Le premier défi, le plus injuste, c’est celui de la couleur de sa peau. Obama a adopté, dès son entrée dans la course, une stratégie simple : dépasser le clivage racial qui pèse tant sur la société américaine. C’est-à-dire ne pas apparaître comme un candidat noir et comme le candidat des noirs. Il a d’ailleurs su dessiner, à plusieurs reprises, les contours d’une Amérique post-raciale. Cette vision positive et optimiste a beaucoup compté dans l’adhésion massive des jeunes et des citoyens les plus diplômés à sa campagne. Obama a prononcé sur le sujet, à Philadelphie le 18 mars, ce qui restera certainement comme l’un des grands discours de l’histoire politique américaine récente. Pourtant cet optimiste rassembleur qui a été l’un des moteurs de la candidature d’Obama doit être placé en regard d’un problème qui est loin d’être résolu. La polarisation du vote ethno-racial pendant les primaires – les noirs ont voté massivement Obama tandis que les Latinos et les « Petits Blancs » se sont prononcés majoritairement pour Hillary Clinton – augure mal de la campagne à venir. A la fois parce que ce type de polarisation peut se reproduire à une échelle bien plus défavorable pour Obama : il y a proportionnellement moins de noirs dans l’électorat total que dans l’électorat démocrate et inversement, davantage de petits blancs ; et parce que ces derniers sont moins enclins que d’autres à voter pour un candidat noir – qu’ils soient démocrates, républicains ou indépendants. Le fait que des activistes républicains aient également lancé à plusieurs reprises des campagnes soulignant le nom complet du candidat, Barack Hussein Obama et son rapport supposé à la religion musulmane, va dans le même sens. Cette donnée n’apparaît pas dans les enquêtes d’opinion, mais elle est très présente dans les témoignages recueillis, notamment par les journalistes, tout au long de la campagne - voir à ce sujet, par exemple, l’article de George Packer dans le dernier numéro du New Yorker. Elle jouera un rôle, difficile à évaluer certes mais néanmoins sensible, dans l’élection.
Le deuxième défi auquel sera confronté Barack Obama concerne l’avenir de l’économie américaine même s’il ne sera pas le seul à devoir le relever, bien évidemment. Là encore la campagne des primaires a donné quelques indications sur les difficultés auxquelles devra faire face le candidat démocrate. Le vote des « petits blancs » n’est pas qu’un vote ethno-racial, c’est aussi un vote socio-économique. Et les différences apparues tout au long des primaires entre les électorats d’Hillary Clinton et de Barack Obama ne laissent pas présager, là non plus, d’une campagne facile pour ce dernier. Il a en effet surtout recueilli les suffrages des plus urbains, des mieux intégrés et des plus qualifiés (diplômés de l’enseignement supérieur notamment) des électeurs démocrates. Les électeurs moins qualifiés, ceux de la traditionnelle « working class » et ceux des familles travaillant les secteurs en déclin – notamment dans les vieux états industriels du Nord et le long des Appalaches – ont voté massivement Clinton. Elle l’a d’ailleurs emporté à la fois auprès de cette population et dans de nombreux Etats considérés comme décisifs pour l’élection de novembre : Ohio, Pennsylvanie, New Jersey, Virginie occidentale mais aussi Floride ou Texas… Le débat sera avant tout économique et social pendant les quatre mois de campagne qui restent, tant les préoccupations des Américains de 2008, exprimées enquête après enquête, vont dans ce sens : crise des subprimes et crise immobilière, délocalisations et désindustrialisation, libre-échange (ALENA) et déficit du commerce extérieur vis-à-vis de la Chine, réforme de l’assurance-maladie et du système de retraite… Or Obama est apparu en retrait ou en difficulté sur tous ces sujets lors des primaires. Il a fait preuve de cynisme comme sur l’ALENA – l’un de ses conseillers économiques a été pris en flagrant délit auprès de diplomates canadiens auxquels il a expliqué que la position hostile au libre-échange du candidat n’était qu’une posture de campagne – ; il s’est montré méprisant vis-à-vis de cet électorat en difficulté économique lorsqu’il a déclaré lors d’une réunion de collecte de fonds le 5 avril à San Francisco « qu’il n’était pas surprenant [que les habitants des petites villes (de Pennsylvanie)] deviennent amers, s’accrochent aux armes à feu ou à la religion, développent de l’antipathie pour ceux qui ne sont pas comme eux, de l’hostilité envers les immigrés ou des sentiments antimondialisation. »; il s’est révélé trop peu « compatissant » en refusant de proposer une réforme du système d’assurance-maladie qui le rendrait obligatoire.
Le troisième défi d’Obama peut se résumer ainsi : est-ce qu’il réussira à incarner l’idée que les Américains se font de leur « Commander in chief ». C’est-à-dire de leur président dans son rôle, primordial, de protecteur de ses concitoyens face aux menaces, aux désordres et aux bouleversements du monde. Sur ce terrain, l’inexpérience internationale et stratégique d’Obama est évidente, surtout face à un candidat républicain qui est à la fois un héros de guerre, un « faucon » en politique étrangère et un spécialiste au Congrès, depuis longtemps, de ces questions. Est-ce que la position anti-guerre, adoptée par Obama dès le début du conflit irakien, suffira, ainsi qu’il l’a fièrement défendu dans les primaires, à faire de lui l’acteur crédible du renouveau militaire et diplomatique américain ? Ou bien est-ce qu’au-delà du ras-le-bol exprimé par la grande majorité des Américains face à la guerre, ses conséquences humaines, son coût économique et ses effets dévastateurs sur l’image des Etats-Unis, c’est le doute quant aux capacités de ce nouveau venu en politique qui prévaudra ? Les Américains rejettent aujourd’hui nettement l’Administration Bush à cause de la guerre d’Irak, des mensonges et des manipulations auxquelles elle a donné lieu. Ils sont également avides d’un changement profond dans la manière dont leur gouvernement lie les questions économiques et les questions stratégiques après avoir littéralement sacrifié les premières aux secondes. Mais sont-ils pour autant prêts à changer radicalement de politique étrangère et de défense à l’heure où les menaces terroristes restent d’actualité, où rien n’est réglé en Irak – le départ comme le maintien américain sont des solutions catastrophiques – et où les équilibres internationaux se redessinent ? On peut en douter. Si la rhétorique du changement adoptée par Obama séduit par ses aspects anti-Bush, elle est moins convaincante lorsqu’il s’agit de solutions pratiques – quel retrait des troupes d’Irak, suivant quel calendrier ? Comment faire avec l’Iran ou face aux puissances émergentes ? Etc. Dès lors la figure rassurante de John McCain, dont même l’âge avancé dans ce cas pourrait être un atout, réapparaît en dépit de propositions concrètes pourtant aussi peu élaborées que celles d’Obama.