Après avoir, en 2013, traversé la France en diagonale, des Ardennes jusqu'au Pays Basque, Axel Kahn a récidivé en 2014. Mais, cette fois, il l'a traversée suivant une autre diagonale, de la Pointe du Raz jusqu'à Menton. Entre deux mers, en somme. D'où le titre, connoté.
Car l'amateur de bons vins qu'est Axel Kahn n'a pas pu ne pas penser en donnant ce titre à son livre, à la région de vignobles appelée ainsi, munie de traits d'union entre les mots, parce qu'elle se situe entre Dordogne et Garonne...
La démarche de cette seconde diagonale est restée la même que lors de la première tentative couronnée de succès. Il s'est agi de découvrir les beautés du pays tout en échangeant avec les populations rencontrées en chemin et toutes les aimables et belles personnes qui l'ont accueilli dans des maisons d'hôtes, des gîtes ou des hôtels.
Même pour un marcheur entraîné, cette traversée, d'une durée de deux mois et demi, du 8 mai au 23 juillet 2014 relève de l'exploit. Or c'est d'autant plus un exploit que l'auteur est alors dans sa soixante-dixième année. Il aura accompli deux mille cinquante-sept kilomètres et cumuler quarante-trois mille quatre-vingt-onze mètres de dénivelés.
A soixante-dix ans maintenant, Axel Kahn a, pour ce qui le concerne, une idée assez exacte de ce qui "vaut ou ne vaut pas la peine d'être considéré". Il est convaincu aujourd'hui, comme il l'a toujours été, "que l'on peut avancer dans une certaine allégresse aux différents âges de sa vie":
"Se rapprocher de sa mort, bien sûr, mais pas dans le but de s'y rendre, dans la seule conscience sereine qu'elle est l'une des données de la vie. Et dans ce cadre, cheminer avec un désir inchangé et toujours un peu inassouvi de vivre intensément, d'être heureux s'il se peut."
En 2014, Axel Kahn ne part pas seul. Il emmène avec lui une mascotte, une peluche, qu'il déclare être une pouliche, bien que prénommée Norman, emblème des Jeux Équestres Mondiaux, qui doivent se dérouler la même année du 23 août au 7 septembre, et dont il est membre du Comité des ambassadeurs.
Cette mascotte est pour Axel Kahn une princesse. Elle est un autre lui-même, sa part de féminité et de sensibilité, sa part souriante et optimiste, "amoureuse des fleurs et des espaces", permettant d'oublier un peu les soucis du corps, alors que, pendant son périple, son être de chair, justement, sera jusqu'au bout "tendu comme jamais par la volonté farouche de terminer" ce qu'il a entrepris.
Terminer ce qu'il a entrepris, c'est en effet accomplir un voyage au bout de soi. En dépit des vicissitudes météorologiques, et physiques. Car, si, l'avant-veille de son départ pour la première diagonale, Axel Kahn s'est fracturé le poignet, pendant la seconde diagonale, son genou gauche sera son "talon d'Achille".
S'il n'y avait eu que le genou, passe encore, il s'en serait accommodé, aurait, grâce à la beauté et la magnificence du monde vivant, fait abstraction de ses douleurs et marché malgré elles. Mais il se luxera l'épaule droite avant Crozant et, quand il chutera sur la même épaule dans le Cézallier, il se rompra "un important tendon de la coiffe des rotateurs". Ce qu'une échographie ne lui révèlera que trois mois plus tard...
Ce nouveau voyage à travers la France est l'occasion pour lui d'avoir de véritables coups de coeur paysagers. Au hit-parade de ces coups de coeur, six sites naturels méritent de figurer, chronologiquement: le Cap Sizun, la région de Guerlédan (en Bretagne), la Brenne, "la vallée cristalline de la Creuse", le cirque des Boutières et "les Préalpes et Alpes calcaires du sud":
"J'aimerais m'enraciner dans cette rude pente d'alpage, les vallées à mes pieds, les sommets environnants pour voisins, les fleurettes d'altitude pour compagnes. Tout bien considéré, où est-il possible d'être plus heureux que là?"
Ce nouveau voyage à travers la France est aussi l'occasion pour lui de corriger "la vision noire monochrome de notre pays". Des coins de France s'en sortent, et même ne se désertifient plus, parce que les populations, comme en Vendée, n'ont dû compter que sur elles-mêmes, parce qu'ailleurs des exploitants s'installent en "misant sur la typicité et la qualité de leurs produits" et que l'arrivée d'une population néo-rurale y donne un regain d'activité.
L'histoire est inévitablement au rendez-vous du voyage, ne serait-ce que par les monuments et les ruines. Axel Kahn évoque les guerres de Vendée, le supplice d'Urbain Grandier et la construction ex-nihilo de la ville de Richelieu par le Cardinal, prédateur de Loudun, le souvenir de George Sand et la vallée des peintres...
En 2013, l'agnostique Axel Kahn avait été ému à Vézelay. Il renoue avec ce sentiment étrange du non-croyant quand il est confronté à la beauté de la liturgie, à l'abbaye de Timadeuc, en Bretagne: "Je ne suis à l'évidence pas insensible à l'image des moines en robe blanche alignés dans le choeur devant les stalles et à la grave et poétique beauté qui se dégage de leurs chants à l'unisson."
Tout a une fin cependant. Arrivés à Menton, Axel Kahn et Princesse mascotte doivent faire le deuil de leur commune aventure, que des internautes ont suivie sur les réseaux sociaux ou sur son blog. Axel Kahn sait que maintenant une telle aventure ne se renouvelera pas. Sa lésion à l'épaule est définitive:
"Mon état général est, sinon, excellent, je n'ai pas perdu un gramme de mon poids mais les ratés de certaines bielles de la "machine-bonhomme" rendent fort improbable la répétition d'une telle aventure. Cette année, la satisfaction des petites victoires remportées avec l'aide de Princesse mascotte sur moi-même et ma carcasse a accru l'intensité de mes sensations, l'idée de ne plus jamais les connaître m'est incroyablement douloureuse."
Francis Richard
Entre deux mers - Voyage au bout de soi, Axel Kahn, 256 pages, Stock
Livre précédent de l'auteur, chez le même éditeur:
Pensées en chemin (2014)