Titre original : True Detective
Note:
Créateur : Nic Pizzolatto
Réalisateurs : Justin Lin, Janus Metz, Jeremy Podeswa, John W. Crowley, Miguel Sapochnik, Dan Attias.
Distribution : Rachel McAdams, Colin Farrell, Vince Vaughn, Taylor Kitsch, Kelly Reilly, Abigail Spencer, James Frain, Michael Irby, Leven Rambin, Lolita Davidovich, David Morse, Adria Arjona, Riley Smith, Emily Rios…
Genre : Thriller/Drame
Diffusion en France : OCS City
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
Paul Woodrugh, un officier de patrouille, retrouve à Ventura, le corps sans vie d’un homme recherché dans le ville industrielle de Vinci, dans le nord de la Californie. Très vite, les inspecteurs Ray Velcoro, de Vinci, et Ani Bezzerides, de Ventura, sont chargés de l’affaire. De son côté, Frank Semyon, un entrepreneur baignant dans de sales magouilles, s’intéresse de près au déroulement de l’enquête, la victime lui devant beaucoup d’argent. Un argent sur lequel il compte pour se mettre au vert avec sa femme. Alors que les indices quant à l’identité du corps mettent peu à peu à jour une machination des plus malsaines, l’étau se resserre autour de ceux qui tentent découvrir la vérité…
La Critique :
Dans le jargon, on appelle cela une anthologie. Ce qui signifie en soi que les saisons n’ont pas de rapport direct l’une avec l’autre, chacune relatant une histoire indépendante, avec un début et une fin. Ainsi, bye bye Rust Cohle et Martin Hart et bienvenue à une toute nouvelle escouade. Adieu également la Louisiane poisseuse, le Roi en Jaune et Carcosa, qui laissent la place aux bas-fonds de la banlieue d’une Californie tentaculaire propice à des secrets dont la teneur n’augure jamais rien de bon…
Pouvait-il en être autrement ? La seconde saison de True Detective pouvait-elle vraiment rencontrer le même succès que la première, que ce soit au niveau des critiques ou du public ? Nic Pizzolatto s’attelait à une tâche ardue, soit rebondir sur un triomphe unanime et faire oublier deux personnages hyper puissants, ainsi qu’une histoire et un environnement extrêmement prégnants, pour brosser un tout autre tableau. Car la saison 1 de True Detective a imposé une excellence assez inouïe. En une poignée d’épisodes, Pizzolatto (par ailleurs romancier d’exception) a autant soigné le fond que la forme en réussissant à donner vie à une ambiance unique, portée par des acteurs super impliqués et un réalisateur surdoué, à savoir Cary Fukunaga. Une ambiance en forme de déclinaison (et d’extension) contemporaine du concept au centre du Roi en Jaune, le recueil de nouvelles de Robert W. Chambers.
Pour son deuxième acte, forcément attendu au tournant, le showrunner a pris un paquet de risques, qui au final, se sont avérés payants, quoi qu’en disent les détracteurs, qui ne se privèrent pas d’exprimer leur déception au fil de la diffusion de ces 8 nouveaux épisodes.
À l’instar de la première saison, True Detective, acte 2, débute par un générique exceptionnel. Si la charte graphique est à peu près la même, le résultat se démarque et impressionne tout autant. Côté musique, The Handsome Family laisse la place à Leonard Cohen, qui de sa voix roque, entonne un Nevermind crépusculaire. Un morceau qui à lui seul dénote d’une audace folle, en forme de mise en garde quant à ce qui va suivre.
Réalisée par une poignée de cinéastes, dont Justin Lin, le réalisateur de Fast & Furious 3, 4, 5 et 6 (c’est lui qui ouvre le bal), alors que la première saison ne pouvait compter que sur un seul metteurs en scène, la saison 2 conserve une admirable harmonie. Un peu comme si les 6 réalisateurs avaient établi un modèle sur lequel se baser, histoire de ne pas partir dans tous les sens et former à l’arrivée un tout homogène. Parcourue de vues du ciel, où les autoroutes laissent la place au désert environnant et aux friches industrielles d’une jungle de béton sans cesse plus menaçante, cette nouvelle histoire transforme la ville et ses banlieues parfois décrites comme des havres de paix, en refuges pour toutes sortes de pourritures prêtes à contaminer un environnement qu’elles entendent modeler à leur image afin d’asseoir leur contrôle. Les personnages sont à l’avenant, et peu importe qu’ils soient du côté de la loi ou non. On peut voir dans cette propension à orchestrer la valse d’âmes paumées et méchamment cabossées, une constante dans l’œuvre de Pizzolatto, qui poursuit ici son exploration de la psyché humaine, en traitant notamment de la notion de rédemption, résolument au centre de toute la dynamique.
Série d’anti-héros par excellente, True Detective noircit encore un plus le tableau et ne laisse que très peu de chances à l’espoir de s’inviter à la fête. La corruption, omniprésente, étend ses tentacules bien au-delà de la frontière séparant le bien du mal. Le plus grand nombre de protagonistes dit « principaux » (2 dans la première saison, 4 ici), va dans ce sens et sert entre autres choses à illustrer cette quête de pardon, au centre même du désir de rédemption. Les acteurs choisis jouent en cela un rôle prépondérant, à l’instar de Matthew McConaughey et Woody Harrelson avant eux. Série plutôt « bavarde », reposant sur des dialogues qui peuvent être perçus comme « obscurs », avec leurs relents fantomatiques philosophiques et défaitistes, True Detective est, ici comme jadis, ce qu’elle est grâce à ces acteurs, dont les rôles consistent aussi à relayer une atmosphère amenée à ne faire qu’un avec l’autre grand personnage du récit, à savoir la ville et ses rues où rodent le danger.
Pizzolatto a ainsi à nouveau soigné ses comédiens. Des acteurs parfaitement pertinents, choisis avec goût, et encore une fois beaucoup d’audace.
Vince Vaughn étant le meilleur exemple du caractère frondeur du showrunner. Qui aurait pu prévoir que le géant habitué à la comédie qui tâche, allait s’avérer à ce point impressionnant ? Incroyable de bout en bout, jamais cabotin, inquiétant mais aussi touchant, notamment lors de ce monologue nocturne des plus perturbants, Vaughn est fantastique de sobriété et parvient en cela à conférer à son personnage, à priori du côté des « méchants », une palette de nuances parfaitement dans le ton. Colin Farrell quant à lui est davantage dans son registre, même si lui aussi laisse le « chien fou » à la niche, pour adopter une posture plus « en dedans ». Charismatique, il démontre à quel point il est grand, que ce soit quand il flingue, quand il pleure, ou quand il esquisse un sourire capable à lui seul de vous déchirer le cœur. Rachel McAdams quant à elle, donne dans l’inédit. À des milliers de bornes de la girl next door, elle saute à pieds joints dans une noirceur indicible, et arrive à adapter son charme indéniable aux apparats d’un rôle difficile qu’elle finit par maîtriser sur le bout des doigts. Enfin, Taylor Kitsch est peut-être celui qui aura eut le plus de mal à convaincre, et tant pis si au fond, il est formidable dans la peau de ce flic torturé par des démons voraces qui ne cessent de le tirer vers le bas, alors que lui n’aspire qu’à une vie simple. Bouleversant, Kitsch tient carrément l’un des meilleurs rôles de sa carrière. Les autres aussi d’ailleurs. True Detective est une grande série de comédiens. Une fiction policière psychologique tenant parfois du théâtre, notamment lorsqu’elle se concentre longtemps sur des échanges où les mots ont moins d’importance que les regards et les petits gestes qui traduisent des émotions difficiles à exprimer.
Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre, c’est certain. Au fond, la base est la même. Un corps est retrouvé et l’enquête débute. C’est après que les chemins se séparent. En apparence moins philosophique et certainement moins ésotérique que la première saison, le deuxième acte de True Detective s’apparente à une plongée en apnée. Dans la lignée du cinéma de William Friedkin (un temps envisagé d’ailleurs pour réaliser), elle ne fait pas les choses à moitié et ne cède pas à la facilité. Plus âpre, d’une certaine façon moins sophistiquée, elle organise la montée en puissance d’une tension palpable, qui atteint des sommets plutôt spectaculaires lors de l’ultime épisode. Adapté au binge watching (qui consiste à regarder les épisodes à la file), car parfois plutôt compliqué (beaucoup de noms et de ramifications à retenir), ce nouvel acte est exigeant et demande à ses spectateurs un engagement total. Là est le prix à payer pour en profiter pleinement : en chier des ronds de chapeau avec les personnages. Embrasser leurs névroses et regarder les choses suivre leur cours, sans essayer de comparer ou de prévoir.
Bijou d’écriture, True Detective est aussi un chef-d’œuvre visuel de tous les instants. La photographie, sublime, la mise en scène, cohérente, et la musique, pénétrante, finissent d’envelopper des thématiques amenées à résonner longtemps après le clap de fin. On a certes vu plus joyeux, mais là n’est pas le propos. Nous ne sommes pas ici pour nous amuser, mais pour en prendre plein la vue. Pour se faire remuer les tripes, lors des affrontements verbaux ou quand l’action s’emballe, à l’occasion de morceaux de bravoure incroyables (attention à l’une des plus spectaculaire fusillades vues depuis un bail sur un écran). La saison 2 de True Detective va loin. Quitte parfois à donner l’impression de se perdre ou de faire de sur-place. Ici, pas de demi-mesure. Pas d’illusions sur le genre humain non plus, décrit non sans poésie (rock and roll), dans toute sa complexité.
Nota Bene : Le générique de cette seconde saison, rythmé par Leonard Cohen, fait encore très fort. Une véritable oeuvre d’art.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : HBO / OCS