HISTOIRES ASSASSINES, Bernard Quiriny (2015)
Si je ne craignais d’obtenir le premier prix de la personne la plus outrageusement enthousiaste, manquant (peut-être) d’objectivité et pratiquant une verve hyperbolique obséquieuse et parfaitement indigeste, je me risquerais à déclarer que Bernard Quiriny représente à mes yeux le génie littéraire à l’état pur. Découvert il y a tout juste un an avec l’excellent Le village évanoui (dont la dithyrambique chronique se promène quelque part dans ce blog – ne me demandez pas où, je suis bien trop désordonnée), l’écrivain belge m’avait littéralement subjuguée avec ce roman singulier, philosophique et d’un comique irrésistible. Car Bernard Quiriny – également critique littéraire, entre autres activités –, possède un don rare et précieux : une réelle sensibilité romanesque, conjuguée à une imagination exceptionnelle et débridée, elle-même entretenue par une plume raffinée, fringante et identifiable entre mille ; bref, un talent immense qui met en scène avec grâce et virtuosité tout ce que l’on peut attendre d’un adroit prosateur…
Il était une fois, une vingtaine de nouvelles toutes plus fameuses et audacieuses les unes que les autres nageant dans un univers fantastique, surréaliste, biscornu, absurde et follement amusant. Car chez Bernard Quiriny, l’on peut tout à coup « Bleuir d’amour » après une relation charnelle, phénomène entraînant un certain nombre de déboires et dysfonctionnements sociétaux parfaitement jouissifs ; composer un critique littéraire « Sévère mais juste » qui assassine un écrivain par jour pendant un mois sous prétexte d’arguments discutables mais hilarants ; découvrir de nouvelles peuplades aux mœurs étranges et non dénuées d’intérêt dans « La tournée amazonienne » ; suivre « Les patients du Dr Hampstadt » tous atteints de maux abracadabrants et insolubles ; croiser « Le nouveau Landru », personnage énigmatique persuadé de parvenir à mettre enceinte les femmes à distance, dirigé simplement par ses plus troublants fantasmes ; se faire tourmenter par « Les choses ont la parole », objets du quotidien se rebellant face à une toute puissante Humanité ; s’attacher dans « Histoire sans tête » à un directeur d’établissement pénitentiaire sombrant dans la folie à quelques jours de l’exécution de son détenu le plus obsédant et dangereux ; ou encore, palper le destin funestement ectoplasmique d’un membre d’équipage dont le corps se délite et devient « mou, fluide et visqueux » au travers de « Mon corps me quitte »…
Inutile de trop en dévoiler, sous peine d’atténuer considérablement l’intérêt de la lecture de ce livre hors-norme, qui (encore une fois) sous des aspects humoristiques, dévoile une très grande intelligence et bon nombre de réflexions sociologiques et philosophiques sophistiquées et goûtues. Les nouvelles s’enchaînent à un rythme soutenu sans que la qualité narrative ne fléchisse – bien que trois récits se révèlent légèrement moins inspirés – et, sans avoir de véritable lien entre elles, se conjuguent, se répondent, s’entrecroisent malgré tout, formant un bloc métaphysique des plus jubilatoire. Lire Quiriny c’est s’embarquer dans un univers à part, suivre avec gourmandise une écriture fluide et travaillée, se remplir d’histoires où l’humour noir caresse l’ironie, la causticité et la tendresse. Que le peuple des lecteurs soit prévenu, s’attacher à Quiriny relève de la plus exaltante expérience scientifique, sorte de plongée dans une Quatrième dimension littéraire élégante, charismatique et noblement disjonctée!
[Et, comme le dit si bien l’auteur lui-même : « Je suis réticent à l’idée de m’exposer sans le filtre de l’humour ou de l’excentricité ». Je confirme, à côté de Bernard Quiriny, un buvard de LSD ferait presque pâle figure…]
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