L'association littéraire Tulalu.ch ne recule devant rien. Elle s'est délocalisée ce jeudi, en fin d'après-midi, aux Bains de la Motta, à Fribourg. Tout l'été les deux bibliothèques de la ville y organisent des animations et un libre-service de livres à consommer sur place ou à l'emporter.
Les deux invitées de Tulalu!? sont, comme il se doit, deux fribourgeoises: les auteurs Marie-Christine Horn et Mélanie Richoz. Pierre Fankhauser est là pour les mettre sur le gril, au propre comme au figuré. Pierre les fait, en effet, s'installer sur des serviettes de bains Tulalu!? représentant un gril rougeoyant et les pousse gentiment toutes deux dans leurs retranchements, comme il sait si bien le faire, avec ce soupçon d'impertinence qui fait son charme.
Se connaissent-elles? Sont-elles amies? Ont-elles lu chacune les livres de l'autre? Elles répondent ouiii! en choeur à ces trois questions. Après ces trois petits mots affirmatifs, il semble que l'affaire soit pliée et qu'il sera bien difficile de les sortir de leur laconisme. Mais c'est mal connaître Pierre qui ne se laisse pas désarçonner comme ça; c'est mal connaître Marie-Christine et Mélanie, qui, une fois lancées, n'ont pas leurs langues dans leur poche... pour le plus grand bonheur de ceux qui les écoutent.
Pierre voit une parenté dans les recueils de nouvelles Le nombre de fois où je suis morte de Marie-Christine et Le bain et la douche froide de Mélanie. Et il faut dire que l'une comme l'autre font pénétrer le lecteur jusqu'au plus intime de leurs personnages et qu'elles reconnaissent toutes deux que ceux-ci peuvent, chez l'une comme chez l'autre, être assez cruels.
Leur démarche n'est pourtant pas vraiment la même quand il s'agit de les créer ces personnages. Si Mélanie part de personnages réels et leur prête des émotions qui sont, au fond, des cris venant du fond de son coeur, Marie-Christine part de personnages fictifs et laisse libre cours aux émotions qu'ils ne manquent pas d'avoir quand elle les regarde prendre vie sous sa plume.
Toutes deux, cependant, se rejoignent dans la collecte qu'elles font, l'une comme l'autre, des petits faits vrais, qu'elles glanent tout le long de leur existence et qu'elles savent utiliser pour nourrir leurs récits, qui ne sont jamais d'ailleurs complètement noirs, agrémentés qu'ils sont, chez l'une comme chez l'autre, de quelques lueurs, comme dans la vraie vie.
Dans Mue, Mélanie raconte un entretien entre un éditeur et une femme qui lui a envoyé un manuscrit. C'est cette dernière qui rompt l'entretien... Pierre en lit un extrait et lui demande avec malice dans quelle attitude d'esprit elle se trouve lors d'un entretien ayant ses livres pour objet. Comme pour elle l'écriture est quelque chose de très intérieur, Mélanie prend de la distance et se retrouve alors, en quelque sorte, à l'extérieur.
Pierre a remarqué que Marie-Christine changeait de style à chaque livre. Il ne peut être le même, répond-elle, suivant le genre ou la personne qui s'exprime. Elle ne peut pas écrire de la même façon La toupie, récit où elle décrit l'hyperactivité d'un enfant (qui souffre plus encore de ce handicap que ses parents), Le nombre de fois où je suis morte, recueil de nouvelles, où des femmes de tous âges s'expriment, ou Tout ce qui est rouge, roman policier (à paraître le 15 août prochain) où le lecteur cherche à se détendre et à ce que son intérêt soit soutenu jusqu'à la fin.
Marie-Christine vit dans une maison suffisamment grande pour s'isoler de ses enfants et écrit prosaïquement... sur le clavier de son ordi. Mélanie écrit, elle aussi, sur une table, dans une pièce isolée, porte fermée, et non pas debout comme le suggère ce taquin de Pierre; ce n'est que lorsqu'elle relit qu'elle laisse la porte ouverte. C'est ainsi qu'elle a relu J'ai tué papa (à paraître fin août), un court roman, court comme ses livres précédents parce qu'elle ne sait pas faire long...
S'achève la rencontre, au cours de laquelle des extraits des livres de Marie-Christine et de Mélanie ont été lus par elles-mêmes ou par Pierre. Mélanie avait choisi de lire une nouvelle où des brûlées se trouvent des affinités, ce qui, soleil estival et serviette de bains Tulalu!? aidant, était de circonstance; et Marie-Christine deux extraits de son roman policier à paraître tout bientôt où de braves gens non échappés d'asile sont dépeints de manière clinique...
La piscine des Bains de la Motta, noire de monde tout à l'heure, est maintenant déserte. Après lui avoir jeté un dernier coup d'oeil depuis le haut de la ville, il est temps de regagner la gare et de prendre le train du retour pour Lausanne...
Francis Richard