Sans souffrance, il n'y a pas de lotus, symbole de clarté et de pureté dans le bouddhisme. L'éveil vient de nos erreurs et de nos afflictions. Si nous les rejetons ou refoulons, nous n'avons plus de matière à transformer pour atteindre un bonheur véritable. À mon arrivée en France, je pensais avec tristesse à mon pays en guerre. Les douloureux événements auxquels nous avions assisté m'ont en fait permis de réaliser la chance que nous avions de vivre dans la paix en France aujourd'hui. Le mal-être a des causes. S'il y a des causes, je peux les faire disparaître ou du moins travailler à me porter mieux. C'est ce que nous appelons les Quatre Nobles Vérités, dont l'une, le Chemin octuple, comporte huit branches. L'une d'elles s'appelle la pleine conscience. L'absolu n'existe pas dans le bouddhisme. Chaque jour, nous devons veiller à fuir les extrêmes.
Tout est impermanent. S'il y a continuité, c'est que nous l'entretenons. Si je cesse d'aller à la maison de l'Inspir, son énergie collective n'arrivera plus à moi. Notre mental, à l'image de notre corps, n'est pas immuable. Il évolue, même après la mort charnelle. Petite fille, j'entendais ma mère et ma grand-mère, toutes deux imprégnées du bouddhisme populaire, me dire de faire attention, de bien me comporter, au risque de me transformer en buffle ou en cafard dans une vie future. Avec le temps, je me suis affranchie de ces grades de vies ou désignation conventionnelles. Catégoriser est humain. Le Vénérable nous incite à ne pas trop réfléchir à l'après mais à vivre bien sur terre pour assurer notre continuation. Il nous inscrit dans le moment présent. Je ne crois pas en la réincarnation, comme transposition d'un bloc à un autre bloc. Je la vois comme la désintégration d'une plante : lorsqu'elle meurt, elle devient compost. Ce compost va pénétrer la terre, porteuse d'une graine elle-même source de vie. La plante devient ainsi une nouvelle matière vivante. Dans le bouddhisme il n'y a pas de début, ni de fin, tout se désintègre et tout, de nouveau, renaît, pour prendre un jour une nouvelle manifestation.
Pour moi, le Nirvana n'est pas un idéal inaccessible. Il m'arrive dans la journée d'y goûter quelques minutes, grâce à la pleine conscience. Il est cet état mental où l'esprit se trouve libéré de toutes notions : le juste, le pas juste, le long, le court, le faible, le fort, le temporel, l'espace, et sur un plan plus terre à terre : « Est-ce que je gagne assez d'argent ? Suis-je assez jolie, célèbre ? »... tout est éteint, dans un esprit silencieux. Mais cet état est éphémère. Une ou deux minutes sont déjà un miracle de la vie, que je vais également savourer dans le chant d'un oiseau, ou le bruissement des feuilles d'un arbre. Ce miracle de la vie, je l'ai aussi réalisé avec la survenue de mon cancer, il y a quelques années. Cette maladie m'a placée face à ma réalité et m'a bouleversée dans le sens où j'ai réalisé que j'étais vivante. Depuis, je mène une vie beaucoup plus simple et accepte avec plus de sagesse les contrariétés du quotidien.
Dans le bouddhisme que je pratique, nous saluons toute personne comme un Bouddha en devenir, car porteuse d'une faculté d'éveil qui doit se réaliser sur terre. Cela fait longtemps que j'ai lâché prise sur le Nirvana futur, éternel, perpétuel. Je m'intéresse avant tout à l'ici et au maintenant. Il n'y a pas de chemin vers le bonheur. Le bonheur est le chemin.
Les étapes de sa vie
1949 Naissance à Dalat (hauts plateaux du Vietnam).
1970 Part en Belgique. Mariage dont naîtra une fille.
1980 S'installe en France.
1994 Rencontre Thich Nhât Hanh au Village des Pruniers (Lot-et-Garonne).
1996 S'engage dans l'ordre de l'Inter-Être.
Depuis 2004 Vice-présidente de l'Union bouddhiste de France.
> La cloche de la pleine conscience
« Je fais tinter cette cloche une fois par jour, pour un ancrage dans le moment présent. L'éveil est en effet constitué de l'énergie de pleine conscience. Plusieurs gathas, qui sont des petits poèmes, peuvent accompagner son tintement. Je prononce en même temps : "J'écoute, j'écoute. Ce son merveilleux me ramène à ma vraie demeure." Mais, comme nous l'enseigne le Vénérable, toutes les autres cloches et bruits du quotidien sont un moyen de nous ramener ici et maintenant : la sonnerie du téléphone, la cloche de l'église, les klaxons, le chant d'un oiseau... »
source : La Vie