Célébrant le centenaire du très célèbre poème "La chanson d'amour de J. Alfred Prufrock" (1915), de l'écrivain anglais d'origine américaine, prix Nobel en 1948, T.S.Eliot, voici un livre pas comme les autres de Graham Sage, publié aux Editions de l'Harmattan.
"Les tribulations de J. Alfred Prufrock au pays des moas géants"
est en effet un ouvrage difficilement classable dans les catégories habituelles. Roman, certes, où le picaresque l'emporte, mais aussi puzzle littéraire qui offre au lecteur tout loisir de reconnaître les emprunts au poème initial de T.S. Eliot,
photo de T.S. Eliot empruntée à Wikipedia
placé dans sa version originale avec sa traduction en vis-à-vis, à la fin de l'ouvrage. Les interrogations métaphysiques du poète voisinent ainsi avec les aventures burlesques du héros d'Eliot, ressuscité par la prose de Graham Sage.
Dans le poème, Prufrock est un homme en désarroi, inquiet de voir les méfaits de l'âge sur son corps, ses jambes amaigries, son crâne dégarni. Sera-t-il encore capable de soutenir les brillantes conversations des femmes sur la culture environnante? Pourra-t-il s'adapter à ce monde qui change sans être la risée des uns et des autres? Résistera-t-il au chant des sirènes qui le tourmentent et l'emporteront sans nul doute "au fond des gouffres amers"? Or, ce poème, pratiquement inconnu en France, fut reconnu dans le monde littéraire anglo-saxon, en son temps, comme un véritable séisme. Liberté de ton, vagabondage de la pensée, coqs à l'âne, vers libres, assonances, réminiscences d'autres oeuvres, intertextualité, la rupture est totale avec les codes littéraires immuables. L'écriture, désormais, ne devait jamais plus s'écrire comme avant.
Graham Sage, de son côté, bouscule le culte du poète sacralisé en lui empruntant son personnage transposé de nos jours. Anglais coincé et pétri d'habitudes, rétif aux nouveaux moyens de communication, ce Prufrock contemporain doit quitter son Londres résidentiel pour assister au mariage de sa fille, Alice, au pays des moas géants (oiseaux décimés de longue date), c'est à dire, la Nouvelle Zélande.
image empruntée à Wikipedia
Du voyage en avion à l'atmosphère décontractée des antipodes, J. Alfred va de surprises en surprises, jusqu'à devoir se déguiser en moa géant au mariage d'Alice, afin de lui complaire...
Ce petit roman, si plein de références littéraires, d'inventions drôlatiques et de fines perceptions culturelles, si libre dans sa forme qui emprunte parfois celle du réalisme magique et le ton du conte philosophique, m'a tant agréablement surprise, que j'ai eu l'envie de le traduire pour que les amis français ne lisant pas la langue de Shakespeare dans le texte, puisse partager le plaisir de le découvrir, et, au-delà, peut-être également rencontrer T.S. Eliot. Ouvrant la nouvelle collection de l'Harmattan "Lettres anglo-saxonnes," l'ouvrage est disponible dès à présent en librairie. Traduction de l'ouvrage et du poème de TS Eliot : Chantal Serrière.
Graham Sage, né en 1948 en Angleterre, a étudié la littérature à l'université de Strasbourg et à Oxford. Il est résident permanent à Singapour où il habite depuis 1974. Grand voyageur, il partage son temps entre l'Asie du Sud-Est, Strasbourg, l'Angleterre et la Chine. L'écriture est sa passion de toujours.
l'Image de la couverture est adaptée par SLip: