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En attendant la « Poésie armée »
Et après le symbolisme ? Jouve va connaître une année néo-classique liée à son voyage initiatique en Italie (1910), puis deux (guère plus) années d'unanimisme — mouvement auquel les historiens de la littérature (trop) pressés rattachent globalement toute sa jeunesse. Cela sera suivi d'une année socialiste dans les parages de Jean-Richard Bloch. Puis la lecture de deux auteurs du passé — mais très présents dans son milieux intellectuel, Walt Whitman et Léon Tolstoï — et d'un auteur très vivant, actif et célèbre, Romain Rolland, le pousse vers le pacifisme et à une activité d'écrivain militant bien éloignée du « dandysme » de ses jeunes années symbolistes. Cette période s'étendra de 1914 au début des années 20 : le Pacifisme est (et de loin !) le « mouvement » auquel Jouve a consacré le plus d'années de sa première vie. Il le reniera, certes, mais de même que le Symbolisme de sa jeunesse reviendra (reconfiguré) avec sa Vita Nuova de 1925, l'engagement politique fera retour tout au long des années trente. Cette fois-ci — comme Romain Rolland, d'ailleurs, et au grand dam des « pacifistes munichois », Giono ou Alain —, l'ancien pacifiste appellera « aux armes ! » contre « la bête de fer / hitlérienne ». La première œuvre « engagée » (pacifiste) de Jouve est peu lue et peu commentée : l'interdiction de réédition par son auteur a joué un grand rôle dans cet oubli. Laure Himy-Piéri a choisi de commenter Danse des morts qui a été réédité dans le volume II de Oeuvre en 1987.
Comme l'œuvre pacifiste du temps de la Première Guerre mondiale de Jouve est très peu commentée, il est facile de citer ceux qui en ont parlé : Daniel Leuwers, dans son Jouve avant Jouve donne un panorama qui est surtout biographique. Dans Pierre Jean Jouve – La quête intérieure (2008), Béatrice Bonhomme consacre une brève section à son « idéal pacifiste » (1914-1920). C'est en 2014 qu'un retournement commence : le centenaire du début de la guerre a encouragé un lecteur comme Jacques Darras à chercher si (comme en Angleterre) il y avait des « poètes de la première guerre mondiale ». Il a cherché et son diagnostic est net : oui, il y en a, et ils sont tous mauvais (je préfère ne citer aucun nom), sauf un : Jouve, et son Poème contre le grand crime (publié en Suisse, en 1916) est le chef-d’œuvre poétique du mouvement pacifiste en temps de guerre et il en réédite un « chant » dans Je sors enfin du Bois de la Gruerie. Jacques Darras explique que la qualité de sa poésie a une source : à travers la traduction de Léon Bazalgette, Jouve a entendu le phrasé de Walt Whitman — la sincérité de son engagement a trouvé chez le poète américain la forme qui lui convenait. Laure Himy-Piéri a une toute autre approche, et elle lit un autre texte, Danse des morts (également publié en Suisse, en 1917) : dans l'écriture de cette « ample composition polyphonique » (Jean Starobinski), elle détecte un reflet du « modernisme » du temps, avec ses jeux sur la syntaxe et le rythme — où elle voit un « procédé », avec ses « dysfonctionnements » et sa « parole asphyxiée ». Dans cette écriture se reflètent l'inquiétude et l'urgence liées au contexte de la guerre.
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