Cette nouvelle revue, dont le titre pourrait faire discrètement écho à un intérêt pour le lyrisme, constitue tout d’abord un bel objet réalisé par Julia Tabakhova (1) ; dite de poégraphie, elle associe des textes à de nombreuses photographies en noir et blanc (2) conformément à ce que son directeur, Christian Désagulier, affirme dans sa déclaration liminaire où il est autant question de littérature que de science et technique : « Les mots auront leurs dessins et leurs photographies à dire et réciproquement : miroirs haptiques ». C’est donc dans cette perspective que l’on lira ici une douzaine de contributions d’auteurs français ou étrangers (3), contemporains ou pas. Même si l’ensemble est de bonne tenue, quelques textes ont, comme dans toute revue, davantage retenu mon attention :
Résolution des faits, de Frank Smith, où le simple relevé des formes verbales présentes dans des résolutions de l’O.N.U. en dit long :
Rappelant / Rappelant / Rappelant / Rappelant / Notant / Considérant / Agissant / 1. Décide / 2. Demande / 3. Prie / 4. Engage / 5. Décide
« Non-prolifération » Résolution 1984 Adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies à sa 6.552e séance, le 9 juin 2011
Et vers la fin du chant, de Jean-Marie Gleize, à la sobriété minutieuse :
un point d’arrêt à « la pierre »
(mais confusément) il suffit de continuer la route elle continue
comme la pluie en continu en temps réel
le ralenti est le temps réel est la vraie monotonie de l’averse en biais
sur les mots et le goudron
Hölderlin en Afrique, de Christian Désagulier, où s’entremêlent le passé esclavagiste de Bordeaux, une Grèce alors sans créanciers à ses trousses, Marx, Hegel et Baudelaire :
Au lieu de quoi en sommes-nous à la presque toute fin de cette histoire imposée, accélérée par un occident technicien, qui a poussé la dialectique du 0 et du 1 inventée par John Babbage, dans un joli village du Devon, où je pus voir combien cette machine ressemblait à un métier à tisser, le tissage comme métaphore du texte en Grèce ancienne pour y faire retour – des 0 et des 1 entralignés pour mieux gérer les fortunes coloniales sur quoi repose encore notre prospérité de blancs acquise à la force rançonnée des noirs […]
La Femme Fatale (traduit du russe), de Nadezhda Teffi, nouvelle qui n’est pas dénuée d’humour :
Ces femmes ont en commun de porter des accessoires ailleurs que prévu. Par exemple une boucle d’oreille sur le front, un anneau au pouce et une montre autour de la cheville.
La Femme Fatale ne mange jamais à table. En général, elle ne mange jamais.
Pourquoi faire ?
Petits reflets qu’on s’amuse à faire sur les visages, de Pascale Petit, suite aux accents souvent tragicomiques :
ici mains qui donnent l’illusion
on mime les gestes qui sauvent comme des hôtesses de l’air
[…]
ici n’oublie pas que Christophe Colomb
s’était trompé sur presque tous les points de son projet
[…]
ici sont les clins d’oeil désespérés
(Bruno Fern)
Revue Toute la lire, cahier n° 1, Editions Terracol, 2015, 170 pages, 12€
1.julia tabakhova
2.photographies d’Afriques (sic) de Christian Désagulier
3. Celle d’Yves Stranger – le bien nommé ! – est même en anglais.