Poubelles et robinets - newsletter n°00 - août 2015

Publié le 31 juillet 2015 par Anne Onyme

Poubelles et robinets : mais que voilà un titre bizarre ! 

Pourquoi ce titre ?

1/ Le numérique, comme l'eau, s'infiltre partout... Pourquoi pas aussi dans ces domaines ? Après la dématérialisation des produits culturels (livre, musique), après le commerce électronique, les réseaux sociaux, la e-santé (voir mes newsletters), l'énergie et les transports (voir ma newsletter - pour l'instant il n'y en a qu'une..), voilà maintenant sur la sellette, si je puis dire, de notre vie de tous les jours : l'eau (le robinet) et nos détritus (les poubelles). On y est tellement habitué à notre robinet et à notre poubelle 1.0, que l'on ne pense pas que ces domaines puissent être aussi "gangrénés" par la numérique. Le 2.0 commence semble-t-il à y émerger ici ou là dans le Monde, et peut-être même qu'à terme cela conduira à un petit début d'überisation des cadors 1.0 du secteur ?

A mon avis, ces nouvelles e-choses ne pas très connues en France.. D'où l'idée de cette newsletter.. 

2/ Mais pourquoi coupler les 2 ? Simple, nos grands cadors gaulois 1.0 dans ces domaines (Veolia, Suez Environnement, Saur et autres..) ont à la fois une activité de distribution d'eau (le robinet), et une autre dans la propreté (les poubelles). D'où l'idée de ce couplage. On pourra naturellement les séparer si les évolutions numériques sont telles, que chacun vivra de son côté... Mais ce n'est pas encore le cas maintenant me semble-t-il.. Néanmoins, je pense que cela va aller vite..

3/ Et ce titre aussi en hommage à Me Billaut mère dont l'un des morceaux de musique favori était "Poéte et paysan" de Suppé (à force de l'écouter dans mon jeune temps : j'en ai soupé !)... Poéte et paysan d'un côté, et poubelles et robinets de l'autre.. Je trouve que cela fait bien.. Reste à écrire une symphonie du robinet ? Une cantate de la poubelle ? 

Dernier point : ces secteurs sont éminemment "politiques", en tout cas en France, et donc opaques, voire un tantinet mafieux. Il suffit de lire le gros livre de  : "l'Empire de l'eau". Edifiant. Bien écrit, bien documenté, se lit comme un roman policier, genre "Rouletabille au pays des Politicards". Dommage que l'auteur ne s'est pas aussi intéressé au secteur des détritus.. Car là aussi, semble-t-il, nous avons quelques beaux spécimens.

Le 2.0 va-t-il disrupter ces pratiques ? 

1/ Le secteur de l'eau : un marché mondial de 600 milliards de $ (avec 1 milliard d'Etres Humains qui n'ont pas accès à l'eau potable - donc qui n'ont pas de robinet).

Marché très important donc, avec plusieurs segments : le réseau de distribution, avec ses systèmes de captation, ses canalisations, ses compteurs, son contrôle et son monitoring, ses traitements divers pour la rendre potable, etc... Marché traditionnellement dominés par les "legacies" (General Electic, Veolia, Siemens, environ 150 grandes sociétés dans le Monde, etc..). C'est un marché qui génère 12,9 % de profits pour ces legacies (selon la société américaine d'études Lux Research). 

Vu les multiples domaines des activités de l'eau comme détaillés ci-dessus (Etude de Lux Research), il y a beaucoup à faire. On va donc voir poindre beaucoup de startups dans chacun de ses domaines.. 

2 éléments notamment vont en favoriser l'éclosion : la sécheresse (notamment en Californie : ce qui donne pas mal d'idées aux startuppeurs locaux - on a aussi ce fléau en France, mais peu de startups à date - le Préfet se contente de réduire autoritairement la consommation), et la vétusté des réseaux de distribution (les tuyaux).. Qui sont troués comme des passoires, chez nous..

Le cas Français en quelques points :

1/ L'organisation française des services d'eau et d'assainissement est on ne peut plus complexe, comme il se doit chez nous, car on ne sait faire que dans le complexe 1.0 : 35.000 services au total portés par 24.000 collectivités ! Dans 80% des cas, la commune en est l'échelon de base, preuve d'une organisation très morcellée... Laquelle, avec les technologies numériques d'aujourd'hui pourraient être nettement mieux organisée. Mais passons. 

2/ Ces services sont gérées soit en mode régie par la commune (la commune gère elle-même avec ses élus et fonctionnaires territoriaux), soit en mode Délégation de Services Publics (accordée justement à nos cadors 1.0). En France la gestion de l'eau est un service public. Mais dans d'autres pays comme l'Angleterre, le service est privatisé depuis le Water Act de 1974, du fait du manque de compétence des élus locaux dans ces domaines, et du manque de financements des collectivités locales.

3/ Nous avons 33.500 sites de captages (2/3 dans les nappes souterraines, 1/3 sur eaux superficielles). Eau qui est ensuite potabilisée, conformément aux réglementations en vigueur. Puis distribuée par presque 1 million de kms de canalisations jusqu'à votre robinet. On vous émettra une facture basée sur votre consommation, relevée aujourd'hui de façon manuelle sur votre compteur d'eau. Facture qui n'est donc pas émise chaque mois, vu que le relevé manuel coûte cher (la Saur chez moi n'émet que 2 factures pas an - ce qui fait que l'on ne sait pas très bien ce que l'on consomme - ce qui met en émoi Me Billaut- mon épouse -quand elle reçoit le bout de papier facture "est-ce que l'on a utilisé davantage d'eau que la dernière fois ?")..

4/ Ces réseaux de canalisation sont vieillots et sont troués comme des passoires, ce qui fait que le taux de rendement du réseau dans son ensemble n'est que de 70 à 75 % ! En gros, on perd 1 litre d'eau sur 4 ou 5.  Toutes choses égales par ailleurs, les opérateurs perdent donc 25% de chiffres d'affaires ! (ce qui n'est pas sûr, vu que si l'on supprimait les fuites, on ne consommerait probablement pas 25% d'eau en plus). Mais le coût de ces fuites est très certainement intégré dans la facture payée par le consommateur. L'amélioration de ce patrimoine national ne se fait qu'au "compte goutte", si l'on peut dire.. Les élus renâclent en effet à augmenter la facture d'eau pour investir dans l'amélioration. On fait comme s'il n'y avait pas de fuites... Technique de l'autruche. Mais plus on tarde, et plus cela coûtera cher ! Voir : ici.

5/ Selon l'Insee, le chiffres d'affaires de l'ensemble du secteur (eau, assainissement, déchets, dépollution, etc) a été de 38 milliards d'€ en 2011. Faisant travailler 12.000 entreprises environ, employant 136.000 salariés. Pour l'eau, le chiffre d'affaires serait de 15 milliards.. facturés aux particuliers et aux entreprises .. Pour la gestion des déchets un peu plus de 11 milliards, même montant pour la dépollution.

Voilà à grand coups de crayons (pardon de clavier) la situation chez nous, nos grands 1.0 n'étant pas très numériques, sauf peut-être sur un point : le compteur d'eau que vous avez chez vous qu'ils voudraient rendre intelligent ! ... Mais comme on le verra, ce n'est qu'un élément dans la numérisation du secteur. D'autant que d'autres, qui ne sont pas dans ces métiers traditionnels, s'y intéressent de plus en plus... 

Quelques solutions intéressantes que j'ai repérées (mais il commence à y en avoir pas mal).

Comment repérer les fuites automatiquement ? La solution d'Aquarius Spectrum.

Aujourd'hui dans le monde traditionnel, il n'y a guère de solutions pour les repérer, sauf à attendre que quelqu'un les signale .. Plusieurs startups lancent des solutions intéressantes pour se faire.. Dont Aquarius avec un "multi-layer leak detection for urban water systems".

2 types de sensors acoustique et un cloud de gestion..

Celle de Curapipe...

Repérer les fuites et les réparer EN MEME TEMPS, sans OUVRIR LA CHAUSSEE ! Voilà ce que propose Curapipe.. avec son TALR..

Curapipe publie une très intéressante vidéo sur youtube qui montre son système Leakcure en fonctionnement..

Il y en a d'autres comme Piperelinning solutions par exemple.

La Banque mondiale estime que l'on perd par jour dans le monde, 88 milliards de litres d'eau, rien qu'avec les petites fuites d'eau (robinet qui goutte, etc..). 

Combien coûterait la mise en oeuvre de ces technologies pour colmater les fuites du réseau de distribution français ?.. On ne sait pas trop, car ses startups ne détaillent pas leur business model. Je l'ai cependant demandé à plusieurs. Une seule startup m'a répondu : Aquarius, mais elle ne m'a pas précisé exactement son business model en Capex et Opex.. 

Autre segment dans la numérisation de ce domaine : faire prendre conscience du volume d'eau que l'on consomme en temps réel. Ce que propose Dropcountr..

Dropcountr met à disposition le numérique pour économiser l'eau..

Avant d'agir, il faut savoir. Comment économiser si l'on ne sait pas ce que l'on consomme ? Cela paraît évident ! Mais ce n'est pas le cas en France...

Et de plus, avec cette solution, vous pouvez comparer votre consommation avec celles de vos voisins ! Ce qui crée une saine émulation. Et comme vous êtes informés en temps réel.. vous pouvez prendre les décisions qui s'imposent ...

Et vous pouvez même savoir s'il y a une fuite chez vous, entre le compteur de l'opérateur et votre robinet.

Autre startup de la même eau : Watersmart

Enfin, une autre startup en cours de création que j'ai découvert pas hasard : Calliope (pas encore de site Web).

Elle va lancer semble-t-il un "Nest for water" (Nest - le thermostat intelligent - racheté par Google à plus de 3 milliards de $!).

Imagine H20 : un incubateur de startups dans (presque) tous le domaine de l'eau.

Et il y a déjà pas mal de monde ! 

Cela part d'ailleurs un peu dans tous les sens. Par exemple :

Et en France me direz-vous ? Pas grand chose, semble-t-il.. On se préoccupe beaucoup dans nos milieux 1.0 du compteur d'eau dit intelligent (avec remontée des informations par des réseaux bas débits comme Sigfox ?). Le problème : y aura-t-il un standard du compteur ? Ou est-ce que chacun va faire son propre matériel ? 

D'ici à ce que Google ou Apple avec son HomeKit s'intéressent à la chose .. Histoire de mettre au pas nos 1.0 !

Cela étant, de part le Monde, quelques dizaines de réseaux d'eaux se sont mis au 2.0 sur un aspect ou sur un autre. On citera : Tokyo Waterworks, Vitens en Hollande, Cagece au Bresil, Kisumu Water Company au Keynia, Mantova en Italie, etc...  

A suivre donc ce secteur qui s'éveille au numérique.

 2/ La production mondiale de déchets est de l'ordre de 3 à 4 milliards de tonnes par an.. Et chaque jour les activités humaines en produisent 10 milliards de kilos !

Marché très complexe là aussi.. Entre le ramassage, l'enfouissement, l'incinération ou le recyclage..  Voir : http://www.planetoscope.com/dechets/363-production-de-dechets-dans-le-monde.html

La France elle, produit de l'ordre de 800 millions de tonnes par an.

Vers une Uberisation de vos poubelles ? La Silicon Valley a en effet décidé de les disrupter...

Le marché américain des détritus ("waste") est de l'ordre de 48 milliards de $ (probablement du même ordre de grandeur en Europe).

Pourquoi la Silicon Valley s'y intéresse-t-elle ? Simple. Pour en réduire le coût, en copiant d'ailleurs le modèle d'Über. La startup s'appelle Rubicon Global. Qui a d'ailleurs débauché Oscar Salazar, le CTO d'Über.. Rubicon qui a déjà levé 30 milllions de $, avec en cours une nouvelle levée de 50 millions de $.

Comme Über, Rubicon ne possède pas de camions poubelles. Il gère, grâce à une apps à la Über et une plateforme adhoc, un réseau de transporteurs de déchets indépendants, des entreprises qui ont des détritus à faire enlever (c'est du B2B), avec un "vendor portal" (et beaucoup de big data)... etc...

Autre startup du même genre : Compology

On notera qu'Uber lui-même s'intéresse aussi au ramassage des poubelles, comme il le fait pour quelqu'un qui désire se rendre d'un point à un autre... Démarrage à Beyrout. A suivre..

BigBelly : le Decaux de la poubelle intelligente !

Des poubelles même très intelligentes ! Qui fonctionnent à l'énergie solaire, pour alimenter un compacteur - ce qui limite les débordements -, un capteur d'odeur (pour le CO2 je pense), et qui prévient la plateforme de gestion quand elle est pleine (ce qui limite les coûts de collecte dans un rapport de 1 à 4 !). Et qui plus est, ces poubelles 2.0 vont être wifisée ! Ce qui permettra aux passants de disposer d'une bonne connexion.

Cela étant, le prix de la e-poubelle est de l'ordre de 5.000 $ ! Et de 2.000 $ pour la poubelle additionnelle...

Le business model ? La publicité ! A noter que cette startup américaine est représentée en France par "connect sytee" basée à Aix en Provence.

Enevo One : même les Finlandais s'y mettent !..

De façon traditionnelle, le ramassage des poubelles se fait toujours selon un plan de ramassage statique, établi une fois pour toute, que la poubelle soit pleine ou non..

Enevo, startup finlandaise, a donc mis au point un sensor (le rond orangé que l'on voit ci-dessus en gros plan, à intégrer dans une poubelle - dans n'importe quelle type de poubelle - comme on le voir à droite -système donc différent de celui de BigBelly).

Ce sensor mesure et prévoit le niveau de remplissage. Et envoie ces mesures en mode sans fil à une plateforme qui va automatiquement optimiser les routes des camions poubelles, en tenant compte de différents paramètres : prévisions de remplissage de chaque poubelle connectée, la disponibilité des camions, le trafic routier, les travaux routiers, etc..

Hé oui, les poubelles peuvent tweeter !

Et si vous vous intéressez au waste, pardon au vaste monde des poubelles et à ses à-côtés, je vous suggère de visiter ce site qui liste à aujourd'hui 117 startups (liens clickables).. dont en voici quelques unes..

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Voilà pour cette 1ère newsletter.. sur le thème de l'eau et des détritus.

Il y aurait encore beaucoup à dire... Et j'ai bien conscience que cette première newsletter est très parcellaire. En tout cas, si j'ai quelques conseils à donner à nos cadors 1.0 dans ces domaines...

1/ il faut toujours voir ailleurs ce qui se passe, car vos lourdes structures pyramidales vivent en circuit fermé, et n'ont pas la science infuse (même si vous avez des polytechniciens, et quelques énarques dans les coins)... 

2/ mais il ne faut pas aller voir, et revenir sans rien faire (ce que font beaucoup de politicards français quand ils vont visiter la Silicon Valley).

3/ il vous faut un "veilleur" qui connaît bien votre entreprise et ses collaborateurs, et qui sera chargé TOUS LES JOURS de faire ce que je fais (mille excuses de me mettre en avant), de participer aux grands congrès mondiaux sur ces thèmes, de monter un système de veille ..

4/ mais là n'est que la moitié du travail. L'autre moitié, qui est beaucoup plus compliquée, est de convaincre le management, qui, et c'est humain, n'a nul envie de changer ses habitudes.. Et c'est pour cela que nous avions créé l'Atelier à la Cie Bancaire (en 1978 ! et c'est ce que j'ai fait pendant un trentaine d'année).

Et ce faisant, vous aurez peut-être une chance de ne pas vous faire disrupter comme un vulgaire taxi...

Le numérique se diffuse partout disions-nous... gagnant tous les aspects des activités humaines... Certains par exemple comme l'Inde sont en train de numériser l'organisation de leur Justice, d'autres comme l'Estonie leur démocratie (on devrait en prendre de la graine)...

Il y aurait encore de nombreuses newsletters à publier... 

Pourquoi donc publier ces newsletters ? Parce que cela permet à un instant donné de faire une mini-synthèse des évolutions observées... Nous sommes en effet submergées de news... ces newsletters permettent de les rassembler par thème.. et d'essayer d'en présenter une mini-synthèse d'étape... je continue néanmoins à publier au jour le jour les news que je trouve intéressantes sur mon compte twitter et sur mon wall FB.. dans ces différents domaines et d'autres.

Bonne lecture.

PS Je remercie beaucoup Olivier Gousseau, adjoint au maire de Pontchartrin (une petite ville du 78 à côté de chez moi) et par ailleurs responsable de l'Innovation dans le groupe Saur. Olivier m'avait en effet invité à un brainstorming interne de type "e-transformation du business plan actuel" (le PDG de la Saur a peur de se faire überiser). C'est à partir de là, que je me suis intéressé à ces activités... Il lui faudrait cependant mettre à jour son profil sur Linkedin..