de Rainer Maria Rilke (Extrait)
Il est étrange, sans doute, de ne plus habiter la terre ;de ne plus suivre ces coutumes, qu’on vient d’apprendre à peine ;et de ne plus donner aux roses, à d’autres choses en promesse, la signification du devenir humain ; de n’être plusce qu’on avait été dans l’angoisse infinie des mains,et puis d’abandonner jusqu’à son propre nom, tel un jouet brisé.Etrange, de ne désirer plus les désirs. Etrange, de voir tout ce que des rapports tenaient lié ensemble,flottant si librement dans l’espace.Etre mort est un état pénible et plein de recommencements,jusqu’à ce qu’on parvienne et qu’on pénètre un peu l’éternité. Mais les vivants, tous commettent la fautede faire trop grandes leurs différences.Les Anges (dit-on) souvent ne savent pas s’ils passentparmi des vivants ou des morts. Le courant de l’éternitéà travers les deux règnes entraîne tous les âgesavec moi, toujours, et les confond chacun
Ils n’ont donc plus besoin de nous, ceux qu’enleva la mort précoce :doucement du terrestre on se déshabitue, ainsi que doucement on passe l’âgeoù l’on a besoin du sein de la mère. Mais nous, à qui sont nécessairesd’aussi graves secrets, nous pour qui le bienheureux progrèsnaît si souvent du deuil : - pourrions-nous exister sans eux ?