Apple encaisse maintenant 92% des profits de l’industrie du téléphone intelligent. Pourquoi?
Si l’on fouillait dans tous les coussins de sofas de la planète, il serait possible de trouver des téléphones intelligents fabriqués ou mis en marché par plus de 1 000 entreprises différentes. Parmi celles-ci, huit grandes compagnies publiques représentent à elles seules la quasi-totalité du marché, ne laissant aux autres que des grenailles. Et parmi ces huit grandes compagnies, une seule encaisse presque tout l’argent : Apple.
Essayons de comprendre ce drôle de phénomène qui doit donner bien des maux de tête aux stratèges de Microsoft et aux 3-4 personnes qui travaillent encore chez BlackBerry.
En effet, selon un rapport de la firme de recherche Canaccord Genuity cité par le Wall Street Journal il y a quelques jours, Apple a réalisé 92% de tous les profits générés par les huit plus grands manufacturiers de téléphones intelligents au premier trimestre de 2015. Samsung ne s’en tire pas trop mal, avec 15%, tandis que le reste de l’industrie peine à se maintenir à flot ou perd de l’argent, ce qui explique que la somme des parts de Samsung et d’Apple excède 100%.
Essayons de comprendre ce drôle de phénomène qui doit donner bien des maux de tête aux stratèges de Microsoft et aux 3-4 personnes qui travaillent encore chez BlackBerry.
Pas une question de part de marché
Est-ce qu’Apple passe le râteau dans le carré de sable monétaire de l’industrie en vendant plus de téléphones que les autres? Non. Sa part de marché tourne autour d’un appareil sur cinq, soit moins que celle de Samsung.
C’est plutôt la marge de profit unitaire qui est en cause : les acheteurs d’iPhone paient plus cher que les autres pour un matériel équivalent. Dans l’écosystème Android, les manufacturiers sont nombreux et se font la compétition soit en offrant des composantes toujours plus performantes, soit en offrant des primes et des cadeaux de toutes sortes, soit en coupant les prix, soit les trois à la fois. Tandis que sous iOS, il y a un choix de manufacturier, un seul, et les consommateurs semblent heureux de payer relativement plus cher. La question demeure la même. Pourquoi?
Les mauvaises raisons
Éliminons d’abord quelques explications plausibles mais qui ne collent pas (ou plus) à la réalité.
Est-ce parce qu’il y a plus d’applications disponibles sur iOS que sur les plateformes rivales? Non plus. Le marché du Play Store d’Android a dépassé l’App Store d’Apple à ce chapitre à la fin de 2014, et il y a des années qu’il existe bien assez d’applications pour satisfaire à peu près tous les besoins sur toutes les plateformes. Les adaptations de jeux de plateaux, comme BattleLore et Agricola, sont la seule exception qui me vient en tête, mais il s’agit d’un segment de marché plutôt marginal qui ne doit pas avoir une grande influence sur les décisions d’achat de matériel.
Est-ce parce que les applications pour iOS sont de meilleure qualité, ou du moins perçues comme telles? Plus ou moins. Le filtrage antimaliciel de l’App Store représente sans doute un avantage aux yeux de certains consommateurs plus conscients des risques que la moyenne, mais ceux-ci ne constituent qu’une minorité, et ce filtrage n’est pas absolument étanche de toute façon. Tandis que certaines des applications gratuites fournies par Apple au cours des dernières années entrent dans la même catégorie de crapware que celles de n’importe qui d’autre.
Une piste de réponse?
Je crois que la raison principale de la domination d’Apple est d’ordre stratégique.
Apple lance un ou deux modèles d’iPhone par année, et chaque modèle reste généralement sur le marché pendant au moins deux ans : un an à plein prix, un an à prix réduit. En termes de recherche et développement et d’organisation manufacturière, une telle stratégie est extrêmement rentable. On achète des composantes en très grande quantité, on répartit l’investissement de départ sur un grand nombre d’unités, et chaque projet génère des revenus sur une longue période.
La stratégie d’Apple est d’une efficacité tout aussi redoutable en termes de mise en marché. Il n’y a qu’un modèle ou deux à faire connaître chaque année, la campagne de pub peut durer pendant un an, et la nomenclature des modèles est facile à comprendre pour l’acheteur moyen qui veut comparer le modèle «pas cher» de l’année passée avec le modèle haut de gamme de cette année.
Pendant ce temps, chez la compétition, on lance trop de modèles sous une nomenclature byzantine (Samsung), on «innove» avec des écrans carrés dont personne ne veut (BlackBerry), on déçoit les acheteurs en ne supportant pas les téléphones aussi longtemps que prévu (Google) ou on multiplie les changements de stratégie (Microsoft) qui font en sorte que plus personne ne sait si la plateforme a un avenir ou non. Résultat? Des modèles qui se vendent en plus faibles volumes que chez Apple, des coûts de R&D ou de mise en marché par unité vendue plus élevés, et une profitabilité plombée.
Et bien sûr, il y a aussi un avantage à détenir un monopole sur un système d’exploitation populaire!
All Your Piasses Are Belong To Apple Pour Toujours?
Est-ce que cette situation bizarre, où une seule entreprise réalise des profits énormes pendant que toutes ses concurrentes vivotent, risque de perdurer?
Je ne crois pas. Rappelez-vous qu’à diverses époques, c’étaient Motorola ou Nokia qui dominaient outrageusement le marché de la téléphonie cellulaire. Les entreprises chinoises comme Xiaomi, dont l’étude de Canaccord ne tient pas compte parce qu’il s’agit de compagnies à capital fermé dont les chiffres ne sont pas publiés, pourraient venir perturber l’ensemble du marché à plus ou moins brève échéance.
Et fondamentalement, la stratégie d’Apple n’est pas si compliquée : quelqu’un finira bien par la copier correctement un de ces jours. Samsung a déjà commencé à réduire le nombre de modèles de téléphones mis en marché chaque année pour réduire le gaspillage.
Qui sait, si ce ménage avait commencé en 2012 plutôt qu’en 2015, et que Samsung avait fait preuve d’un minimum de sérieux avec Tizen, ce serait peut-être de la domination du géant sud-coréen dont je vous aurais parlé cette semaine.