J’ai trouvé ces trois poèmes dans l’Anthologie de la poésie française contemporaine, parue en 1994 au Cherche Midi Editeur, et qui se concentre sur « les trente dernières années », c’est-à-dire les années 1964-1994.
Beaucoup de bonnes choses à découvrir dans cette anthologie, d’autres plus contestables (encore que je ne me réfère qu’à mon goût personnel). On constate que les poètes célèbres il y a vingt ou trente ans ne sont plus tout à fait les mêmes qu’aujourd’hui, certains étant nettement tombés dans l’oubli …
Voici donc trois poèmes que j’ai retenus, parce que leur ton et leur originalité m’ont frappée.
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LAS D’ETRE MOI
Las d’être moi, parfois je me remplace
par mon discours, et sans me reconnaître,
je me destine à parler sans ma voix.
Je ne sais rien. L’ombre efface mon ombre.
Je me dis lampe espérant m’éclairer,
je ne connais pas d’amis éblouis.
Tout est miracle. Et moi, suis-je miracle
ou la copie exacte d’un autre être
qui pratiquait la science des jours ?
Dans ce miroir, tu m’apparais funèbre,
toi mon fantôme. En es-tu satisfait ?
Je lis déjà mon ultime buée.
J’ai tant vécu sans apprendre à me vivre.
L’éternité me jette ses outrages
et je ne peux essuyer ce crachat.
Robert Sabatier
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DANS L’EPAIS DE LA NUIT
La vie lèche la page et se retire blanche
vaste mer incertaine aux hommes qui l’attendent
me manquent tes photos tes lèvres tes pointes dures
me manque ton passage portant cette cambrure
bonjour encore soleil étrange aux longues mèches noires
que tu vives que tu meures : toujours lumière et désespoir
vivace te voici pendant que se déhalent
les images gravées des chagrins enfouis
toi visage du passé dont pâlira le hâle
parure qui s’affale dans l’épais de la nuit.
Jean Pérol
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LA PEAU
J’aime ta peau
J’aime son odeur d’air, de chambre
De lit qui a passé le fleuve des morts
Et sur la rive attend sans fin ton ombre
Avec les disparus et les images
De ce miroir où je ne te vois pas
J’aime ta peau sous mes paumes
Ô vivante entre les morts de cette eau calme
Miroir où pourrait glisser le visible d’une autre vie
Mais le monde
Ressemble à ce reflet mal saisissable
Sur ce corps entre l’imaginaire et la mémoire
J’ai ta peau sous mes doigts, j’ai sa moire
Dans la bouche mais les mots ne parlent pas
Vers l’aube où la mort les apaise même sans songe
Jacques Chessex