Nouvelle interview éditeur sur Paoru.fr, ça commençait à me manquer ! Plus qu’ intéressant et validant à la vitesse de l’éclair, j’ai le plaisir d’accueillir une nouvelle tête dans cette rubrique consacrée aux éditeurs manga : Wladimir Labaere, le directeur éditorial de Sakka, le label manga de Casterman. Irassahaimase !
Wladimir Labaere – Sakka. Photos : P. OZOUF ©Paoru.fr – Tous droits réservés
Si, il y a quelques années, je ne me tournais pas vraiment régulièrement vers cet éditeur, je le regardais avec un œil nouveau depuis Thermae Romae et désormais avec beaucoup d’intérêt depuis les récentes pépites que sont Area 51 ou Sangsues. Même si faire de moi une groupie de Taniguchi reste à ce jour une mission très improbable, les nouveaux choix de l’éditeur m’ont montré qu’il savait faire (et bien faire) autre chose. Il n’en fallait pas plus pour que j’aille visiter les sympathiques locaux de Casterman, la veille de Japan Expo le 01 juillet dernier, et rencontrer Wladimir pour parler de cette nouvelle ligne éditoriale, de son fonctionnement en tant que directeur éditorial, des rencontres passionnantes autour d’œuvres entre France et Japon, des premiers bilans et des défis qui l’attendent… C’est aussi complet que passionnant vous allez voir, avec en bonus le questionnaire manga pour connaître le lecteur derrière l’éditeur…
Bref, à votre tour de découvrir le résultat !
Moderne, romanesque, ambitieux et accessible
Bonjour Wladimir. Commençons par l’actualité et Japan Expo. Je me souviens du stand Casterman aux couleurs de Thermae Romae… Est-ce que vous prévoyez un jour de refaire quelque chose de cette ampleur ?
Avec Japan Expo, nous sommes en pause : Casterman y avait un stand jusqu’en 2013, mais pas en 2014 ni en 2015. Pour 2016, nous n’avons pas encore décidé.
Tout cela procède d’une réflexion amorcée à l’arrivée, en mars 2013, de la nouvelle direction de Casterman (consécutive au rachat de Flammarion par Gallimard), avec Charlotte Gallimard en tant que directrice générale et Benoît Mouchart en tant que directeur éditorial de Casterman BD (après dix ans passés au FIBD d’Angoulême en tant que directeur artistique). Une nouvelle ligne éditoriale a été élaborée, donc, au terme d’une phase de réflexion menée par nous trois.
D’ailleurs, pour expliquer un peu à ceux qui ne te connaissent pas, quel est ton parcours chez Casterman à l’époque ?
Au printemps 2013, à l’arrivée de la nouvelle direction, donc, j’étais assistant éditorial pour la partie japonaise du catalogue Casterman, c’est-à-dire les titres de la collection Sakka et les mangas paraissant dans la collection Écritures. J’étais à ce poste depuis fin 2008, alors que j’étais au départ exclusivement traducteur. J’avais commencé, à mon retour du Japon en 2006, à traduire à la fois des anime et des mangas (je garde cette activité aujourd’hui, en parallèle de mes fonctions d’éditeur). Chez Casterman, j’avais ainsi travaillé sur Astral Project (ci-contre, NDLR) puis Skip Beat (toujours en cours de parution, on vient d’envoyer le 36e volume chez l’imprimeur). Un jour, on m’a proposé le poste d’assistant éditorial, que je me suis empressé d’accepter car d’une, j’aimais ce que faisait Casterman en manga, et de deux, j’avais très envie de prendre part à l’ensemble du processus de production d’une maison d’édition.
Et donc retour à mars 2013…
Voilà. Mars 2013, ce qu’on me dit, en substance, c’est : « Désormais, c’est toi l’éditeur manga, qu’est-ce que tu proposes de faire ? » Et là, je vends du rêve !
Plus sérieusement, j’avais plein d’idées, qui ne s’étaient pas forcément concrétisées à l’époque où j‘étais assistant car les décisions finales n’étaient pas de mon ressort. Donc là, j’expose ma vision du manga, la direction qu’il me semble pertinent de prendre dans le contexte actuel. Ce qui m’intéresse, c’est de ne pas proposer la même chose que les autres. C’est une phrase qu’on entend souvent, car chaque éditeur défend son identité, bien entendu. Mais en deux ans, je crois que la manière dont j’entends cultiver une originalité, alliée à une exigence de qualité, s’est mise en place et s’est traduite en publications qui parlent d’elles-mêmes : Wet Moon, Area 51, Sangsues…
Je vais reprendre les quatre mots que Benoît Mouchart a utilisés pour définir l’ADN de Casterman, aussi bien en bande dessinée occidentale que japonaise : moderne, romanesque, ambitieux et accessible. « Moderne » est à prendre au sens d’actuel, qui fait écho aux préoccupations des lecteurs d’aujourd’hui. « Romanesque », c’est de l’aventure, des histoires avec un souffle, qui commencent quelque part et emmène le lecteur très loin. Être « ambitieux » dans ses choix éditoriaux, c’est tenter de donner à lire des choses nouvelles ou peu lues jusqu’à présent, qui témoignent toutes de grandes qualités scénaristiques et graphiques. Être « accessible », enfin, c’est garder à l’esprit que nous proposons du divertissement aux lecteurs. Quand je vais au Japon, désormais, les éditeurs savent très bien ce que je cherche, mais aussi où je veux emmener Casterman et comment j’entends y parvenir.
Je veux à donner à lire au public français des choses qu’il a peu lues, peu vues, voire pas du tout, et qui sont en même temps du très bon divertissement. Cela peut être des œuvres d’auteurs qui se distinguent par leur patte graphique, par la manière dont leur personnalité et leur vision du monde transparaît dans leur travail, par des thèmes de prédilection qui ont été peu ou pas abordés dans ce qui arrive dans les librairies en France…
Ça, c’est pour les titres récents et à venir. Il ne s’agissait pas, pour autant, de renier les fondamentaux, à commencer par Jirô Taniguchi, que Casterman publie depuis vingt ans. Nous avons évidemment continué à travailler avec lui, nous avons notamment proposé une édition anniversaire pour les vingt ans de la première parution en France de L’homme qui marche, qui est un chef d’œuvre. Cela coïncidait en outre avec sa venue à Angoulême en janvier 2015. Nous avons également publié les Contrées Sauvages : un autre Taniguchi, celui des années 1970, du récit hard-boiled, du Western… Loin de l’auteur qu’il allait devenir avec Quartier Lointain, par exemple, mais tout aussi passionnant. Nous préparons d’autres choses avec lui pour l’année prochaine. De la même manière, Hiroaki Samura, l’auteur de L’Habitant de l’infini, fera son grand retour chez Casterman en 2016.
Premiers choix, premiers virages… et premiers retours
Comment la politique s’est concrétisée depuis ?
Il y a un titre qui est un trait d’union parfait entre nos fondamentaux et cette nouvelle ligne éditoriale : c’est Thermae Romae. Après l’avoir remarqué, lors de la parution des premiers chapitres dans Comic Beam en 2009, je me suis très rapidement dit qu’il fallait le publier. On informe l’éditeur japonais, Enterbrain, qu’on est intéressés, on prend rendez-vous à Japan Expo… On arrive au rendez-vous et là, je vois Christel Hoolans (directrice éditoriale de Kana, NDLR) sortir de leur espace avec un Thermae Romae sous le bras…
Ah, c’est de mauvais augure pour vous !
En même temps, on était persuadés que nous ne serions pas le seul éditeur intéressé, car à cette époque, quand tu lis Comic Beam, tu ne peux pas faire autrement que t’arrêter sur Thermae Romae. Bref, nous faisons une offre à Enterbrain, de chez qui venait déjà, entre autres, L’île panorama, le premier titre de Suehiro Maruo publié par Casterman, et son manga le plus accessible à ce jour. Et la suite, c’est la sortie des deux premiers tomes de Thermae Romae chez Casterman à l’occasion du Salon du Livre 2012, où le Japon est le pays invité, avec une Mari Yamazaki qui fait une très forte impression.
Thermae Romae était donc un signe avant-coureur de la politique éditoriale que j’appelais de mes vœux et qui est mise en place aujourd’hui. Les qualités de Thermae Romae et les ventes étant ce qu’elles sont, un peu plus de 100 000 exemplaires sur les 6 tomes, il est évident qu’en 2013, à leur arrivée, Charlotte Gallimard et Benoît Mouchart sont tombés d’accord aussi bien sur la proposition éditoriale que je leur ai soumise concernant l’avenir du manga chez Casterman, que sur les perspectives commerciales.
Depuis, il y a eu Wet Moon, puis La Cité des Esclaves, Area 51, et Sangsues qui s’inscrivent dans cette logique, et d’autres sont à venir : 2016 est déjà bouclé et il y aura de nouvelles choses à découvrir, de belles signatures. Mais le tout fondé sur les critères évoqués tout à l’heure : proposer des choses différentes mais accessibles, qualitatives, des récits avec du souffle, une patte graphique et une personnalité.
Ce qui nous ramène donc à aujourd’hui… et à la question de Japan Expo
Voilà, je raccroche donc les wagons : avec cette politique, nous avons estimé que Japan Expo n’était pas LE meilleur endroit où promouvoir ces titres auprès du public. Le salon a tendance à devenir avec les années un événement au cours duquel, en tant qu’éditeur, il est difficile de faire entendre une voix singulière, tant l’exploitation des grosses licences et la foire aux produits dérivés occupent le devant de la scène.
Notre dernière expérience à Villepinte était un stand dérivé de l’espace Casterman du Salon du Livre de Paris et du festival d’Angoulême, le truc super classieux. En fait, on attirait surtout les parents des enfants qui venaient à Japan Expo. Ils voyaient un stand dans l’esprit du Salon du Livre avec de la moquette, des boiseries, des livres de Taniguchi, ça leur parlait parce qu’ils avaient lu un article dans Télérama… Bon, je caricature énormément, mais tu vois l’idée. Entre les parents qui ne venaient sur notre stand que pour Taniguchi, et les gamins qui aillaient ailleurs pour Naruto et One Piece, on s’est dit qu’il fallait revoir notre copie pour ce qui concerne notre participation à cet événement.
Y promouvoir des titres comme Wet Moon en y invitant Atsushi Kaneko, par exemple, n’avait pas de sens. Tout aurait été noyé dans la masse. Nous l’avons donc fait venir à Angoulême, c’était beaucoup plus cohérent. De la même manière, nous avons préféré investir dans des spots de pub sur J-One, Game One et les chaînes du réseau MTV quand Area 51 est sorti. Mais quand la série sera bien installée, là, oui, faire venir Masato Hisa à Japan Expo aura du sens.
Il n’est donc absolument pas exclu que nous y retournions, mais lorsque nos titres auront acquis la notoriété suffisante pour ne pas se faire éclipser par les blockbusters qui monopolisent l’espace et l’attention à Japan Expo. Ça s’amorce pour Area 51 et Sangsues, deux séries qui bénéficient d’un accueil dithyrambique de la presse. C’est un signal vraiment encourageant : nous sommes dans la bonne direction, notre démarche fait sens. La validation ultime, bien entendu, c’est celle du public, qui va acheter ou non nos séries. C’est parfois frustrant car c’est un métier très long : les fruits de ce que tu fais peuvent mettre deux ou trois ans à arriver, d’autant que le décollage ne se fait pas forcément sur un tome 1. Une série peut s’installer aux tomes 3, 4 ou 5… Mais pour le moment du côté des ventes, ça se passe bien.
C’est-à-dire ?
On vient de dresser un bilan des douze derniers mois, de juin 2014 à juin 2015. Au 21 juin 2015, Casterman est le 10e éditeur de manga en France, avec une progression du chiffre d’affaires de 41 %, là où le marché augmente de 10 %. Nous nous sommes dit que c’était plutôt une très bonne nouvelle ! (Rires)
Du coup, nous avons voulu affiner et nous sommes allés voir les chiffres GfK pour le segment seinen : on sait que ce n’est pas encore le plus porteur mais c’est lui qui connait la plus forte progression. Sur la période juin 2014 – juin 2015, le marché a progressé de 33 % et Casterman, de 60 %. Donc voilà, les résultats sont là aussi. C’est vraiment encourageant, on se dit qu’on est dans la bonne direction.
Le chantier, maintenant, c’est d’asseoir l’image de Casterman dans l’esprit des lecteurs de mangas. C’est quelque chose qui est déjà en place chez les lecteurs mixtes BD-manga. La cause est pratiquement acquise. Mais il y a encore du travail auprès des lecteurs de manga pure players, ceux qui ne lisent que du manga. Il faut qu’on se défasse de cette image… Enfin de cette absence d’image dans le manga, surtout (rires), dont pâtit peut-être encore Casterman chez certains. « Casterman c’est qui, c’est Tintin, non ? » ou « Ah non, Casterman c’est intello, c’est Taniguchi, c’est prise de tête, c’est pas pour moi. » Ma réponse, dans ce cas-là, c’est : « Eh bien venez, je vais vous montrer Area 51, Sangsues, La Cité des esclaves, vous allez en redemander ! Ce qui tombe bien, puisque j’ai également plein de titres qui arrivent en 2016 et qui vont vous faire très plaisir ! »On aura donc l’honneur et la joie immense de publier Deathco, le nouvelle série d’Atsushi Kaneko, qui est une vraie bombe super stylée, drôle et ultra-violente… Je suis également tout excité de publier une série d’heroic-fantasy à la fin du premier semestre. Du médiéval-fantastique, donc, avec des grosses bastons, des monstres et tout le tintouin, mais qui éclate aussi joyeusement les frontières canoniques du genre. Il est un peu tôt pour parler de tout, mais 2016 va être un cru génial : riche, varié, très qualitatif. J’ai lu des dizaines et des dizaines de titres avant de trouver ceux qui étaient parfaits à nos yeux, mais là, je suis comme un petit fou. Le tout en gardant un nombre raisonnable de sorties pour nous, soit une trentaine de volumes sur l’année, ce qui nous permet d’accorder le maximum de soin à chaque titre.
Ensuite, comme je le disais, nous avons aussi une riche histoire en matière de mangas, et il n’est pas question de la renier, bien au contraire. Certaines idées de Casterman ont par exemple fait des petits, notamment depuis la création de Sakka en 2004 : Casterman a été le premier en à publier en français des titres de Fumi Yoshinaga (All my darling daughters), de Kazuichi Hanawa (Tensui), de Daisuke Igarashi (Sorcières) ou encore de Satoshi Kon (Le Retour vers la mer)… Autant d’auteurs qui ont ensuite vu d’autres de leurs titres arriver en français chez d’autres éditeurs… Et c’est une très bonne chose. Selon moi, plus il y a de titres intéressants qui arrivent en France, mieux c’est pour le marché en général.
Ça me fait penser que récemment, j’ai lu quelque part, je cite parce que c’est assez énorme, que Casterman aurait « piqué » Masato Hisa à Glénat parce que nous nous avons publié les deux premiers tomes d’Area 51 deux mois après la sortie du premier volume de Jabberwocky… Ça ne mérite pas vraiment qu’on en parle, mais on pourra simplement rappeler que 1. : les auteurs japonais n’appartiennent pas à un éditeur français, ni même à un éditeur japonais (au Japon, les auteurs sont presque tous publiés par plusieurs éditeurs), et 2. : entre le moment où un éditeur français fait une offre et le moment où le livre sort, il peut se passer entre six mois et deux ans. Il est donc souvent difficile de savoir, dans ce genre de situation, quel éditeur a acquis les droits d’une série d’un auteur avant un autre… Enfin, on n’est pas là pour faire un concours de celui qui a trouvé l‘auteur de génie avant tous les autres…
De Hisa à Sangsues : la rencontre décisive avec Shinchôsha…
Ce que tu dis c’est plutôt pour montrer que ce n’est pas de l’opportunisme ?
Voilà. Pour la petite histoire, Area 51, nous l’avons découvert, Benoît Mouchart et moi, à l’automne 2013, à Tokyo (soit 18 mois avant la parution du tome 1 dans la collection Sakka), pendant un rendez-vous avec les éditions Shinchôsha. L’objectif principal de ce premier voyage au Japon après le changement de direction était de présenter le nouveau Casterman aux éditeurs de mangas. Nous faisons donc la tournée des éditeurs.
Puis, sur le conseil de l’agence Tuttle-Mori, qui est pour résumer un intermédiaire entre éditeurs français et japonais à qui nous avions détaillé notre démarche et nos ambitions, nous allons voir pour la première fois Shinchôsha (à Shinjuku, Tokyo cf photo ci-contre, NDLR) C’est un éditeur dont le catalogue est encore peu publié en France. Peut-être parce que c’est une maison qui ne sort pas du Japon : elle n’est pas présente à Japan Expo ou au Salon du Livre de Paris. Au Japon, c’est un mastodonte de la littérature… C’est un peu le Gallimard japonais. En manga, en revanche, c’est une petite poignée de magazines, ça se compte sur les doigts d’une main. Or, dès la parution en 2011 du premier numéro de son magazine amiral qu’est le Comic@Bunch, Shinchôsha a affiché sa volonté de publier des titres différents tout en restant accessibles. C’est un peu, voire carrément, notre stratégie, donc forcément, nous avons demandé au directeur éditorial de ce magazine, monsieur Iwasaka, ce qu’il avait à nous proposer.Il nous a d’abord montré ses titres parus en France comme Btooom! (chez Glénat) et Brave Story (chez Kurokawa), avant de passer au reste, et nous nous sommes très vite rendu compte que ce sont leurs titres les plus commerciaux qui sont arrivés en France. Plus tard, il a ajouté : « Avec Thermae Romae, le monde du manga au Japon a compris qu’il y avait des artistes pour proposer des choses différentes et commerciales à la fois, et surtout un public pour les lire et les apprécier ». Il ne savait pas encore que c’était Casterman qui avait publié Thermae Romae en France. Bref, on ne pouvait que devenir copains et travailler ensemble… Il fallait au moins qu’on essaie ! (Rires)
Il nous montre donc plein de séries qui ont l’air de sortir de l’ordinaire, tout en restant du manga avec ses codes, qui méritent donc d’être lues très attentivement. Donc j’embarque, j’embarque, j’embarque… Comme j’ai la chance de parler et de lire le japonais, je sais comment je vais occuper mes soirées à l’hôtel. Et puis arrive la fin du rendez-vous, et il nous lâche un : « Moui… J’ai peut-être encore un truc mais je ne suis pas sûr. Mais bon, quand même, vous avez fait onze mille bornes pour me voir donc je vous le montre… »
Et il nous sort Area 51. On prend chacun un tome et on est tout de suite soufflés. L’élégance du graphisme, le dynamisme de la narration, la fluidité des planches, l’humour… Tout ça nous explose au visage. On se regarde, impressionnés, et on comprend : « Ah ouais, toi aussi, ça te fait ça ? », « C’est pour nous, cette série. » M. Iwasaka me dit qu’il y a 7 tomes à ce jour, je lui réponds aussitôt : « Tu me les files, je les lis ce soir et je t’en reparle demain matin. »
Je rentre à l’hôtel et je lis les 7 tomes dans la nuit.
Au petit déjeuner, j’achève de convaincre Benoît – ce n’est vraiment pas difficile –, que c’est exactement ce qu’on veut. Puis on revoit l’éditeur et on lui dit qu’on aimerait vraiment publier cette série, que c’est un bijou.
C’est comme ça que nous avons commencé à travailler avec Shinchôsha. Et depuis, il y a eu Sangsues.
Un coup de cœur aussi ?
L’histoire est différente, Sangsues, c’est un processus de plus longue haleine. Il a été porté pour la première fois à ma connaissance alors que j’étais assistant, par Sahé Cibot – qui était apporteuse d’affaires pour Casterman (elle avait également travaillé à l’édito Casterman dès la création de Sakka en 2004, avant de partir s’investir dans d’autres projets). De chacun de ses voyages au Japon, elle nous rapportait des mangas et un jour, dans le lot, il y a donc eu Sangsues. Il m’a immédiatement intrigué. Son sujet, d’abord, est fascinant : des gens qui vivent chez d’autres personnes pendant leur absence, et qui vont d’appartement en appartement, invisibles aux yeux de la société. Le thème des « évaporés », donc. Cette histoire dit beaucoup de choses sur les sociétés industrialisées contemporaines, leur course forcenée à l’individualisation qui, paradoxalement, débouche sur un anonymat violent. Sangsues parle de la perte de repères causée par l’urbanisation tentaculaire, de la cruauté d’un système qui laisse sur le carreau ceux qui ne rentrent pas dans le moule… Ça, c’est le terreau du récit. Ensuite, il y a une héroïne et toute une galerie de personnages vraiment bien campés, une narration haletante en forme de thriller, un graphisme puissant et élégant à la fois, et enfin, une maîtrise du langage de la bande dessinée réellement exceptionnelle chez un auteur aussi jeune.Par la suite, je me suis procuré chaque tome dès sa sortie, et ma conviction que c’était un excellent titre n’a cessé de grandir. C’est à l’automne 2013, l’année où j’ai pris les commandes du manga chez Casterman, que le cinquième et dernier tome est sorti. La fin a achevé de me convaincre, j’ai donc fait une offre.
Ce qu’il faut savoir, c’est que Daisuke Imai, l’auteur de Sangsues, est arrivé chez Shinchôsha à la demande du rédacteur en chef de Comic@Bunch, M. Iwasaka, qui lui avait donné comme cahier des charges de faire quelque chose de différent, tout simplement, en accord avec leur manifeste. Il a trouvé son idée en tombant sur un fait divers qui traitait d’un cambriolage où les voleurs avaient pris leur temps dans la maison, s’étaient installés, avaient fumé des clopes, maté la télé, etc.
À travers ces deux découvertes que sont Area 51 et Sangsues, j’ai aujourd’hui de très bonnes relations avec Shinchôsha. Comme avec tous les autres éditeurs auxquels j’ai longuement expliqué notre démarche, en fait. Que ce soit Enterbrain ou Kôdansha, ils sont toujours contents que je leur dise en détail pourquoi j’ai aimé tel ou tel titre chez eux, mais aussi pourquoi je ne vais pas faire d’offre sur tel titre qu’ils m’ont pourtant recommandé. Il y a chez eux un intérêt très vif pour ce qu’on met en place chez Casterman depuis deux ans (les titres qu’on a déjà publiés, bien sûr, mais aussi ceux dont on a acquis les droits et qui sont programmés pour 2016 et 2017), ainsi qu’une curiosité qui s’est progressivement transformée en confiance. Cultiver ces relations de cette façon ne peut donc qu’être payant sur le long terme.
Magazines, auteurs et internet : le travail de W. Labaere
Puisque l’on parle de ça, quels sont tes magazines de prépublication préférés ?
Je suis très content à chaque fois que je reçois Harta de chez Enterbrain : c’est dans son ancienne forme, qui s’appelait Fellows, qu’a été prépublié Bride Stories, par exemple. C’est un peu un laboratoire, où des talents assez originaux peuvent s’exprimer. J’aime beaucoup Comic Beam, toujours chez Enterbrain. Et bien évidemment, je ne peux pas passer à côté d’Afternoon ou Nemesis chez Kôdansha, du Big Comics Spirits chez Shôgakukan. Il y a aussi des choses qui me plaisent dans l’Ultra Jump de Shûeisha… La liste est longue. J’ai beaucoup trop de magazines à lire, en fait. (Rires)
Ensuite, comment fonctionne ton processus de choix des licences ?
Les livres nous arrivent par de nombreux canaux. Comme je te le disais, nous sommes abonnés à toute une batterie de magazines de Kôdansha, Shôgakukan, Enterbrain, Shinchôsha, etc. Cela représente vraiment beaucoup de titres, tu ne peux pas tout lire à fond, évidemment. Je les épluche beaucoup dans les transports en commun. Tu feuillettes et, quand ton œil voit quelque chose qui sort du lot et qui se distingue d’une façon ou d’une autre, ta main s’arrête et tu reviens au début du chapitre puis tu le lis. Tu mets un post-it, tu cherches les numéros précédents si ce n’est pas le premier chapitre et tu lis les numéros suivants. Tu regardes s’il y a déjà des tomes reliés de la série en question et si oui, tu les fais venir du Japon, soit au format papier, soit en numérique. C’est comme ça que je fonctionne en tout cas.
La lecture des magazines prépublication, ça vient se ranger dans la catégorie « travail de veille » que je mène aussi beaucoup sur internet, via les comptes Twitter des auteurs et des chacun des magazines, par exemple. Le fil Twitter d’Afternoon chez Kodansha est super, le fil Twitter de Comic Next de Shôgakukan est chouette aussi pour ça, idem pour Shinchôsha ou Enterbrain, auquel s’ajoute le site Comic Natalie bien évidemment, les blogs des auteurs, etc.
Ensuite il y a des agents qui nous envoient des informations en continu, tout au long de l’année. Je parlais de Tuttle-Mori, qui est un pivot incontournable pour quasiment tous les éditeurs français, je pense. Mon premier déplacement au Japon après le changement de direction, c’était principalement pour les voir eux et leur expliquer notre nouvelle ligne éditoriale. Ils nous envoient des livres, des magazines, ou simplement nous communiquent des infos sur des auteurs auxquels ils savent que je m’intéresse. Soit spontanément, soit à la demande d’éditeurs japonais qui les mandatent pour promouvoir leur catalogue à l’étranger.
Il y a également quelques rendez-vous qui ponctuent l’année : le Salon du Livre, Japan Expo, la Foire du Livre de Francfort… C’est l’occasion de voir les gens, ce qui change des mails et du téléphone. J’essaie également d’aller deux fois par an au Japon. C’est tout à fait différent de voir les éditeurs « à domicile ». Ne serait-ce que parce qu’ils ont tous leur bouquins sous la main. Quand ils viennent en France, ils n’en apportent qu’une infime sélection. Quand je suis au Japon, je passe également énormément de temps en librairie. Il y a en quelques-unes où j’ai mes habitudes et où je peux donc discuter avec les libraires du rayon manga sur ce qu’ils estiment être les dernières tendances, les faits notables… Bref, ils me mettent à la page pour ce qui concerne leur activité. Pour finir, j’échange aussi beaucoup avec certains traducteurs, notamment ceux qui vivent au Japon, sur nos dernières lectures respectives. Bref, le choix des licences, c’est avant tout des tonnes de lecture et de discussions.
Le fait que les auteurs soient présents et « accessibles » directement sur internet via Twitter par exemple, ça change les choses pour toi ?
Oui, ça peut, pour des projets en direct. En revanche, c’est sûr que si c’est pour une acquisition de droits d’une série déjà publiée au Japon, il faut généralement s’orienter vers l’éditeur.
C’est également très intéressant en tant que traducteur. Sur Area 51, qui est truffé de références (de Lovecraft à l’ensemble de la culture cinéma midnight movies en passant par le folklore de toutes les cultures du monde), à un moment, j’ai buté sur quelque chose. Je savais que ça faisait référence à une autre œuvre, mais impossible de trouver laquelle. J’ai contacté Masato Hisa, sur Twitter et il m’a répondu dans l’heure, tout content de savoir que l’éditeur français d’Area 51 était vraiment pointilleux. Il s’est même presque excusé de disséminer des clins d’œil parfois obscurs dans sa série… Bon, j’essaie de ne pas le saouler non plus : il a trois séries en cours chez trois éditeurs différents, donc c’est en dernier ressort. Mais c’est génial, pour ça.C’était quoi la fameuse référence dans Area 51 ?
Il s’agissait d’une petite phrase inscrite sur une éphéméride posée sur le bureau de McCoy (planche ci-contre, NDLR), dans son agence. En tout petit, dans le coin d’une case. Un détail, mais si l’auteur l’a mis là, c’est que ça a son importance. Renseignement pris auprès du principal intéressé, il s’est avéré que c’est une incantation que tu entends à un moment dans le film Evil Dead 2 si tu tends bien l’oreille… Voilà pour la partie auteur – traducteur.
La présence des auteurs sur internet permet également les projets en direct. Et là aussi, c’est génial. Je travaille en ce moment directement avec des auteurs, c’est long mais très excitant. Charge à chacun de ne pas se brouiller avec le ou les éditeurs japonais avec lesquels l’auteur en question travaille déjà, mais il y a de la place. Les auteurs japonais sont tout aussi freelance que les auteurs français. Ils travaillent pour plusieurs éditeurs, soit successivement dans leur carrière soit en même temps…
Cycle, inspirations et histoires en devenir…
Le tout est donc de travailler en bonne intelligence…
Voilà. Ces collaborations me font penser à une autre histoire, qui nous a fait très plaisir et qui est révélatrice de ce que l’on cherche à mettre en place… On a publié, chez Casterman, le dernier ouvrage de Nicolas de Crécy, La République du catch, qui a été prépublié au Japon dans l’Ultra Jump de Shûeisha, excusez du peu.
C’est Shûeisha qui a démarché Nicolas de Crécy et ce dernier a gardé ses droits pour l’édition française. Comme Casterman avait déjà publié plusieurs de ses œuvres et que c’est un auteur incroyablement talentueux, nous nous sommes positionnés pour l’édition française et le tout s’est fait en bonne entente avec la Shûeisha : le livre est sorti au même moment en France et au Japon, nous nous sommes mis d’accord sur les jaquettes… On a planifié tout ça en automne dernier, quand on est allés voir les gens de l’Ultra Jump à Tokyo. On a pu les rencontrer dans leurs locaux – là où sont nés Dragon Ball et One Piece, c’était assez impressionnant, forcément. Au terme du rendez-vous, le rédacteur en chef nous a dit : « La République du catch, c’est une première expérience, mais j’ai d’ores et déjà envie qu’elle fasse des petits, donc si vous avez d’autres auteurs à me conseiller, n’hésitez pas. Il y a des choses à faire…»
La logique qui a présidé au choix d’un auteur français c’est, de l’aveu de Shûeisha comme de celui d’autres d’éditeurs et acteurs du marché, qu’il y a aujourd’hui une forme d’essoufflement de la créativité au Japon. On manque de sang frais, de sang neuf, et lorsqu’un éditeur japonais fait venir Nicolas de Crécy, c’est autant pour les lecteurs que pour les auteurs.
On pourrait aussi citer l’influence des séries et du cinéma US aussi…
Oui, il y a également une grosse fixation sur Lovecraft depuis deux ou trois ans au Japon. Pour Area 51, on peut dire merci à Frank Miller, aux midnight movies, à Hollywood et à toutes les légendes issues des folklores du monde entier, d’avoir inspiré à Masato Hisa ce phénomène qu’est Area 51. Je ne dis pas que la solution à cette supposée panne de créativité se trouve forcément en occident. Ce serait plutôt dans la multiplication des échanges entre auteurs et éditeurs de tous les horizons. Il y a plein de choses à essayer !
Ce n’est pas pour rien que, et j’en reviens à Shinchôsha, cet éditeur a asséné comme un manifeste son envie de faire du manga différent : il fallait que le serpent arrête de se mordre la queue, il fallait trouver un moyen de répondre à de nouvelles attentes du public. Toujours sur le chapitre de problème de « consanguinité » dans l’industrie du manga, il y en a un qui n’est pas tendre, c’est Katsuhiro Ôtomo. On l’a rencontré à Tokyo l’automne dernier, et à un moment, il nous a dit : « Aujourd’hui, beaucoup d’auteurs et d’éditeurs de mangas sont des ânes. Ils ne lisent que des mangas, pas de littérature, ne regardent pas de films, et en plus ils se copient les uns les autres… Comment voulez-vous qu’ils fassent de bonnes choses ? » C’est un peu extrême, comme position, mais ça rejoint l’idée, partagée par pas mal de monde dans la profession, qu’on est dans un « creux de la vague créative ».
Après, le top Oricon du premier semestre 2015 semble marquer l’amorce d’un nouveau cycle ou en tout cas une certaine reprise de dynamique dans les ventes du top 10, qui était un peu moribond à la fin des années 2 000 et début des années 2010…
C’est à souhaiter et c’est aussi ce basculement d’un cycle vers un autre qui pousse à ce genre de nouvelles expérimentations. L’avenir nous dira si on est bel et bien au début d’un renouvellement en profondeur.
Après les ventes satisfaisantes évoquées précédemment, y a-t-il également des déceptions sur la période juin 2014 – juin 2015 ?
(Réfléchit…)
Bon, de toute façon, aucun titre ne se vend jamais assez ! (Rires) Quand tu commences à bosser dessus deux ans avant la sortie, quand la maison porte ce titre à bout de bras, tu veux le meilleur pour lui et plus encore !
De manière plus réaliste, pour Wet Moon, nous sommes très satisfaits d’être, sur les 3 tomes, à 12 000 exemplaires vendus, pour une œuvre aussi complexe et avec un graphisme aussi unique. Même si Kaneko s’est fait une petite niche de lecteurs avec Soil et Bambi ces dernières années, ce n’est pas ça qui fait vivre une série. Là, je crois qu’on a bien accompagné sa progression à lui, car c’est un auteur qui progresse énormément, graphiquement et scénaristiquement, au fil des tomes et des séries… Pour Deathco, je me demandais si ce serait possible, vu le niveau atteint avec Wet Moon, mais c’est frappant : Deathco, c’est encore plus beau que tout ce qu’il a fait jusqu’à aujourd’hui.
Sangsues, sorti il y a deux mois, décolle doucement. La mise en place est là, les ventes moins. Nous avons fait le choix, en matière de marketing, de plus investir sur Area 51, donc peut-être que Sangsues en pâtit… Mais on a d’ores et déjà prévu de le remettre en lumière au tome 3, qui sera le milieu de la série. Après, l’accueil de la presse est assez phénoménal, j’en n’attendais d’ailleurs pas autant. Je me doutais que la presse spécialisée manga en parlerait, car avec son sujet et son graphisme, ce titre en passe pas inaperçu. La couverture dans la presse généraliste, en revanche, m’a très positivement étonné. On quadrille le territoire : il y a eu des papiers dans la Voix du Nord, Le Midi Libre, Ouest France…
Ouest-France tiens donc, ce n’est pas souvent ça !
Oui, bon… Le tome 1 n’a pas fait la une, hein ! Mais tu as un visuel, un texte qui prend le temps de présenter l’histoire et de rebondir sur le thème… De manière générale, c’est extrêmement positif que via la presse généraliste, le manga puisse toucher un lectorat très large et susciter sa curiosité. Ce qui est sûr, c’est que j’ai la chance de travailler avec une attachée de presse redoutablement efficace ! Et la presse généraliste est très sensible à ce qu’on publie, car les journalistes voient qu’il y a quelque chose de neuf, de frais. Bref, là, on attend l’article dans L’Est Républicain pour pouvoir dire : « les Sangsues sont partout en France, fermez bien votre porte et vos fenêtres ce soir. ». Pour résumer, je suis un peu frustré, tout en étant confiant.
Et on lui souhaite le décollage notable qu’il mérite !
Merci !
Questionnaire Manga : pour en savoir plus sur Wladimir Labaere…
Ton premier souvenir de manga ?
Ça c’est facile, c’est le premier tome d’Akira, dans la version colorisée de chez Glénat. Je viens d’une famille où on lit de la BD franco-belge : on lit Tintin, Astérix, Gaston, Alix… Ayant été gamin dans les années 1980, le Club Dorothée m’a abreuvé d’animation japonaise et m’a préparé au manga, bien sûr. Mais Akira, c’est mon frère aîné qui dit à mes parents : « Offrez-le lui pour son anniversaire, ça va lui plaire. » C’est un cadeau qu’il se faisait indirectement, mais je ne le remercierai jamais assez : j’avais 12 ou 13 ans quand j’ai lu ça et c’est un nouveau monde qui s’est ouvert à moi, une claque dont je ne me suis jamais remis.
La plus grande émotion suscitée par un manga ? Akira aussi ?
Pour Akira, je parlerais plus d’un choc. Non, la plus grande émotion, c’est quelque chose qui remonte plus loin… Quand tu es gamin, de toute façon, les choses prennent vite des proportions énormes, ce qui peut paraître un peu ridicule à posteriori… Bref, comme ça, au débotté, je crois que j’ai été très marqué par un épisode des Chevaliers du Zodiaque (comme on appelait ça à l’époque). C’est l’épisode de l’arc du sanctuaire où le chevalier du cygne meurt, enfin où l’on croit qu’il meurt, vaincu par son ancien maître, et qu’il se retrouve enfermé dans un bloc de glace. C’est les vacances d’été, je suis chez mes grands parents et je vois ça en avalant mes céréales au petit déjeuner : « Putaiiin, les personnages ils peuvent mourir quoi ! »
Bon, en fait, deux épisodes plus tard, c’est bon, il est pas mort (rires) : ses potes le libèrent et y a Shun qui le ramène à la vie mais, sur le coup, quand t’es tout petiot, c’est impressionnant…
Le manga que tu donnerais à lire à ton pire ennemi ?
Je pourrais lui filer une série à rallonge pour qu’il claque une somme monstrueuse… Je pourrais lui filer One Piece, dont je suis un grand fan mais ce n’est pas vraiment assez méchant. Je pourrais lui filer Version de Sakaguchi, chez Glénat, car il n’y a qu’un seul tome de paru et que l’auteur est mort peu après… Ça c’est dégueulasse.
Le manga à lire pour mieux comprendre Wladimir ?
Pas parce que c’est chez Casterman, mais spontanément et parce qu’on est dedans, je t’aurais dit Area 51 pour l’identité unique de l’auteur et pour ce jeu avec les référence issues de toutes les cultures possibles et imaginables, un creuset très jouissif dans lequel je me retrouve complètement.
Le blockbuster sur lequel tu n’as jamais accroché ?
Naruto. J’ai accroché au dessin animé mais pas au manga (Pas taper !). C’est particulier car j’ai traduit quelque chose comme 200 épisodes de la série animée. Et j’ai adoré. Alors ok, j’ai transpiré pendant les tunnels de fillers, mais je tenais le coup parce que je savais qu’après, on allait raccrocher les wagons avec l’histoire principale. J’ai trouvé que Naruto était un Dragon Ball des années 2 000 version +++ : + de personnages, + de background, + de politique, + de questionnements. J’ai arrêté de regarder aux alentours de l’épisode 500 mais je suis resté dessus un certain temps. Et pourtant, je n’ai jamais accroché à la version papier, car je devais être trop accro à la version animée.
Un flop injuste en manga ?
Je te dirais bien Wolfsmund, même si je peux imaginer pourquoi, comme on dit poliment, ce titre « n’a pas trouvé son public ». Il n’empêche que je regrette vraiment que ça n’ait pas mieux marché. Quand Ahmed me l’a appris, j’étais plutôt dégoûté.
Un titre d’un autre éditeur que tu aurais voulu dans ton catalogue…
Il y a peut-être Wolfsmund, mais il était passé sous mon radar, Bride Stories mais je n’étais pas aux commandes à l’époque. Minuscule, peut-être, car c’est super frais, un vrai bon moment de lecture. Mais je le lisais dans le magazine de prépublication, donc au rythme d’un chapitre de temps en temps, et je ne sais pas si la magie opère de la même manière quand tu avales un volume entier.
Non, s’il y en a un que je voulais vraiment publier, c’est Levius. J’avais fait une offre (c’était avant qu’il change de magazine et d’éditeur suite à l’arrête de la publication d’Ikki), il faut croire que je n’ai pas été le plus convaincant. Après, il y en a bien un autre, pour lequel j’ai également fait une offre mais qui m’est passé sous le nez… Mais il n’a pas encore été annoncé, donc je préfère ne pas en parler.
Et, enfin, le prochain manga ou tome que tu attends avec le plus d’impatience, en tant que lecteur ?
Dans le lot de ce qui paraît en France, je n’ai toujours pas lu le second tome de La fille de la plage. J’ai vraiment envie de m’y plonger, mais pas totalement non plus car je sais que ça ne fait que deux tomes et qu’après je n’en aurai plus. Je suis également tout content quand sort un nouveau tome de Space Brothers. J’attends beaucoup, aussi, la fin de Skip Beat! A priori, elle n’est pas pour tout de suite et tant mieux pour nous, quelque part, parce que ça marche bien.Ça continue encore à marcher même après tous ces tomes ?
Il y a une érosion des ventes, classique dans le cas de séries au long cours, mais on réimprime très régulièrement des tomes par-ci par-là, de manière assez mystérieuse dans la liste des tomes concernés : un tome 3, un 17 et un 22 en même temps, par exemple… L’excellente nouvelle, c’est qu’on réimprime également le tome 1 encore assez régulièrement. Donc Skip Beat! continue d’être découvert aujourd’hui.
Chaque nouveau tome figure dans le top GfK manga la semaine de sa sortie. Traduction : nous avons une communauté de fidèles qui se jette dessus dès la parution. Je te parle de 3500 – 4000 personnes le mois de la sortie, et après ça se vend petit à petit. Ça, c’est le schéma depuis qu’on a franchi le cap des 30 volumes.
C’est un shôjo de qualité de toute façon, l’un des plus intelligents que je connaisse dans sa construction, dans son discours sur le métier d’acteur, sur l’identité, sur ce que l’on veut devenir à l’âge adulte. Il a peut-être contre lui son graphisme qui est un peu daté mais ça reste une série d’excellente facture. Je crois qu’on n’est pas loin de dix ans de parution en France. Depuis, la ligne éditoriale de Casterman en matières de mangas a évolué, mais on l’assumera jusqu’au bout, bien sûr, parce que c’est un bon titre, qu’il a son public et que je crois bien que c’est le plus long shôjo jamais paru en France !
On lui souhaite une belle fin alors ! Merci Wladimir !
Merci !
Pour suivre les éditions Sakka, direction le site internet de Casterman BD, leur page Facebook ou via Twitter, soit sur le compte de Casterman BD ou directement via celui de Wladimir Labaere, lui aussi sur Twitter. Si vous voulez en savoir plus sur les séries de chez Casterman, voici quelques articles et chroniques, sur Paoru.fr ou Journal du Japon : L’homme qui marche, Wet Moon, Area 51, Sangsues et enfin Thermae Romae avec l’interview de Mari Yamazaki en bonus, ici.
Remerciements à Wladimir Labaere pour son temps et sa disponibilité.
Retrouvez toutes nos interviews éditeurs :
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Glénat (mars 2009 – décembre 2012, janvier 2015)
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Retrouvez également les bilans manga annuel du marché français réalisés par le chocobo : 2010, 2011, 2012 , 2013 et maintenant 2014.