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Tranquillement allongées dans le parc Léo Lagrange de Reims (Marne), trois amies prennent le soleil en short et haut de maillot de bain. Cinq jeunes filles (trois majeures âgées de 18 à 24 ans et deux mineures) passent devant le petit groupe. L'une d'elle lance "Allez vous rhabiller, c'est pas l'été!". Ce à quoi l'une des interpellées aurait répondu "C'est sûr que toi, avec ton physique de déménageur...".
Une bagarre éclate entre les deux bandes, la police s'en mêle. Au final, les cinq filles à l'origine de la première remarque seront interpellées. La victime, elle, écope de quatre jours d'incapacité temporaire de travail (ITT).
Voilà l'histoire telle qu'elle s'est déroulée ce mercredi 22 juillet 2015.
Ce n'est pourtant pas tout à fait le récit qu'en fait le quotidien L'Union dans son édition du samedi 25 suivant.
Ce jour-là le journal rémois, on ne sait alors avec quelle véritable intention, relate l’incident à sa manière. Dans son article décrivant la scène, sans y apporter l'ombre d'une preuve, l'auteur met l'accent sur le caractère "religieux" de ce qui aurait mené à l'altercation. Selon lui l'instigatrice du conflit, une des cinq filles "originaires de différents quartiers de la ville", aurait agi au nom de ce qui "semble contraire à sa morale et sa conception des bonnes mœurs", venant "reprocher" cette "tenue légère jugée indécente". Loin de s'arrêter là, la victime y est décrite comme "effarée par un tel discours aux relents de police religieuse" et refusant de se faire "dicter sa façon de se vêtir".
Un différend sur fond d'intolérance religieuse - la laïcité étant très à la mode - et un lynchage en public: il n'en fallait pas plus pour enflammer la toile. Voilà repartie, aussi, à travers cette occasion en or, la surenchère politique.
En quelques heures, "l'affaire" est relayée sur les réseaux sociaux et les médias nationaux. La machine s'emballe. Tellement que L'Union décide de nuancer son récit en retirant la partie sur "les relents de police religieuse". Mais trop tard, la querelle 2.0 est en marche.
Tout le week-end suivant l'article de L'Union, se succèdent indignation des politiques, témoignages acerbes d'anonymes et rassemblement de soutien. Sans surprise, Florian Philippot, vice-président du Front National, s'empare de la polémique. Sur Twitter, son commentaire "Lynchée car en maillot de bain... il faut entendre lynchée car vivant à la française" attise le scandale. Éric Ciotti, Nadine Morano et le sénateur Stéphane Ravier, entre autres, montent au créneau. Ce dernier allant même jusqu'à employer le terme de "charia". Le hashtag #jeportemonmaillotauparcleo fait un malheur.
SOS Racisme appelle au rassemblement pour dire "oui à la liberté". Mais le dimanche, les journalistes sont plus nombreux que la petite dizaine de manifestants, qui grelottent de froid en maillot de bain sur les pelouses du parc Léo Lagrange...
Dommage, car très rapidement, les déclarations officielles de sources judiciaires affluent, écartant complètement la thèse du motif religieux. S'appuyant sur les éléments du dossier, la vice-procureure Hélène Morton a affirmé que celui-ci "ne démontre absolument pas de mobile religieux, que ce soit dans les déclarations de la victime, des témoins ou des mises en cause".
Une des cinq jeunes filles interpellées, après plusieurs jours de silence, a même déclaré à Buzzfeed avoir écopé de dix jours d'ITT, soit six de plus que la "victime" elle-même. Et d'ajouter "Je suis la première à aller bronzer en maillot de bain au parc Léo Lagrange".
Du mauvais usage des réseaux sociaux, on retiendra cela: notre capacité à s'inventer des histoires. Pourvu que dure le débat, aussi stérile soit-il, la réalité des faits aurait désormais moins de valeur qu'un tweet assassin. La raison? Notre éternel intérêt pour les affrontements publics, et cela quelles qu’en soient les bassesses pitoyables. Il se pourrait même, au vue du spectacle qui se joue quotidiennement, que cela dure.