J’avais pensé que cela me laisserait indifférente. Savoir qu’il s’éteint doucement aurait peut-être même été un soulagement. Je l’ai tant détesté pour ces gestes furtifs que j’ai surpris il y a si longtemps. Je n’ai jamais rien dit. Je n’ai rien voulu détruire. Je lui en ai tant voulu pour les beaux discours qu’il continuait malgré tout à tenir, contre toute évidence.
Et puis voilà, ces jours-ci il s’en va, et j’aimerais que ça ne me fasse rien. J’essaie de me persuader que cela ne me fait rien. C’est la vie, c’est comme ça, les gens s’en viennent, les gens s’en vont, les gentils comme les salauds en blanc manteau. J’aimerais que ça ne me fasse rien, j’aimerais que ça ne me touche pas, et c’est un pan de mon enfance, c’est un peu de mon adolescence qui fout le camp. Ce serait tellement plus simple de le haïr de toutes mes forces, mais non, je n’y arrive pas, je n’y arrive plus, depuis le temps. Alors je lui en veux une dernière fois de remuer tout ça, je lui en veux de m’obliger à me souvenir de sa présence de son visage de sa voix et de ses mots, alors je m’en veux de toutes ces années de colère froide et de silence, alors qu’il était là, depuis toujours, à toutes les étapes importantes de ma vie, avec entre nous pourtant ce fossé de rancœur sourde lorsqu’il serrait mon bras un peu trop fort et que tout mon corps se raidissait à son contact.
A quoi pense-t-il à présent alors que son corps devenu étranger ne lui répond plus ? Fait-il le bilan ? Le moment est sans doute venu d’enterrer avec lui les souvenirs les silences la colère. Il est des pardons plus difficiles que d’autres à accorder, mais s’il s’en va, je reprends ma liberté, qu’il garde les silences. Moi, je continue d’avancer.