L'argument principal de l'ouvrage, focalisé sur le marché anglais, repose sur l'idée d'une révolution de la banque traditionnelle par les nouveaux entrants, en 3 étapes. Au début, le « déplacement » signale l'apparition d'acteurs agiles (et sans passif à gérer) capables de capter une audience grâce à une expérience client supérieure et des prix avantageux. Vient ensuite la phase de « diminution », dans laquelle les « anciens » sont relégués à des fonctions utilitaires. Enfin, la « désintermédiation » marquera le remplacement de pans entiers d'activité par des modèles disruptifs.
Ce qui rend ici cette vision – désormais classique même si elle n'est pas universellement partagée – intéressante est sa confrontation au point de vue des banquiers qu'elle menace directement. Une enquête a ainsi été menée auprès de 110 dirigeants et autres hauts responsables britanniques, afin d'étayer les thèses défendues. Or, bien qu'ils soient tous impliqués dans de gigantesques programmes d'innovation et de transformation « digitale », dans lesquels ils engouffrent des milliards, un fait interpelle tout particulièrement : leur méconnaissance de leurs nouveaux concurrents.
Les chiffres sont en effet éloquents : à la question de savoir s'ils ont entendu parler de quelques jeunes pousses parmi les plus prometteuses du secteur, les réponses sont absolument affligeantes. En dehors de PayPal, qui sert un peu d'étalon dans cet exercice, la plupart des noms qui leur sont soumis n'évoquent rien à plus de la moitié des cadres interrogés. Pire encore, même lorsqu'ils connaissent leur existence, ils ne sont pas 20% (à une exception près) à savoir ce que fait chacune des startups en question…
Si cette ignorance peut être pardonnable (?) vis-à-vis de sociétés américaines (Betterment, Lending Club, Square, Venmo), que penser du score de 15% atteint par TrasnferWise, une des premières « licornes » (entreprises dépassant une capitalisation de 1 milliard de dollars) de la FinTech au Royaume-Uni, qui révolutionne les transferts de fonds transfrontaliers ? Nutmeg (dans le conseil en investissement automatisé) fait un peu mieux, à 23%, RateSetter (pour le crowdfunding) navigue à un niveau identique et Azimo (aussi sur les transferts internationaux), plus discret, est un total inconnu…
Comment donc ces responsables peuvent-ils prétendre conduire leur entreprise dans sa mutation numérique s'ils ne sont pas conscients des changements qui interviennent dans leur environnement immédiat ? Non seulement font-ils preuve d'une dangereuse insouciance en méprisant de la sorte une concurrence en devenir, mais, plus encore, cela illustre également leur arrogance en matière d'innovation : plutôt que d'explorer les modèles émergents (pour s'en inspirer, les copier ou les absorber), ils persistent à penser qu'ils disposent, seuls, des capacités requises.
Tandis que la FinTech prend toujours plus d'ampleur, les banquiers seraient avisés de s'éveiller au monde qui les entoure. Les géants du web, avec leurs moyens infinis, ne représentent pas le seul risque de disruption du secteur, des entrepreneurs sont désormais tout autant capables de leur tailler des croupières, avec l'audace de leur naïveté. La réglementation n'est pas, comme ils le croient encore trop souvent, le rempart inébranlable de leurs monopoles. Et, plus ils se défient des établissements traditionnels, plus les consommateurs apprennent à faire confiance aux startups.
Alors, le moins que puissent faire ces dirigeants – pour éviter à leur entreprise de faire partie de la moitié de banques vouée à disparaître à terme (selon la prédiction du président de BBVA) – serait de connaître parfaitement le cadre dans lequel l'avenir est en train de s'écrire.