Descente de Philae vers le site d’Agilkia, quelques instants avant son premier rebond
Malgré ses tribulations le jour de son arrivée sur la comète Tchouri, le 12 novembre 2014, Philae a collecté de précieuses informations sur son environnement. Les premiers résultats ont été exposé dans 8 articles publiés le 31 juillet dans la revue Science.
Quid de Philae ? Qu’en est-il de l’atterrisseur largué le 12 novembre 2014 par Rosetta et qui s’est posé sur 67P après quelques périlleux rebonds ? Il a « appelé la maison ». Le 13 juin, en effet, les membres de la mission ont eu effectivement la joie de recevoir un premier signe de vie, ou plutôt un témoignage de son réveil, après des mois à espérer. Sept brèves prises de contact se sont enchainées puis un nouveau silence a suivi, qui s’est éternisé jusqu’au 9 juillet. Ce jour-là, le vaisseau d’exploration a pu échanger durant une vingtaine de minutes avec le robot. Et depuis, plus rien. Il est bien sûr encore trop tôt (début août) pour conclure à sa perte. Les données qu’il a transmis, indiquent que sa température interne est supérieure à 0 ° ; « nous estimons que sa batterie est rechargée au moins à 75 %, a expliqué le chef de la mission au CNES, Philipe Gaudon, et nous recevons au moins 30 W d’énergie sur les panneaux solaires. Tout cela permettrait de refaire de la science ». Philae souffrirait plutôt de problèmes de communications. Au Centre de contrôle du DLR (Deutsches zentrum für Luft und Raumfahrt), on pense qu’il a changé d’orientations, à cause du sol irrégulier et sans doute des dégazages qui ont pu se manifester ces dernières semaines, à l’approche du périhélie. « La force avec laquelle tombe le Soleil sur les panneaux a changé de juin à juillet, a raconté Stephan Ulamec qui dirige l’équipe de Philae au DLR, et cela ne peut pas être expliqué uniquement par le cours des saisons sur la comète ». Par ailleurs, une des deux unités de transmissions souffre de dysfonctionnement, mais les ingénieurs ont trouvé un moyen d’y remédier, à condition que les panneaux solaires soient suffisamment alimentés.
En tout cas, une fois le contact repris, un bloc de commande stocké sur l’ordinateur de bord est prêt à être activé. En cette période d’activité intense, les chercheurs seraient bien sûr ravis de récolter de nouvelles informations sur ce milieu douché par le vent solaire. Dans l’attente et l’espoir que la prospection in situ reprenne, nous pouvons d’ores et déjà nous réjouir de la formidable moisson des 64 premières heures de l’atterrisseur passées sur le dos de la comète.
Début août, une salve de huit articles publiés dans Science ont divulgué ce que les chercheurs ont appris sur la surface de Tchouri. D’abord, malgré les sauts de 100 mètres de Philae, ses péripéties ont permis de comparer les sols des deux sites touchés. Les instruments Ptolemy et COSAC ont ainsi pu renifler les particules en se posant d’abord à Agilkia, le site initialement prévu, puis à Abydos où il s’est coincé contre une falaise, à environ 1 km de là. Parmi ces échantillons de poussières, pauvres en glace, 16 molécules organiques ont été identifiées, réparties en 6 classes de molécules organiques (alcools, carbonyles, amines, nitriles, amides et isocyanates). Quatre d’entre eux n’avaient jamais été détectés sur une comète auparavant : l’isocyanate de méthyle, l’acétone, le propionaldéhyde et l’acétamide.
Au sommet de Philae, Ptolemy a collecté au même moment les gaz qui entraient dans ses tubes. Ce sont les mêmes que l’on retrouve dans la chevelure : de la vapeur d’eau, du monoxyde et du dioxyde de carbone et de petites quantités de molécules organiques comme le formaldéhyde. Plusieurs ingrédients que l’on retrouve dans la chimie prébiotique, dans la synthèse des acides aminés, sucres et autres bases de l’ADN : « quasiment toutes les molécules détectées sont des précurseurs potentiels, produits, assemblages, ou sous-produits les uns des autres, ce qui donne un aperçu des processus chimiques à l’œuvre dans un noyau cométaire et même dans le nuage protosolaire en effondrement, aux premiers temps du système solaire » indique le CNRS dans son communiqué de presse.
Avec les images prises par ROLIS juste avant de toucher le sol à Agilkia et CIVA, à Abydos, les scientifiques ont pu constater leur nature différente. Pour le premier site, le régolithe est plutôt grossier, constitué de rochers de plus ou moins un mètre (le plus gros fait 5 m), de blocs de 10 à 50 cm et de cailloux de moins de 10 cm. Mélangée à des grains de poussière plus fins, son épaisseur est estimée à 2 mètres. Dans le milieu beaucoup moins ensoleillé où séjourne depuis des mois Philae, les microcaméras de CIVA ont dépeint l’environnement avec des détails jusqu’à 1 mm. L’atterrisseur serait donc dans un trou qui a à peu près sa taille (1 m). Il est incliné contre une falaise sombre lézardée, avec deux de ses trois pieds qui touchent le sol. La lumière du Soleil n’y a sans doute pas pénétré suffisamment jusqu’à cette période du périhélie et les parois compliquent certainement les échanges avec Rosetta.
Le sol d’Algikia, sur Tchouri, photographié par Philae (ROLIS) le 12 novembre 2014 à 15h33mn58s TU à 9 m de la surface. La résolution est de 0,95 cm/pixel
L’étude des terrains d’Abydos montre la présence de paquets sombres supposés être de gros grains de molécules organiques. « Les matériaux des comètes ayant été très peu modifiés depuis leurs origines, cela signifie qu’aux premiers temps du système solaire, les composés organiques étaient déjà agglomérés sous forme de grains, et pas uniquement sous forme de petites molécules piégées dans la glace comme on le pensait jusqu’à présent. Ce sont de tels grains qui, introduits dans des océans planétaires, auraient pu y favoriser l’émergence du vivant. » Les taches plus claires se composent de différents minéraux voire de la glace.
Le marteau MUPUS a révélé un sol très dur à Abydos. Une fine pellicule (3 cm) recouvre, semble-t-il, un mélange très compact de glaces et de poussières. Il en est peut-être de même à Agilka, mais à une plus grande profondeur. Par ailleurs, son thermomètre a indiqué qu’au moment des investigations, la température au cours de la journée de 12,4 heures descendait jusqu’à – 180 °C pour monter, l’après-midi, jusqu’à – 145 °C.
Enfin, CONSERT, qui a émis des ondes radio à travers le petit lobe du noyau, en direction de Rosetta, suggère une porosité de 75 à 85 %. La structure interne plutôt trouée apparait comme un agglomérat de glace et de poussières réparties de façon homogène. En outre, grâce à cet instrument, l’équipe de Philae a pu opérer une triangulation pour affiner sa position. Celle-ci est ramenée à une zone de 21 x 34 m.