« Construire une candidature dont la sobriété financière et écologique correspondent aux exigences de notre temps. » Anne Hidalgo, maire de Paris, le 23 juin 2015.
Quelle ville n’a jamais rêvé d’accueillir les Jeux olympiques ? Qui n’a jamais souhaité que sa cité soit, deux semaines durant, l’attention du monde entier, avec des milliards d’yeux rivés sur ses installations sportives mais aussi sur son patrimoine, son histoire, sa culture?
Sport/politique : une récupération risquée
La récupération du sport par le politique n’est certes pas nouvelle, mais certains exemples récents rappellent le profit que nos dirigeants peuvent tirer des événements sportifs pour soigner leur cote de popularité. Des analystes ont été jusqu’à dire que la victoire « à domicile » de l’équipe de France de football au Mondial 1998 avait remis en selle Jacques Chirac, qui, depuis un an, subissait une cohabitation difficile avec son Premier ministre Lionel Jospin, après sa dissolution ratée de l’Assemblée nationale. Cette récupération du sport n’est cependant pas sans danger pour les hommes politiques.
Plus récemment, en 2007, Nicolas Sarkozy, tout juste élu chef de l’État, comptait lui aussi sur une Coupe du monde, de rugby cette fois, elle aussi organisée en France. Il avait nommé comme ministre des Sports le sélectionneur du XV de France de l’époque, Bernard Laporte, en lui laissant le temps d’en finir avec le Mondial pour prendre ses fonctions. La contre-performance des Bleus – élimination en demi-finale par l’Angleterre – l’avait contraint à arriver au ministère sur la pointe des pieds, avant son départ en catimini moins de deux ans plus tard.
Chirac, Sarkozy… Leur successeur commun ne pouvait pas manquer de continuer cette politique, risquée, de récupération. Dès son élection en 2012, François Hollande s’était déclaré favorable à une nouvelle candidature de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques. Après son élection à la mairie de Paris en mars 2014, Anne Hidalgo s’était d’abord dit réticente. L’ancienne première adjointe de Bertrand Delanoë, avait ensuite, en novembre dernier, formulé des « conditions », parmi lesquelles celle de disposer d’un pouvoir de décision face au gouvernement. Elle a finalement annoncé la candidature de Paris en avril dernier.
Le précédent grec
(photo : La piscine olympique des JO d’Athènes 2004 est aujourd’hui à l’abandon.)
Au terme d’une procédure de candidature remportée haut la main en 1997, la capitale grecque retrouvait les JO. L’économie du pays se portait relativement bien à l’époque, et les politiciens grecs assuraient que les Jeux profiteraient à Athènes et à l’ensemble de la Grèce. Mais rien ne s’est passé comme prévu : des coûts sans cesse revus à la hausse, un retard toujours plus grand dans la construction des installations, des problèmes de sécurité, des transports saturés durant les sept années des travaux…Au lendemain des Jeux, deux petites semaines dans un feuilleton onéreux de sept ans, c’était la gueule de bois en Grèce. Beaucoup plus importante qu’annoncé, l’addition finale était salée pour les Grecs : 8,5 à 13 milliards d’euros, selon les sources, soit plus du double du budget initial.
Bien sûr, la vulnérabilité de la Grèce à la crise financière de 2008, qui l’a conduite en 2010 à une situation de faillite virtuelle dont elle n’est toujours pas sortie, ne s’explique pas seulement par l’organisation des JO quatre ans auparavant. L’économie grecque était structurellement fragile, et les JO, parmi d’autres facteurs, ont aggravé la situation. Mais le contraste est saisissant entre l’état de l’économie grecque dans les années qui ont suivi les JO et les promesses faites par les dirigeants du pays avant qu’ils aient lieu.
L’argument de l’executif grec de l’époque, et des dirigeants français d’aujourd’hui, repose sur une idée simple : les Jeux olympiques, par le surcroît d’activité qu’ils entraînent avant et pendant les festivités, sont « bons » pour la croissance, l’emploi et les finances publiques. Mais une part conséquente de ce surcroît d’activité étant financée par l’impôt (installations sportives, infrastructures, équipements…), il y a davantage un déplacement d’activité qu’une création d’activité. En effet, si l’injection d’argent public crée de l’activité, c’est au moyen d’une neutralisation par l’impôt de l’activité dans d’autres secteurs de l’économie. L’argent que l’on investit à un endroit aurait pu l’être ailleurs…
Par ailleurs, l’afflux de spectateurs et de touristes pour les deux semaines de Jeux olympiques est-il si profitable ? Une étude américaine, citée par le webzine francophone Captain Economics, conclut par la négative. Le fameux Superbowl, qui oppose chaque année les deux meilleures équipes de football américain, ne rapporte au final que 100 millions de dollars en moyenne à la ville organisatrice, quatre fois moins que le bénéfice annoncé à chaque édition par la National Football League (NFL). En France, la Coupe du monde de rugby de 2007, dont les retombées avaient été au départ estimées à 8 milliards d’euros, aurait rapporté moins de 600 millions d’euros, selon une étude de 2010 d’Eric Barguet et Jean-Jacques Gouguet, deux chercheurs de l’Université de Limoges.
Une facture systématiquement revue à la hausse
La comparaison entre les retombées économiques et les coûts d’investissement est encore moins avantageuse si l’on prend en compte non pas les coûts annoncés, mais ceux constatés à l’arrivée, qui sont nettement plus importants. Londres, lors de sa sélection en 2005, prévoyait un budget total de 4,8 milliards d’euros.Au final, le coût était passé à 15,8 milliards d’euros. En Russie, le budget des Jeux d’hiver de 2014 est passé de 8,5 milliards de dollars lors de la sélection de Sotchi en 2007 à 33 milliards de dollars en 2014, un quasi-quadruplement.
Ce phénomène, qualifié de « winner’s curse » (malédiction du vainqueur) par l’économiste français Wladimir Andreff, a connu des précédents en France : Grenoble n’a fini de payer la facture des Jeux d’hiver de 1968 qu’en1992 ; quant à la petite Albertville qui accueillait les Jeux d’hiver cette même année, elle a enregistré un déficit de 43,5 millions d’euros.
Le budget de candidature de Paris 2024 est évalué à 60 millions d’euros par le Comité français du sport international
La question qui semble donc se poser est : les Jeux sont-ils au-dessus de nos moyens, avec une dette publique qui dépasse déjà 2000 milliards d’euros et devrait atteindre 100% du PIB en 2016 ? C’est ce qu’avait conclu, pour l’Italie, l’ancien président du Conseil, Mario Monti, quand il avait retiré en 2012 la candidature de Rome pour l’édition 2020. Lorsqu’elle a fait savoir ses conditions pour l’organisation des JO 2024, Anne Hidalgo a oublié ceux qui vont payer la facture, et subir la gêne des travaux pendant sept ans si Paris est sélectionnée en 2017. Bien que le maire de Paris ait promis pendant la campagne municipale de 2014 d’associer les citoyens aux processus de décision, elle n’a pas prévu de les consulter par référendum, contrairement à ce qui était initialement prévu à Boston, avant que la ville américaine ne retire, le 27 juillet, sa candidature.
C’est pourtant la même Anne Hidalgo qui a fait connaître à grand renfort d’affichage publicitaire, partout dans la capitale, que le budget d’investissement serait « participatif ». En réalité, et comme Contribuables Associés l’avait dénoncé l’an dernier, les choix des citoyens se limiteront à 5 % du budget d’investissement de Paris, pour des projets préalablement validés par la Ville de Paris avant toute présentation aux suffrages des Parisiens. Plutôt qu’une consultation de facto partielle, ne convient-il pas de demander leur avis aux contribuables par un véritable référendum, comme le réclame Contribuables Associés pour les dépenses importantes ?
Roman Bernard
Le budget du COJO
Le budget du Comité d’organisation des Jeux olympiques intègre les coûts directement liés aux Jeux (communication, gestion quotidienne…). Il est estimé à 3,25 milliards d’euros par le Comité français du sport international, et serait financé à 97 % par des fonds privés dont 1,8 milliard d’euros du Comité international olympique (CIO). Le reste sera financé par les sponsors et la billetterie. 3 % de ce budget sont pris en charge par les pouvoirs publics. Ils correspondent à l’organisation des Jeux paralympiques pour un montant de 96 millions d’euros. Le budget du COJO se différencie du budget lié aux infrastructures permanentes qui sont appelées à être utilisées pendant et après les Jeux. Le village olympique de Paris 2024 pourrait être reconverti en logements.
Fabrice Durtal
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