S’il est une pratique que partagent rédacteurs web et journalistes (nous inclus), c’est bien le jeu de mots. Mais du calembour subtil aux boutades indigestes, il n’y a qu’un pas.
Dans nos tâches quotidiennes, la veille. Et parmi nos échanges au bureau, de nombreuses réactions sur les contenus que nous rencontrons et qui débordent de « créativité linguistique ». Souvent de manière plaisante, jusqu’au moment où l’inventivité se fait au détriment du texte.
Mais d’abord, un jeu de mots, ça marche comment ?
Au fond un jeu de mots sert un but simple : divertir en « manipulant les mots ou des sonorités » (Wikipédia). En soi, il s’agit de construire un énoncé à deux niveaux : un premier, servant à la transmission d’informations « pure et simple », et un second transgressant une règle linguistique acceptée/reconnue.
Mais alors, pourquoi prolifèrent-ils dans les médias ? Pour retenir l’attention, se détacher des autres titres, ou encore attirer la connivence du lecteur qui reconnaitra la référence. Mais parfois également dans une volonté de ne pas se répéter, voire par souci de concision : dans certains cas, un bon jeu de mots vaut mieux que beaucoup de phrases.
Et en pratique ?
Puisqu’on parle toujours plus aisément de ce que l’on connait, nous prendrons l’exemple d’un événement breton récent, et source parfaite de jeux de mots : la convention de tatouage de Rennes. Le champ lexical du domaine étant relativement riche, les jeux de mots fleurissent aussi vite que s’impriment les articles. Parmi les maitres d’œuvre, nous pouvons relever « La convention tatouage s’encre dans la durée ». Ici, là où l’information à transmettre est « s’ancrer dans la durée », le magazine choisit d’exploiter l’homophonie ancrer/encrer, faisant un rappel à la thématique de l’article.
Mais d’autres y vont plus fort, collectionnant en 300 mots : « s’encre dans la durée », « ce rendez-vous dans la peau », « “Par Tatoutatis !” n’aurait pas manqué de s’exclamer Obélix, comme une réaction épidermique. Sauf que c’est Tin-Tin, la star des tatoueurs de l’Hexagone, qui lui volera la vedette », « donner son corps à la science du tatouage », « Peau… pulaire » et enfin le « … son travail au sein du label alternatif Banana Juice… La vie est une peau de banal ? Pas si sûr que ça ! ».
Ne pas en faire trop
Création langagière destinée à divertir, le jeu de mots transgresse les règles linguistiques communes : en d’autres termes, pour le comprendre, il faut d’abord que le lecteur connaisse les « règles correctes » et possède les références pour pouvoir déchiffrer le pas de côté fait par le journaliste.
Ainsi, comprendre un jeu de mots demande un double effort : d’abord saisir le degré informatif, puis le degré second, celui du jeu. Et dans l’article cité au-dessus, plus de 7 jeux de mots : l’homophonie d’encrer/ancrer, le jeu sur le sens littéral de peau, la référence littéraire à la BD de Goscinny avec Tatoutatis /Toutatis, la métaphore autour de la réaction épidermique, l’homophonie du célèbre reporter de la BD d’Hergé et du tatoueur parisien, l’hyperbole autour de donner son corps et des plusieurs sens de « art », l’homophonie de « peau » et « po », et enfin (ouf !), la plus complexe, une divagation composée d’un mélange de peau de chagrin (renvoyant au cuir, toujours métaphore de la peau), et peau de banane/banal, renvoi au label «Banana Juice», tout en signalant l’attrait extraordinaire de la gravure sur peau.
Bref, du jus de cerveau qui, soit fatigue le lecteur en alourdissant le texte, soit perd le lecteur s’il n’arrive pas à saisir toutes les références. De fait, « jouer suppose qu’on connaisse les règles et le moyen de les tourner en exploitant l’ambiguïté » (Marina Yaguello, Alice au Pays du langage), et chaque « coup » dans la partie est une chance de perdre le lecteur qui ne connait pas nécessairement toutes les règles transgressées.
Voulant rouler des mécaniques avec sa belle plume, le journalisme met un coup d’épée dans l’eau, cherchant à accrocher l’attention du lecteur, mais de manière lourde. Alors que, dans l’écriture comme par ailleurs, le mot d’ordre doit rester « modération ».