sont majeurs et qu’un jour ou l’autre, ils auront nécessairement des lecteurs.

L’objectif d’une maison d’édition est-il de faire découvrir de nouveaux auteurs ? Combien de nouveaux auteurs publiez-vous par an ?

Découvrir de nouveaux auteurs et essayer de les imposer dans le paysage littéraire est l’une des joies de ce métier. Nous publions au moins un ou deux premiers romans par an. L’objectif est ensuite de suivre ces auteurs pour les construire sur la durée, sur le long terme, de livre en livre.

Vous avez longtemps travaillé dans le domaine de la littérature étrangère chez Flammarion ou Denoël. Est-ce très différent de s’occuper d’auteurs français et étrangers ?

Oui, il s’agit de deux approches très différentes. Il est vrai que j’aime beaucoup prospecter et éditer de textes étrangers. Revoir une traduction est un exercice que j’adore, même si le métier d’éditeur à proprement parler suppose que l’on travaille sur le texte et en liaison avec l’auteur que l’on fait émerger. C’est l’essence du métier d’éditeur. Avec des auteurs étrangers, il y a déjà une présélection faite par l’éditeur d’origine. Pour un éditeur de littérature étrangère, cela demande d’avoir du nez, de développer un réseau, mais ce n’est pas exactement le même métier que l’éditeur de littérature française.

Personnellement, après avoir travaillé 15 ans dans le domaine étranger, j’avais envie de travailler plus directement avec des auteurs français.

Si vous publiez quelques recueils de nouvelles, comment expliquez-vous que ce genre littéraire ne soit pas plus populaire en France ?

J’aime beaucoup les nouvelles mais nous n’avons pas en France cette tradition de pré-publication de nouvelles dans les revues. Le public ne découvre donc pas des nouveaux talents via les revues, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Peut-être que si le lecteur avait un accès plus facile, plus immédiat a ce genre, il serait plus curieux, plus réceptif.

De fait, si des auteurs de nouvelles peuvent obtenir de jolis scores, c’est tout de même un genre plus difficile à promouvoir. Pour autant, je n’exclue pas de publier un recueil si j’estime que le talent est là. Ce n’est pas rédhibitoire en ce qui me concerne. Nous avons publié Son carnet rouge, un recueil de nouvelles de Tatiana de Rosnay. Si elle redoutait un échec commercial, le livre a été sur la liste des best-sellers.

Elle s’appelait Sarah de Tatiana de Rosnay a façonné notre histoire. Si nous n’avions pas publié ce livre et s’il n’avait pas connu ce succès phénoménal, je ne sais pas où en serait la maison aujourd’hui. Notre rencontre avec Tatiana de Rosnay a été un moment pivot a titre personnel et professionnel.

Qu’est-ce que le club H2O que l’on peut retrouver sur votre site internet ? Est-ce important d’être proche des lecteurs ? Comment ce lien peut-il se nouer avec eux ?

Nous essayons d’impliquer et d’associer à l’esprit EHO nos lecteurs en les informant en avant-première des signatures/rencontres et de l’actualité de la maison.

Nous sommes également présents sur les différents réseaux sociaux. Cela me paraissait d’autant plus important sachant que Tatiana de Rosnay est l’une des auteurs les plus en pointe sur Twitter !  Elle a été l’une des premières à tweeter en France et nous a initié à ce mode de communication. Nous nous devons d’être en phase avec nos auteurs.

Quel est le titre dont vous êtes la plus fière d‘avoir publié en tant qu’éditrice ?

Il y a plusieurs titres qui ont marqué la maison. Évidemment, en tête, Méchamment dimanche de Pierre Pelot qui a été notre premier roman. Je suis naturellement attachée à ce livre et à cet auteur qui nous fait confiance des l’origine. Elle s’appelait Sarah de Tatiana de Rosnay a également façonné notre histoire. Si nous n’avions pas publié ce livre et s’il n’avait pas connu ce succès phénoménal, je ne sais pas où en serait la maison aujourd’hui. Notre rencontre avec Tatiana de Rosnay a été un moment pivot a titre personnel et professionnel. Entre autres livres, j’aimerais citer Odeur du temps, de Jean d’Ormesson. Publier son père n’est pas anodin. A l’origine, je ne le souhaitais pas, mais cela s’est trouvé naturellement, une fois la maison établie. Cela a été un grand bonheur de travailler ensemble. Cette relation éditoriale nous a permis de nous rapprocher plus encore. Il ne faut pas idéaliser ce métier, chaque publication n’est pas un bonheur. Cependant la plupart de nos publications nous procurent des moments de satisfaction et de joie. Elles représentent l’aboutissement d’un travail avec un auteur. Par ailleurs, le succès d’une publication ne se résume pas uniquement à son succès en librairie.

Nous comptons au catalogue des auteurs qui se vendent bien à l’étranger. Que les écrivains que nous représentons soient lus en Allemagne, en Italie, en Hollande, ou ailleurs est un grand motif de satisfaction et de fierté.

Quel est l’auteur que vous auriez aimé publier ?

J’adore Michael Ondaatje, l’auteur du Patient anglais. J’aurais aimé le publier, mais il est très bien défendu par Olivier Cohen.

J’ai publié A. S. Byatt quand j’étais chez Flammarion. Publier Possession a été une des grandes joies de ma vie d’éditrice. Il me paraissait normal, après avoir acheté sa trilogie pour Flammarion de ne pas chercher à la récupérer. J’aurais pourtant bien aimé continuer à la défendre en France.

Pouvez-vous nous présenter les livres que vous publierez pour la rentrée littéraire ?

Deux romans seulement pour ne pas se disperser et leur consacrer toute notre énergie. Popcorn Melody de l’étonnante Emilie de Turckheim. Son roman américain drôle et grave à la fois, nous embarque dans un voyage inattendu au pays de l’Oncle Sam. Un livre aussi poétique que politique, porté par une magnifique écriture.

Le Courrier des tranchées de Stefan Brijs, géant de la littérature flamande. Une fresque au souffle puissant, qui explore avec une infinie subtilité les questions du courage et de la vérité. Une histoire  d’amitié aussi romanesque que déchirante.

 Et en ce moment que lisez-vous ?

Les manuscrits de Dominique Dyens (un récit fort et très personnel, bouleversant) et de Michel Quint (un roman noir qui plonge aux racines de l’extrémisme des années 30 d’une stupéfiante actualité). Je n’ai pas encore ouvert (entre autres livres dans mes valises cet été) Amours de Léonor de Récondo et Portrait d’après blessure d’Hélène Gestern, que je me réserve comme plaisir estival.

Retrouvez les actualités des éditions Héloïse d’Ormesson sur leur site : http://www.editions-heloisedormesson.com/