Xavier Gaumer, un grand passionné du Pérou, s'est installé à Arequipa il y a quelques années. Fasciné par sa région d'accueil, il a accepté de partager sa vision locale et au passage, de dévoiler les incontournables d'Arequipa, sans touristes. Voyageurs fans de l'hors sentiers battus, prenez note!
Qu'est-ce qui t'a amené au Pérou?
La passion de l'aventure et de l'Amérique du Sud que je sillonnais en solo depuis plusieurs années. J'ai découvert le Pérou en 2009. Pour une première fois, j'avais voulu privilégier la région des ruines de Chachapoyas (nord du pays) et la Sierra Centrale (Ayacucho et sa région). Etant attiré avant tout par les régions reculées, celles que les guides ne mentionnent jamais, j'avais failli faire l'impasse du célèbre Machu Picchu. Mais comme j'étais à l'époque en repérage pour le compte de mon agence de voyages, je me devais de poursuivre ma route en direction de Cusco et du site le plus visité du pays. Deux ans plus tard, j'étais retourné au Pérou, toujours en repérage, et cette fois pour explorer la rive nord du Titicaca, la cordillère de Carabaya (entre la Vallée Sacrée et le Titicaca) et l'une des sources de l'Amazone (dans le Colca). Ce sont des zones complètement à l'écart du monde, où l'on ne trouve aucun " gringo "... sauf éventuellement quelques missionnaires évangélistes au Titicaca. Mais pour le reste, c'est " autentico " !
Pourquoi avoir décidé de t'installer à Arequipa plutôt qu'ailleurs au Pérou?
En vérité, c'est plutôt un pied-à-terre à Arequipa, car je n'y réside pas toute l'année. Je partage mon temps entre Paris et Arequipa. Le choix d'Arequipa est... personnel ! Allez, je peux le dire, j'avais rencontré ma compagne dans un petit village perdu du Colca, à 4500 m. Elle-même est originaire de la " puna " de Caylloma (à 6h de route et de piste d'Arequipa), une pampa magnifique comme seule la nature andine sait les créer. Mais même si j'adore l'altiplano, sur la longueur, vivre à Arequipa est plus commode.
Combien de temps y as-tu vécu?
J'ai commencé dans un " pueblo joven " il y a 3 ans, jusqu'à l'an dernier. Le " pueblo joven " a une connotation péjorative, mais il regroupe plusieurs réalités distinctes, du bidonville à l'ancien bidonville converti en quartier populaire, avec tous les services (eau, électricité, tout-à-l'égout), les bus et les routes asphaltées. Depuis décembre dernier, nous avons élu domicile en bordure de la ville, là où la campagne résiste encore et toujours à l'urbanisation désorganisée.
Est-il aussi agréable de vivre à Arequipa que de la visiter?
Tout dépend où l'on vit. Arequipa est le reflet du Pérou et de sa société inégale et inégalitaire. Plus de la moitié de la ville est constituée de " pueblos jovenes ". C'est très moche, il faut bien le dire. Maisons inachevées, rues poussiéreuses, mais c'est aussi le vrai Pérou. Parfois les infrastructures basiques font défaut. A côté de ces quartiers, on trouve les zones " exclusivas " sécurisées. Comme leur nom " exclusivas " l'indique, elles sont le symbole de la croissance économique, de ces familles autrefois pauvres qui accèdent aujourd'hui au confort. C'est un bon signe pour le Pérou, même s'il ne faut pas se voiler la face sur les discriminations sociales et ethniques qui gangrènent encore le pays. Moins on est métissé " cholo " (terme péjoratif pour désigner les habitants des zones rurales andines), plus on a de chance dans la vie. Mais " avanza Perú " petit à petit, et les " pueblos jovenes " voient s'implanter des maisons plus cossues, même si cela prend du temps. Les habitants des " pueblos jovenes " les plus défavorisés, autrefois locataires (ou propriétaires informels) commencent à devenir propriétaires officiellement de leur logement. " Poco a poco ", comme on dit.
Quant au centre historique, principalement peuplé de bureaux, d'agences de voyages et de restaus... c'est sympa pour le côté touristique, mais " infernal " pour y vivre, du fait du trafic et du bruit ! Les Arequipéniens, qui ne s'y sont pas trompés, vivent d'ailleurs pour la plupart en dehors du centre historique !
Quels sont tes endroits préférés de la ville d'Arequipa et sa région?
Concernant Arequipa, j'aime surtout sa " campiña ", sa campagne, en périphérie ; que ce soit la petite place de Paucarpata et ses ruelles anciennes qui lui donne l'allure d'un vieux village, ou Sabandia et son moulin du XVIIIème, qui offrent une détente très appréciable le WE.
Pour le reste de la région, bien sûr le Colca, et plus particulièrement les parties est et nord que personne ne visite (et c'est bien dommage). C'est là où l'on trouve les plus beaux trésors d'authenticité, sans compter des paysages incroyablement beaux, aussi beaux qu'isolés du reste du monde. Par exemple, assister au coucher du soleil sur la pampa de Pusa Pusa, au milieu des alpacas, lamas et moutons, est un privilège unique. Le spectacle ne dure que 10 mn, et il est d'une intensité.
Randonner sur les pentes du Nevado Mismi et vers l'une des sources de l'Amazone qui jaillit de ses flancs, c'est comme toucher du doigt un mythe !
Sans oublier les gens de la puna. LE trésor du pays. Partager leur vie - dure -, comprendre leur quotidien, te fait progresser aussi dans ta tête et mieux prendre conscience des réalités culturelles, sociales et ethniques du pays. Bref, il y a tellement d'expériences à vivre dans le Colca, qu'elles pourraient, elles seules, résumer le Pérou.
D'après toi, quels sont les meilleurs trésors cachés du coin?
Je vais te donner une liste, ce sera plus simple ! Et j'espère qu'elle donnera envie aux voyageurs de franchir les frontières de l'aventure, dans la vallée du Colca :
- Les villages oubliés de Sibayo, Tuti et Callalli (ne pas louper les " cathédrales " rocheuses de Callalli), et tous les villages des parties est et nord du Colca.
- Les deux sources de l'Amazone, celle du Nevado Mismi et celle du Qewisha. Difficilement accessibles, mais quelques guides des villages du Colca peuvent vous y conduire.
- Le village-fantôme de Ran Ran (4500 m) et sa petite église abandonnée du XVIIIème siècle, perdus au cœur d'un cirque, sur la piste conduisant à la première source de l'Amazone.
- Les fêtes des villages : qu'elles soient patronales ou religieuses, il ne se passe pas une semaine sans événement. Ça c'est le Pérou !
- Le village de Yanque, l'un des plus beaux du Colca. Il y a quelques touristes, mais ceux-ci passent généralement tôt le matin, pour faire une halte avant de repartir vers le canyon qui est l'attraction de la région.
- La fromagerie artisanale et écologique du village de Tuti.
- La pampa de Pusa Pusa au petit matin et au coucher du soleil.
Je continue ?!
Arequipa est réputée pour sa gastronomie à travers le Pérou, quels sont tes plats préférés?
" ¡Me muero por un tiradiiiiiiiito! " Cela ressemble au " ceviche ", mais avec une sauce plus relevée. J'aime aussi beaucoup les " picarones ". Ce sont des beignets de faines cuits à l'huile. Avec un peu de sirop d'érable, c'est aussi simple que divin. En apéro, le maïs grillé, qui se mange aussi frénétiquement que des chips. En dessert, j'ai un faible pour la " chirimoya ", ce fruit dont le goût est à mi-chemin entre la mangue et la poire. Qui plus est, délicieusement sucré. J'ai aussi un faible pour les " Chifa ", ces restaurants qui fusionnent les cuisines chinoises et péruviennes. C'est ce qu'il y a de moins cher généralement. Je vais peut-être faire hurler les lecteurs, mais j'adore les pizzas péruviennes, pour moi les meilleures au monde avec les argentines ! Pour revenir aux plats traditionnels, le " " (" cochon d'Inde ") par exemple, je n'arrive pas à m'y faire. Quant à l' alpaca, je n'en mange plus depuis que ma compagne m'en avait offert un (malheureusement dévoré par les renards).
Y a-t-il un meilleur moment de l'année pour la visiter?
Comme dans toute la partie andine, il est préférable de la visiter entre mai et octobre, c'est-à-dire durant la période sèche. Parmi les fêtes, je pourrais citer l'anniversaire de la ville, le 15 août, qui donne lieu à des défilés hauts en couleurs (surtout celui des policiers, ça ne fait pas très sérieux parfois !), et surtout il ne faut pas hésiter à partir dans les quartiers populaires de la ville.
Les habitants y organisent régulièrement des podiums en pleine rue. Plus authentique à Arequipa, ce n'est pas possible ! Enfin, le WE, on peut aller déjeuner dans ces grandes " picanterías " qui accueillent 400 personnes ! Entre deux plats, tout le monde quitte la table pour danser sur la piste, des enfants aux grands-parents, tous milieux sociaux confondus. Plat quasi-unique, donc il ne faut pas être difficile. Mais rien que pour l'ambiance, ça vaut bien un festival !
Pour les fêtes traditionnelles, je conseillerais plutôt de partir dans le Colca. Les dates de fêtes sont aléatoires, mais comme je te le disais, il ne se passe pas une semaine sans une festivité quelque part ! Et tout est prétexte à dégoupiller une " cerveza " et à danser ! J'ai entendu parler d'une fête en mai, dans le village de Yanque, où l'on baptise les vaches à coups de lancer d'œufs (pauvres bêtes) ! Je ne sais pas si c'est vrai, mais si les lecteurs du blog ont l'occasion d'aller le vérifier, qu'ils me tiennent au courant, ça m'intéresse !
Finalement, quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un voyageur pour profiter au maximum d'Arequipa?
Commencer par visiter le centre historique (Cercado, Yanahuara), puis sortir des sentiers battus pour vivre la vraie vie urbaine du Pérou en s'immergeant dans les " pueblos jovenes ", sans pour autant faire du voyeurisme. On y trouve plein de petits hôtels pas chers (ne pas compter sur de l'eau chaude), des " cantinas " et autres petits commerces, une économie souvent informelle, mais qui fait vivre les gens.
Pour s'immerger et comprendre, il faut rester un peu de temps, au moins quelques jours. C'est une vie qui paraîtra certainement beaucoup moins glamour que celle du centre historique, mais pour moi, c'est ici que l'on peut se confronter à la réalité des ¾ des Péruviens, sans fard et sans folklore. C'est ici que les populations des zones rurales ont atterri dans l'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants. C'est ici que l'espoir d'une nation en développement est en train de naître. C'est le Pérou que j'aime, qui me fait vibrer, et qui se bat jour après jour pour progresser et s'en sortir.
Toutes les photos sont la propriété intellectuelle de Xavier Gaumer