Secteur le plus en vogue de l’industrie du divertissement, le sport électronique (ou esports dans la langue de Shakespeare) continue, année après année, de prendre de l’expansion et d’attirer des foules de plus en plus importantes.
Cependant, les blagues sur les Sud-Coréens et les accros à Starcraft commencent à sentir le réchauffé. La preuve en est que la championne mondiale au jeu de tir à la première personne Counter-Strike n’habite pas Séoul ou sa banlieue, mais plutôt Montréal, même si sa réputation transcende les frontières.
Jeune femme dans la fin vingtaine, Stephanie Harvey (ou MissHarvey pour les intimes) a récemment ajouté un cinquième titre mondial à son palmarès en remportant avec son équipe le championnat 2015 de la Coupe du monde des jeux vidéo (ESWC), un événement qui avait justement lieu dans la métropole québécoise. Pour Harvey, d’ailleurs, Montréal a «tout ce qu’il faut» pour briller à l’échelle internationale dans ce domaine.
«De nombreuses villes de partout dans le monde sont devenues très populaires dans l’industrie des esports. À Montréal, il faudrait d’abord que l’on tente d’égaler ces villes, avant de penser à s’attaquer à Séoul, par exemple.»
«On a tous les ingrédients nécessaires, mais il faut voir si le public va être au rendez-vous; on a des gens qui trippent jeux vidéo, on a une ville superbe, on a les installations nécessaires, les gens compétents pour y arriver… Cela dépend donc vraiment des spectateurs», mentionne-t-elle en entrevue.
«En 2015, on ne parle plus vraiment que de Corée du Sud lorsque l’on parle de esports. On parle de Los Angeles, de Cologne en Allemagne, de Stockholm en Suède… De nombreuses villes de partout dans le monde sont devenues très populaires dans l’industrie des esports. À Montréal, il faudrait d’abord que l’on tente d’égaler ces villes, avant de penser à s’attaquer à Séoul, par exemple.»
Favoriser la participation des femmes
Stephanie Harvey rejette sinon vivement les allégations de discrimination lorsque l’on soulève le fait qu’au cours de cette Coupe du monde à Montréal, les hommes et les femmes participaient chacun de leur côté aux matchs. «Je dois avouer que c’est la question que l’on me pose le plus souvent, et c’est la question qui me dérange le plus. C’est arriéré de penser qu’il y a autant de femmes que d’hommes dans l’industrie du jeu vidéo, et c’est encore plus arriéré de penser que dans les esports, les joueuses sont aussi nombreuses que les hommes, et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une plateforme pour promouvoir la femme.»
Fin de la dernière journée du Electronic Sports World Cup, alors que les championnes sont visiblement émues d’avoir défendu avec succès leur titre (Photo : Aurélie Bellacicco).
«Nous, on participe à des tournois mixtes tout au long de l’année : il n’y en a que trois ou quatre qui sont axés sur la femme. Ça sert à promouvoir les femmes dans les esports. Il doit y avoir moins de 1% de joueuses féminines dans l’industrie, ce serait important de les promouvoir. Je ne serais même pas en train de travailler chez Ubisoft s’il n’y avait justement pas eu un tournoi féminin il y a plus de 13 ans.»
Mi-plaisir, mi-travail
Après 13 années consacrées à devenir une joueuse de haut calibre, le jeu vidéo a-t-il perdu de son côté agréable pour se transformer en simple objectif à accomplir? Pas tout à fait, selon elle.
«C’est un mélange des deux. Comme pour les sportifs professionnels, ça ne nous tente pas toujours de se lever et d’aller pratiquer. Ça ne nous tente pas toujours de jouer en équipe et d’effectuer toutes les activités entourant le sport, parce que lorsque vous travaillez tous les jours là-dessus, ce n’est pas toujours évident, mais on a un but, et c’est cela que l’on veut atteindre, et on le fait.»
Car ne devient pas joueur professionnel d’esports qui veut. Comme dans les sports traditionnels, l’entraînement est essentiel pour atteindre le meilleur de sa forme et vaincre ses adversaires. Pour Stephanie Harvey, cela veut dire consacrer au moins 30 heures par semaine à affronter des terroristes ou des membres des forces policières à Counter-Strike. Et cela, en plus de l’emploi à temps plein qu’elle occupe comme développeuse chez Ubisoft. Sans compter les entrevues accordées aux médias, les séances de streaming sur Twitch et les autres activités liées au domaine. «Je ne dors pas beaucoup, peut-être six heures par nuit. Je n’ai pas le choix», admet-elle.
Tournoi du jeu League of Legends disputé à Paris en mai 2014 (Photo : Helena Kristiansson).
Et elle n’est pas la seule à passer de nombreuses heures devant son écran pour tenter d’améliorer ses réflexes et ainsi être la plus rapide sur la gâchette numérique. Dans un long reportage justement consacré aux esports, et plus particulièrement au très populaire League of Legends, le magazine Vice s’est entretenu avec des aspirants joueurs professionnels. L’un d’entre eux avoue consacrer ainsi jusqu’à 80 heures par semaine à parfaire sa technique, histoire de se faire remarquer et de remporter des compétitions. Pourquoi tant de gens consacrent-ils tant d’heures à des jeux vidéo? Pour la célébrité, mais aussi pour l’argent.
Chacun veut sa part
Le marché des esports pourrait passer d’une valeur annuelle de 194 millions de dollars US à 465 millions d’ici 2017.
La scène des esports est en effet non seulement de plus en plus populaire, mais cette popularité est accompagnée d’un intérêt de plus en plus marqué de la part des entreprises. Et qui dit entreprises dit commandites, prix en argent, etc. Selon ce qu’écrivait en début d’année le blogue GamesIndustry.biz, le marché des esports, qui vaudrait déjà 194 millions de dollars US par année, pourrait passer à 465 millions d’ici 2017. L’article reprend les informations d’un rapport de la firme de recherche Newzoo, selon qui l’audimat va lui aussi continuer de croître à une vitesse galopante, passant de 89 millions en 2014, à 145 millions de spectateurs en 2017.
«Une autre tranche de 190 millions de personnes regardera des compétitions à l’occasion, ce qui montre que le jeu compétitif est devenu un sport avec une base de spectateurs comparable à celle du volleyball, du football américain ou du hockey sur glace», mentionne le document.
«Il y a beaucoup d’argent… et avec raison, aussi. Je pense même qu’il devrait y en avoir plus», estime Stephanie Harvey. «Les esports viennent bien plus toucher monsieur et madame Tout-le-monde que les sports professionnels; c’est accessible pour tout le monde, tout le monde joue maintenant aux jeux vidéo, les joueurs sont accessibles, ceux-ci nous donnent du contenu… C’est bien plus intégré au quotidien que n’importe quel sport.»
«Je pense que nous sommes déjà dans l’avenir des esports : ce domaine devient une carrière tout à fait normale, accessible, c’est quelque chose que les parents comprennent, que la société comprend. Les gens veulent consommer ce genre de contenu, faire partie de la communauté, que ce soit en tant que spectateur, journaliste ou autre. Moi, je n’ai plus la télé : je ne fais plus que regarder Twitch ou Netflix. Pour les plus jeunes, cela fait partie du quotidien», conclut-elle.