On suit l’histoire de Nola, jeune femme de 18 ans qui grandit trop vite suite au décès brutal de son père. Elle vit avec sa mère Mira qui sombre dans la dépression. Mira souffre en outre, d’une maladie étrange, l’hyperacousie c'est-à-dire une hypersensibilité au bruit. Nola est coincée dans un nouvel appartement, pendant l’été 1998, en pleine canicule après la victoire des bleus. Elle travaille comme serveuse au bar l’évasion et essaye de se reconstruire. L’immeuble où vit la narratrice est comme un monstre de cauchemar tout biscornu. Un immeuble difforme qui absorbe son malheur mais au cours du récit, ce lieu va permettre à Nola de se libérer de son passé.
Le récit est divisé en plusieurs étapes, cet été déterminant, des flashbacks du passé heureux, des réflexions de la narratrice plus âgée. J’ai aimé cette chronologie découpée et l’impact de cet été sur la jeune femme qu’elle devient ensuite. Cette organisation fait du lecteur, un complice de l’héroïne. On reconstitue avec elle son passé comme une énigme pour comprendre son fonctionnement. Ces sauts chronologiques sont comme des petites lumières au cœur du récit de cet été fondateur. Ils sont superbement agencés et correspondent à cet effet larsen, ce phénomène de distorsion qui donne son titre au roman.
Les personnages sont bouleversants et semblent tellement vivants. Ils sont complexes comme la mère Mira. Le poids de son passé familial, cette maladie qui lui bouffe la vie et son incapacité à reprendre pied dans la réalité. Nola, l’héroïne, qui à l’impression d’être morte vivante, de ne plus pouvoir avancer, à part comme un robot mécaniquement. Mais les rencontres qu’elle va faire dans son nouvel immeuble avec Virgile le voisin, la vieille dame anglaise, les clients du bar et son patron Tag vont l’aider. De même, sa relation avec Jonas confronté aussi à la même expérience de deuil, lui permet d’évoluer. C’est intéressant quand elle compare ses souvenirs d’ado égoïste à sa vie pendant cet été là où elle devient adulte. Elle est obligée de prendre soin de sa mère, elle fait tout pour la sortir de son chagrin. Notamment lors d’une escapade à Saint Malo. J’ai adoré Nola comme j’avais aimé Clémence, dans le dernier roman de l’auteur, un personnage complexe, profondément humain et intelligent.
L’écriture de Delphine Betholon est sensible, lumineuse avec les descriptions de la chaleur, des sensations de la narratrice, des perceptions sur le bruit. Les portraits des personnages font penser à de jolis tableaux parfois cubiques ou ironiques comme avec le vieux et son chien, le personnel médical. Les sentiments de l’héroïne qui passe de l’angoisse, le mal être à l’amour et au bonheur d’être en vie sont subtilement dépeints. L’écriture est très imagée, presque cinématographique. On a l’impression de voir l’histoire se dérouler devant nos yeux. L’atmosphère particulière de cet été qui est une parenthèse dans la vie de l’héroïne, un moment clé, fait un contraste saisissant avec le froid ambiant du début du récit quand elle a 30 ans. On a la sensation d’être dans un tableau avec à la place des touches de couleur une belle palette d’émotion.
Les références musicales, littéraires, ciné, picturales sont omniprésentes. J’ai adoré les clins d’œil à Dorian Gray, Murakami, Picabia, Bjork qui font écho à la vie de Nola. Son obsession pour les oreilles et son besoin de se reconstruire à travers le dessin, la création donnent une profondeur psychologique au personnage. On ressent sa rage, sa douleur, sa tristesse, son amour pour ses parents, Jonas.
Le roman permet aussi de réfléchir sur le travail de deuil, comment chacun le gère différemment. Il permet aussi de s’interroger sur la violence aveugle qui peut frapper n’importe où et interrompre le cours d’une vie. Le fait qu’il faut accepter son passé, tourner la page pour grandir et construire sa vie, une œuvre, une famille. La psyché de Nola et de sa mère sont comme des poupées russes, ces matriochkas que l’on découvre au fur et à mesure et qui recèlent leurs secrets.
Une formidable ode à la vie, un beau kaléidoscope d’émotions, de couleurs, de réflexion qui alterne légèreté et gravité. Une fois de plus, Delphine Bertholon met de jolis mots sur les maux et les transforme en pépites, en pansements pour le cœur du lecteur. Alors partez à la découverte de l’effet larsen, votre cœur va vibrer et entendra longtemps au creux de l’oreille la voix de Nola et son histoire.
PS: Bon je suis définitivement fan de cette auteur, donc prochaines oeuvres à découvrir twist et le soleil à mes pieds.