Thomas Ostermeier détaille sa « méthode » lors d’une master class à Paris
Le Monde.fr | 26.06.2015 à 17h36 • Mis à jour le 26.06.2015 à 17h59
« Je cherche à faire un théâtre qui surmonte la vie ». Face à une assemblée d’une centaine d’étudiants de l’école des beaux-arts et du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier expose les fondements de sa méthode de travail. Le co-directeur de la Schaubühne de Berlin, réputé pour la précision et la subtilité du jeu de ses comédiens - qu’ils affrontent Shakespeare ou revisitent Ibsen - donnait mardi 23 juin une master class sur la direction d’acteurs, accueillie aux Beaux-Arts de Paris. Une approche théorique permettant de mieux décrypter l’oeuvre de cet artiste fécond et exigeant, actuellement à l’affiche au Théâtre de la Ville pour la reprise de la pièce Le Mariage de Maria Braun et très attendu au Festival d’Avignon pour sa nouvelle création, Richard III.
« Je suis un spectateur devenu metteur en scène pour mieux comprendre le théâtre » lance Thomas Ostermeier en introduction. Le Berlinois fustige un théâtre contemporain qu’il juge souvent trop éloigné de la vie, où les comédiens multiplient les artifices et les prouesses techniques mais ne parviennent pas à une interprétation « raffinée » et « crédible ». Ostermeier se défend de vouloir platement « imiter la vie » - son théâtre privilégie l’intensité dramatique à chaque scène - mais affirme qu’il est nécessaire à l’acteur de puiser dans son intimité pour être le créateur d’un « théâtre non théâtral ». Afin de « déclencher le jeu » de ses acteurs, le metteur en scène s’appuie sur ce qu’il appelle « quatre piliers ».
A commencer par le rythme et le mouvement.
« Les metteurs en scène contemporains ont perdu le groove ! Le théâtre d’aujourd’hui est trop souvent dans la main des dramaturges et des faux intellectuels », dit-il. Lui entend placer le rythme et la musicalité au cœur de son théâtre. S’inspirant du « montage d’attractions » développé par le cinéaste russe Eisenstein, Ostemeier affirme qu’il est pour lui nécessaire « qu’il se passe toujours quelque chose sur scène ». Par le biais d’exercices, ses comédiens travaillent donc à la fois la rythmique du texte et du corps.
Un royaume dans chaque partenaire
Deuxième pilier, Constantin Stanislavski et ses « circonstances majeures ». Le comédien et metteur en scène russe (1863-1938), dont les théories sur l’acteur révolutionnèrent le théâtre du XXème siècle, propose au comédien de s’appuyer sur « les circonstances données » qui déterminent un rôle (indications fournies par le dramaturge sur le passé des personnages, leur environnement, leur origine sociale…). Thomas Ostermeier parle lui de « circonstance majeure », c’est à dire « la situation qui déclenche un jeu » et qui rend la confrontation entre les personnages nécessaire et évidente. « Chaque metteur en scène doit trouver pour chaque scène sa circonstance majeure, celle qui exige que ses comédiens soient forcés de s’emparer de l’action ».
Troisième pilier qui soutient la « méthode » Ostermeier, l’expérience Sanford Meisner (1905-1997). Etablie par l’acteur et professeur de théâtre américain dans les années 1930, cette technique de jeu consiste à placer deux comédiens face-à-face et à les laisser répéter durant plusieurs minutes une série de questions et réponses simples, du type « tu es triste ? » / « je ne suis pas triste». Cet exercice oblige les acteurs à être constamment « à l’écoute » et « au présent », souligne le metteur en scène. « Le problème de l’acteur est d’être obsédé par lui-même, explique Ostermeier. Or la source de la créativité, c’est l’autre en face. Il y a un royaume à découvrir dans chaque partenaire ».
Enfin, afin de faire de l’acteur « un chercheur de la vraie vie », l’Allemand a mis au point sa propre technique qu’il a baptisée « storytelling ». Lors des répétitions, il demande aux comédiens de mettre en scène leur propre histoire à partir d’une situation extraite de la pièce. Selon Ostermeier, les résultats sont « hallucinants » : « comme il s’agit d’interpréter les histoires des autres, les comédiens prennent soin du jeu et de la situation. Tout ce dont on rêve en tant que metteur en scène est là ».
Agathe Charnet