Voilà un roman autobiographique qui de l'aveu de l'auteur n'en est pas un ...
"Ce livre n’est pas une autobiographie, parce que pour moi une autobiographie est une accumulation de multiples notations sur le passé à partir desquelles l’écrivain peut relater ce que fut sa vie. Pour ma part, j’ai tiré de mon enfance et de mon adolescence uniquement les éléments qui me permettent de comprendre le sens de cette pulsion de mort qui a fondé ma vie d’adulte. Il s’agit plutôt d’une auto-analyse.
Voilà ce qui s’était passé. Mon fiancé m’avait humiliée. Il avait tenu des propos déplacés, insultants. Je n’étais pas habituée à recevoir des ordres, ni de mon père ni de quiconque. C’est pourquoi j’ai vécu l’attitude tyrannique de mon fiancé comme une agression. J’ai alors couru comme une folle à travers les rues d’Alger. Je voulais m’anéantir là où la mer rencontre le ciel…"
Nous sommes donc invités à suivre le cheminement périlleux et courageux d'une femme, qui à 70 ans tente de percer l'ultime secret qui l'a propulsée dans l'écriture.
Et nous sommes sidérés devant cette révélation qui semble venir au lecteur en même temps qu'à l'auteur : ce chemin de femme auteur, professeur, académicienne, cinéaste, est la route tracée par une pulsion de mort, qui fut mise en acte à seize ans, pour tout de suite être occultée et enfouie et n'accepter de ressurgir qu'au seuil de la vieillesse, afin de devenir soudain objet d'écriture où enfin, le "je" se livre.
Je n'ai qu'une pensée après la lecture de ce texte dense, fort, poétique et extrêmement travaillé : j'ose croire que cette quête de vérité sur soi, menée avec une belle intransigeance, et qui a produit tant de larmes et de sanglots au travail a fini par consoler Assia (Celle qui console), Djebar (l'intransigeante).
Je ne peux m'empêcher de me demander si cet exercice n'est pas finalement un nouveau jeu en forme de pari de Fatima-Zohra Imalayène, écrivant une "autobiographie" comme pour mieux donner chair, sang et larmes à son pseudonyme, son double.
La littérature est définitivement matière à mystère, où jeu, mensonges, rêves et fantasmes s'entremêlent pour nous donner le loisir de rêver que nous allons enfin comprendre et maîtriser quelque chose de cette vie qui s'échappe sans qu'on ait l'impression de la vivre.
Malgré ce titre dont je n'arrive pas à percer l'énigme, ce "nulle part" dans un lieu tellement défini et omniprésent, "la maison de mon père", Assia Djebar a trouvé sa terre, et y a planté son drapeau : j'aime à l'imaginer blanc comme le voile qui recouvrait sa jeune mère quand toute petite fille, elle l'accompagnait dans le rues du village. Cet étendard de voile de satin blanc flotte bien ancré dans un espace où le ciel rejoint la mer, une île de mots choisis en quête de vérité, et qui appartient au continent littéraire.
"Certes derrière la "soie" de ce silence se tapit le soi, ou le moi, qui s'écrivant peu à peu s'arrime, en se coulant dans le sillon de l'écriture, aux replis de la mémoire et à son premier ébranlement-un "soi-moi", plus anonyme, car déjà à demi effacé...."
"en fait, ne m'a jamais quittée le désir de m'envoler, de me dissoudre dans l'azur ou bien au fond du gouffre béant sous mes pieds, je ne sais plus trop; Une houle demeure en moi, obsédante, faisant corps avec moi tout au long du voyage; une houle ou bien une peur, plutôt une réminiscence qui m'a insidieusement amenée à garder comme un regard intérieur, distant, mais ouvert sur quoi... ? ...
.... Comme si "vivre", je veux dire "vivre pour de bon", "vivre vraiment", se
jouait par une autre, votre double mais ailleurs, là-bas, derrière l'horizon!"
"La marcheuse est ensevelie sous la soie immaculée, elle dont on ne pourra apercevoir que les chevilles et, du visage, les yeux noirs au-dessus de la voilette d'organza tendue sur l'arrête du nez. Ma main frôle le tissus de son voile; je me sens si fière de paraître à ses côté ! Je la guide, comme on le ferait pour une idole mystérieuse : moi, son enfant, je dirai son page, ou même son garant, tandis que, s'éloignant de la demeure de sa mère, elle se dirige lentement vers une autre maison familiale".
Un entretien de l'auteur avec Hamid Barrada et Tirthanka Chanda à lire absolument sur Jeune afrique.com,
Lire aussi : "Père-fille : Ecriture et interdit dans l'autobiographie d'Assia Djebar", sur Peuples et Monde,
Amal Chaouti a écrit un beau texte sur ce titre, sur le Club de lecture Assia DjebarUne belle analyse de N. Sari, dans le Quotidien d'OranUn article de Marianne Payot sur TV5Monde
Pour voir le site Assia Djebar, clic sur l'image :