Queen Victoria,My father and all his tobacco loved you,I love you too in all your forms,The slim and lovely virgin floating among German beards*,The mean governess of the huge pink maps,The solitary mourner of a prince.
Queen Victoria,I am cold and rainy,I am dirty as a glass roof in a train station,I feel like an empty cast iron exhibition,I want ornaments on everything,Because my love, she gone with other boys.
Queen Victoria,Do you have a punishment under the white lace,Will you be short with her, Make her read those little Bibles,Will you spank her with a mechanical corset?I want her pure as power, I want her skin slightly musty with petticoatsWill you wash the easy bidet Out of her head?
Queen Victoria,I'm not much nourished by modern love,Will you come into my lifeWith your sorrow and your black carriages,And your perfect memories?
Queen Victoria,The Twentieth Century belongs to you and me.Let us be two severe giants Not less lonely for our partnership,Who discolour test tubes in the halls of Science,Who turn up unwelcome At every World's Fair,Heavy with proverbs and corrections,Confusing the star-dazed touristsWith our incomparable sense of loss.
Léonard Cohen a enregistré seul dans une chambre d’hôtel du Tennessee en 1972, et n’a jamais chanté en public, “Queen Victoria” (« Live Songs, 1973), résurgence d’un poème de son ouvrage controversé “Flowers for Hitler” (McClelland and Stewart, Toronto 1964). La version chantée comporte des changements apparemment mineurs. Sur un tempo d’une invraisemblable lenteur, et sur un ton désespéré, Léonard Cohen évoque la figure légendaire de la Reine Victoria, reine du Royaume Uni et d’Irlande de 1837 à 1901, et emblème du puritanisme. Au cours de son très long règne, elle réussit à rester très populaire d’une part en incarnant la tradition et les valeurs morales « rassurantes » dans une période de révolution industrielle et de bouleversement sociaux, mais aussi en suscitant la sympathie à la suite des multiples attentats dont elle fut victime (sans grand mal), et de son deuil inconsolable, qu’elle porta durant quarante ans.C’est donc à cette rigueur et cette tristesse que fait ici référence Léonard Cohen, mais la seconde strophe évoque la froideur humide d’une gare déserte au cœur de l’hiver, avec ses piliers et poutrelles de fonte, et sa verrière encrassée… tout comme Victoria Station, l’une des principales gares de Londres. Le rapprochement de ces deux images est donc remarquablement efficace pour décrire l’humeur de l’auteur, et l’explication en vient alors : le départ de sa bien-aimée, partie « avec d’autres garçons ». Comme la reine Victoria, qui reçut une éducation austère et recluse, il rêve donc de rééduquer la traitresse pour lui faire passer le goût du confort et de la futilité. Déconcerté et frustré par l’évolution des mœurs (« l’amour moderne, l’amour libre ») il rejoint la reine endeuillée dans son admirable chagrin et son insupportable discours moralisateur…De ce que l’on connaît de la vie de Léonard Cohen, on peut déduire que tout cela est à prendre au second ou troisième degré !ALN
Reine Victoria
Reine VictoriaMon père, avec tout son tabac, vous aimaitJe vous aime aussi sous toutes vos formesL’adorable et svelte vierge flottant sur les barbes allemandesL’odieuse gouvernante des immenses cartes rosesLa solitaire portant le deuil d’un prince
Reine VictoriaJe suis froid et pluvieuxJe suis crasseux comme la verrière au toit d’une gareJe me sens comme une exposition de fonte déserteJe veux des décorations partoutCar mon amour est partie avec d’autres
Reine VictoriaPortez-vous le cilice sous la dentelle blanche ?Serez-vous dure pour elle ?Lui ferez-vous lire ces petites Bibles ?Lui ferez-vous porter un corset de maintien ?Je la pure comme le pouvoirJe veux sa peau un peu chancie sous les juponsLui ferez-vous oublierL’aisance du bidet ?
Reine VictoriaL’amour moderne ne me nourrit guèreRejoindrez-vous ma vieAvec votre deuil et vos noirs atoursEt vos parfaits souvenirs ?
Reine VictoriaLe vingtième siècle nous appartient, vous et moiSoyons-en deux géants sévères,Partenaires mais pas moins solitairesQui s’invitent à chaque foire internationaleDécolorant les éprouvettes aux Palais des SciencesAssénant proverbes et critiquesDésorientant les touristes éblouisPar notre incomparable sens de la perte
(Traduction – Adaptation : Polyphrène)
* « Beards » (barbes) est souvent transcrit ici en « Beers » (bières) ou même « bears » (ours), ce qui ne semble gêner personne, ou presque !