(note de lecture & feuilleton) Laure Himy-Piéri, « Pierre Jean Jouve — La modernité et ses possibles », par Jean-Paul Louis Lambert 3/3

Par Florence Trocmé

[Note de lecture en trois épisodes du livre de Laure Himy-Piéri, Pierre Jean Jouve - la modernité et ses possibles, paru aux éditions Garnier, par Jean-Paul Louis-Lambert]  
 
Lire la première puis la deuxième partie.  
 
 
 
De la théorie à la pratique : la traduction 
A la fois « anti-moderne » et moderne, solitaire et concurrent des grands mouvements littéraires de son temps, Jouve a dû faire une théorie de sa propre pratique d'écriture, et c'est la traduction qui est le lieu idéal pour cela. Je donne un bref panorama. Jouve a traduit : Knut Hamsun, Friedrich Hölderlin (« avec la collaboration de Pierre Klossowski », en 1929, c'était une première !), Rabindranath Tagore, Rudyard Kipling, William Shakespeare (parfois avec Georges Pitoëff, trois pièces et les Sonnets), Anton Tchekhov (encore avec Pitoëff), Thérèse d'Avila, François d'Assise, Góngora, Eugenio Montale, Giuseppe Ungaretti, Aldo Caparasso (tous amis italiens), Büchner et Frank Wedekind (en fait : Berg…). Il me semble que Laure Himy-Piéri ne signale pas que (comme René Char), Jouve ne parlait aucune langue étrangère. Il demandait à un collaborateur de lui faire une traduction littérale, qu'ensuite il retouchait avec sa patte si spéciale : on lit dans la correspondance de Philippe Jaccottet – Gustave Roud une remarque significative sur ses « trouvailles ». Quand le collaborateur était un auteur (le russe Pitoëff pour Tchekhov, le bengali Kâlidâs Nâg pour Tagore, l'anglaise Maud Kendall pour Kipling, l’espagnol Rolland-Simon pour Gongora et Thérèse d’Avila), celui-ci cosigne la traduction. Quand le collaborateur est un(e) très proche — bref sa femme —, il le (la) remercie en notes, ou il garde le silence, car sa femme exigeait un maximum de discrétion sur son rôle.  
 
Blanche Reverchon était trilingue. En Suisse, elle fréquentait des milieux germanistes et elle a traduit Freud sous son nom, mais elle avait d'abord été éduquée par la directrice du British Institute in Paris, et elle psychanalysait ses patients anglais (comme David Gascoyne) dans leur langue. Cette relation particulière que Jouve entretient avec la langue qu'il « traduit » a quelques fois créé des situation de conflit avec de meilleurs linguistes que lui — René Lalou pour Kipling ; Bernard Groethuysen pour Hölderlin ; Pierre Leyris et, de façon posthume, Henri Meschonnic pour les Sonnets de Shakespeare — qui lui reprochaient ses « libertés », ce qui rendait Jouve furieux … car, évidemment, il ne se plaçait pas sous le signe de la fidélité, mais sous le signe de l'expérimentation. Cette situation est sans doute l'une des conditions du travail spécifique de traduction de Jouve que Laure Himy-Piéry met à jour par sa lecture textuelle : 
 
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