Sur le site du Cercle de philosophie politique Benjamin Constant, Pierre Bessard a publié récemment un article intitulé Nationalité et universalité libérale. En ce dernier jour de mes fêtes nationales, il me semble tout indiqué de recenser cet article. Mais, avant de le faire, il convient de préciser ce que j'entends par l'expression mes fêtes nationales et pourquoi ce blog se veut non seulement catholique et libéral, mais aussi national.
Né en Belgique, à Uccle, ma famille maternelle est flamande. Pour survivre ici-bas, trois semaines plus tard, je me suis retrouvé avec ma mère au Pays Basque, où ma monture, qui avait côtoyé la mort le premier jour, puis le cinquième de son atterrissage, a repris quelque poil. Apatride qui s'ignorait, du fait d'un dysfonctionnement de l'État français, après donc avoir accompli mon service national, j'ai acquis la nationalité française à 26 ans, puis la nationalité suisse il y a maintenant un peu plus de 2 ans.
Mes fêtes nationales sont donc celles de la Belgique, le 21 juillet, du Pays Basque, le jour de Pâques ou Aberri Eguna - le 5 avril cette année -, de la France, le 14 juillet, et de la Suisse, le 1er août. C'est en quelque sorte un quarté dans le désordre... Si je me suis collé l'étiquette de national, c'est parce que je ne renie ni ne nie aucune des nations, dans le creuset desquelles je suis devenu et deviens ce que je suis, heureux d'être un individu pensant, à la fois universel et singulier de par ses origines et ses déplacements.
L'article de Pierre Bessard fait suite à une conférence donnée le 20 avril 2015 par Stéphanie Genand, à l'invitation de l'Association Benjamin Constant, sur Madame de Staël et la Suisse. Pierre Bessard s'interroge dans cet article sur la nationalité de Madame de Staël et sur celle de Benjamin Constant. Madame de Staël était-elle suisse, française, suédoise ou prussienne? Etait-elle genevoise, vaudoise ou parisienne? Benjamin Constant était-il suisse ou français? Etait-il vaudois, lausannois, copétan ou artésien?
En fait, Madame de Staël et Benjamin Constant, en dehors de l'aspect légal des choses, étaient à la fois suisses et français, "dans le sens où leurs sentiments et leur action se sont déployés dans des sphères parisiennes et lémaniques". Pierre Bessard ajoute aussitôt: "Culturellement, cependant, ils se sont tous deux reconnus dans la Suisse comme terre symbolique de liberté, d'abord religieuse et intellectuelle, et plus tard politique." Ce qui est, modestement, et également, mon cas...
Pour un libéral, "la nation n'a d'autre but que la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n'était plus régi que par un seul système: l'universalité de l'être pensant n'implique pas la négation des nations ou la centralisation politique, bien au contraire. Il s'agit d'une universalité individuelle, et non collective. La fixation "nationale" des États-nations centralisés actuels nie ou du moins minimise l'extraordinaire diversité non seulement des territoires nationaux plus petits (qui n'étaient pas cloisonnés pour autant), mais aussi des individualités."
Pour illustrer "cette réalité strictement individuelle du sentiment national", Pierre Bessard cite Ernest Renan, dans son célèbre discours du 11 mars 1882 à la Sorbonne, sur Qu'est-ce qu'une nation?, intervention que Ludwig von Mises, qualifie, dans son Gouvernement omnipotent, de "document digne de la grande tradition du libéralisme français": "N'abandonnons pas ce principe fondamental, que l'homme est un être raisonnable et moral, avant d'être parqué dans telle ou telle langue, avant d'être membre de telle ou telle race, un adhérent de telle ou telle culture."
Pierre Bessard commente: "Les nations naturelles, ressenties et choisies, n'ont que peu de lien ou ne doivent pas avoir de lien du tout avec les critères superficiels habituels de l'histoire ancestrale ou dynastique, de la race, de la langue, de la religion ou de la géographie. La nation est d'abord une réalité spirituelle, une communauté de valeurs qui peut transcender les territoires politiques, comme l'histoire de conflits récents l'illustre: l'étatisation et la politisation sont souvent antinomiques aux nations et aux solidarités ou aux patriotismes naturels qu'elles inspirent."
Autrement dit "la nation est un certain reflet empirique de la vie en société, qui doit demeurer volontaire, et donc tolérer la sécession et les migrations, pour rester légitime". Ce qui fausse la donne et empêche les nations de rester légitimes, c'est d'avoir nourri en leur sein l'État-providence: "L'État-providence de la nation surpolitisée et bureaucratisée est aujourd'hui la principale entrave à l'autorégulation individuelle de la nation ouverte, la seule compatible avec l'universalité de la culture humaine, dont le développement et la grandeur nationale dépendent de son degré de liberté."
Ernest Renan n'appartient peut-être pas à la communauté des économistes libéraux, mais il écrit tout de même, cité par Pierre Bessard (dans un article de 1859, intitulé Philosophie de l'histoire contemporaine, où il rend compte des Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps de François Guizot):
"La plus grande gloire des gouvernements est dans ce qu'ils laissent faire."
Francis Richard