[Je ne peux pas résister à la tentation de reprendre dés sa publication cet excellent article de Camille Loty Malebranche sur son blog http://intellection.over-blog.com/ tant son esprit sinon sa lettre si originale et envoûtante correspond à ce pour quoi Roger Garaudy s'est toute sa vie battu. AR]
Jubilation. Tapisserie. Jean Lurçat. 1964
Le sujet humain et la liberté contre la structure.
De la plus belle définition, la liberté est cet attribut de l’homme capable de déjouer les pronostics, de surprendre les planificateurs en contournant ou en éclatant les structures et leurs principes.
Le structuralisme, le behaviourisme et toute théorie du systématisme social et de son moulage de l’individu uniquement en sujet social n’ont eu cesse de tabler sur la détermination de l’homme par la structure sociale. À ce compte, l’homme ne serait que le produit du façonnement éducationnel et culturel. Mais l’individu, cette « structure structurée » de Bourdieu se manifeste parfois comme une entité aléatoire au cœur des systèmes qui l’englobent et dont il est censé relever. Ni le soi disant habitus qu’il est voué à exprimer, ni « l’orthopédie sociale » que Foucault nous décrit dans son « Surveiller et punir » ne semblent assez forts pour faire de tous les individus de la société, cette chose moulée au creuset social et qui, sans anicroche se pâmerait au pressoir puissant de l’idéologie sociale dominante.
L’individu humain - malgré tout le pas qu’il ait à franchir et que souvent, malheureusement, il ne franchit jamais pour être une personne humaine plénière - connaît des soubresauts qui sont la marque de son autre vocation brimée et déformée, la liberté. En dépit de la pesante misère sociale de l’individu écrasé par la monstruosité des choix oligarchiques et ploutocratiques contre l’avènement de l’homme et pour la réification permanente des individus selon l’ordre établi, le désordre de quelques-uns sévit encore dans le social en face de tous les attirails de contrôle et de tous les rétiaires structurels qui, aujourd’hui, mènent l’écoumène. Alors que tous ou presque tous sont fichés dans les dossiers policiers et de santé des autorités, la société et les états se surprennent à avoir peur de certains de leurs membres connus pour leur tendance à la révolte sans oublier ici l’autre peur plus terrifiante de la potentialité de réaction violente inconnue d’un nombre croissant d’individus contre la violence systémique d’État, systématiquement maintenue sur les populations. Et même, la peur est devenue l’emblème des métropoles ! La société reconnaît et constate son échec dans ses tentatives viles et macabres de contrôle des individus par l’instauration des nouveaux États policiers en pleine démocratie. Car en passant, qu’est-ce que l’État policier, sinon celui que nous vivons actuellement dans les métropoles et mégapoles occidentales créées à dessein pour l’émiettement des groupes humains jadis rapprochés par le contact et la communication, et où tous sont suivis de près, enfermés sans s’en rendre compte dans l’isolement d’un individualisme programmé qui voit les individus mécaniquement se soumettre en véritables ombres aux politiques et propagandes médiatiques appliquées dans leur vie ! Les individus, renonçant pour la plupart à tout idéal humain sont devenus moins que rien, incapables même de répondre spontanément à une salutation humaine si elle ne vient d’un « seigneur du social ». La communication même minimale est devenue difficile entre les habitants des grandes villes. L’on comprend le médiolecte contemporain, ce langage hyperémotif des médias, qui agite les pulsions du populo et le pourquoi de ces singes de la télévision et des talk show qui vont minablement déblatérer en racontant leur vie privée à la télé mais qui refusent un simple bonjour à l’image de ces tristes cadavres ambulants et arrogants que l’on croise chaque jour dans les ascenseurs de Montréal ou de Paris ! La misère ontologique, la pauvreté existentielle n’a d’égal que la grossièreté de ces individus-rejets.
La spontanéité et la liberté totalement perdue du grand nombre a sans doute inspiré les grandes théories du structuralisme social à la fin du 20ème siècle. Nous savons que les souffrances et déviances que nous décrivons dans ce texte furent une plaie de la Modernité, mais qu’en sera-t-il de l’individu post moderne ? Aura-t-il la chance de se libérer de la société monstrueuse et tératogène qui, encore, tend ses pièges et étend ses filets ? Nous croyons hélas que non ! Car l’ordre social idéologique est resté le même. La liberté est désormais entrée dans la marge, privilège exclusif des marginaux ! Nous savons que le terme de liberté est galvaudé par les champs théoriques qui prétendent le définir. La liberté du légaliste qui se résume aux limites établies par les lois s’opposera toujours à celle de l’anarchiste voire de l’esprit libre qui exige le primat de l’homme sur l’État et le système. La liberté du croyant, métaphysique et intuitive contre l’insignifiance et les torsions du sens existentiel, n’est pas celle de l’athée qui se morfond dans l’absurde et fait de sa soi disant émancipation de Dieu une plainte de douleur perpétuelle, liberté si lourde que le nihiliste n’arrive guère à la porter avec sérénité... Car il y a aussi aujourd’hui une grimace libertaire nouvelle en face des singeries diaboliques des fondamentalismes et intégrismes religieux, c’est la débile reprise de l’athéisme enfantin qui a régné aux 19ème et 20ème siècles de Stirner à Heidegger. Nos actuels athées de caniveaux avec leur traité sont si peu succulents qu’ils font littéralement dégueuler ceux qui ont connu les plats au moins épicés de leurs prédécesseurs. Mais cela constitue un autre thème à traiter. Sans entrer donc dans leur polémique ou athéologie si fade et si blême, il faut juste se rappeler Kierkegaard, philosophe "poète du religieux", qui fut ennemi farouche des religions officielles institutionnelles.
Aspects prometteurs de la liberté
Pour revenir à la liberté, disons enfin qu’elle est bel et bien l’une des attractions les plus magnétiques de l’espèce lorsque l’espèce est autorisée d’exister sans les cerbères de l’ordre officiel et leurs manipulations médiatiques. La liberté trône la deuxième grande passion à la fois attractive et impulsive de l’homme après celle de l’amour qu’elle suit alors qu’elle prime celle de la vie.
Quatre faits caractéristiques prouvent la non disparition totale de la liberté humaine prise au lasso des structures.
1 La révolution.
Lorsqu’une révolution réussit, elle chambarde précisément les structures et de ce fait, laisse au révolutionnaire, le choix de nouvelles structures plus adaptées à ses vœux. L’homme sort des structures pour y entrer mais dans l’intervalle, il tient la houlette de son avenir par le devenir structurel qu’il imprime à la société et à l’État.
2 L’esthétique.
La sensibilité créatrice ou critique est en fait un lieu de liberté par son caractère d’expression ou d’effet toujours éminemment unique à chaque créateur et critique intervenant.
3 L’imprévisibilité du devenir de l’action et de la réaction humaine.
Le sujet humain arrive parfois à rejeter sa sujétion pour la subjectalité, cette dimension de sujet prenant le monde pour objet en s’opposant à tous les engrammes de l’éducation et à tous les dispositifs de contrôle et de répression. Comment expliquer, en effet, que quelque fois, de deux enfants élevés dans la même famille, fréquentant les mêmes milieux et partageant toute la bonne part connue de l’hérédité génétique, il y ait un qui soit socialement docile et l’autre rebelle trublion ? C’est que l’homme n’est pas un livre que l’on peut écrire d’avance, ni une pure matière que l’on peut structurer de manière certaine ou définitive...
4 La spontanéité occasionnelle de l’esprit pensant.
Le fait de ne pas pouvoir toujours décider de ce qu’un homme pensera demain ou même dans quelques minutes en est une preuve additionnelle. La procession du mental et la capacité d’être plus qu’un réagissant c’est-à-dire d’être proactif et de provoquer l’inimaginable, impondérable avant coup, constituent l’affirmation libre de l’égoïté humaine au-delà du systémique et de son moulage surmoïque pressurant et structurant les individus par l’éducation au nom de l’institution sociale.
C’est donc la liberté de l’homme-sujet souverain dans sa subjectalité au point d’exprimer ses subjectivités sans crainte des intimidations systémiques contre le sujet-homme cloîtré dans la sujétion sociale, oui c’est cette liberté transcendante des contingences, qui - grâce à sa résistance aux imminences agressives des mécanismes de déconstitution de l’être transcendant qu’est l’homme - fait trembler et pester les tyrans souriants de nos démocraties liberticides.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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