On s’était posé la question en regardant le second volet des aventures de Bob l’éponge (Un héros sort de l’eau) : avons-nous vieilli ou le spectacle a-t-il perdu de son âme ? Au regard de la magnifique adaptation du Petit Prince, réalisée par Mark Osborne, metteur en scène du premier film Bob l’éponge, nous nous disons que c’est bien la licence qui a perdu de sa folie par l’entremise de Paul Tibbitt. Osborne a su, au contraire, à nouveau, nous rendre notre âme d’enfant aidé en cela par la poésie intrinsèque de l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry. Ce dimanche, nous avons vu Le Petit Prince qui sortira Mercredi 29 Juillet 2015.
Dans une ville monotone, pensée d’un seule bloc, où toutes les rues sont identiques, une petite fille studieuse (Clara Poincaré, voix française de Riley dans Vice et Versa) n’a aucun temps pour elle-même. Son emploi du temps est régi par sa mère (Florence Foresti que l’on a vu dans le sympathique Barbecue et qui doublait Bonnemine dans l’excellent Astérix : Le Domaine des Dieux) avec un strict calendrier dont l’ambition est de lui faire intégrer une prestigieuse académie. Le plan sans folie va être mis à mal par la rencontre de la petite fille avec un nouveau voisin, un aviateur (André Dussollier que l’on a vu, bluffant, dans Diplomatie et dans le raté La Belle et la Bête) un peu poète et délicieusement imaginatif qui va lui compter sa vie remplie de miracles.
Le Petit Prince (Andrea Santamaria) et la Rose (Marion Cotillard qui a fait la voix du splendide Terre des Ours et Scarlett Overkill dans Les minions bien moins recommandable que Le Petit Prince du point de vue des idées)
Si le texte de Saint-Exupéry est intemporel, Osborne réussit néanmoins à ancrer les différentes thématiques de l’œuvre dans notre propre contemporanéité. C’est à la fois avec une grande liberté et un immense respect que le réalisateur effectue son adoption sur grand écran. D’un côté, peu d’aspect du livre sont laissés de côté et le texte est respecté avec une admiration presque religieuse. De l’autre, l’histoire parallèle de la petite fille et de l’aviateur y fait écho, actualisant et approfondissant son sujet à travers le vécu de celle-ci. Comme le roman, le film s’il enrobe de poésie de grands concepts a pour principal qualité de bien nommer les choses. Ce mélange de philosophie métaphorique et de conseils moraux fonctionne à merveille alliant l’émotion à l’intelligence. Là où notre société délaisse l’imaginaire constructif de l’utopie pour s’orienter vers une dictature de l’instant exaltant les pires sentiments, Le petit Prince prend le temps d’aiguiller vers l’essentiel. Si l’on ne voit bien qu’avec le cœur et que l’essentiel est invisible pour les yeux, il faut néanmoins savoir prendre le temps de regarder et de comprendre. Il faut même parfois prendre conscience de ses erreurs et en accepter les conséquences. C’est cela que nous rappelle l’ami renard (Vincent Cassel, également au casting de La belle et la bête) qu’il faut apprivoiser, la rose aimée (Marion Cotillard) qu’il ne faudrait pas abandonner et ce serpent (Guillaume Gallienne) qui s’il porte la finalité de la vie n’est pas une fin en soi tant que nous vivons, quelque part, dans un cœur tendre capable de nous voir sourire dans les étoiles.
La petite fille (Clara Poincaré) et l’aviateur (André Dussollier)
Le petit Prince est souvent considérée comme une œuvre enfantine, certes, mais riche d’enseignements pour les adultes également. L’œuvre de Saint-Exupéry fourmille de réflexions majestueuses sur l’amitié, sur l’amour, sur la vie et la mort, sur le fait de grandir. C’est un véritable appel à grandir sans vieillir. Et l’on ne peux réellement grandir sans prendre sa part de rêve et la partager. Et pour mieux le faire comprendre, pour mieux que l’on appréhende cette nécessité, Saint-Exupéry et Osborne à sa suite offre également une galerie de personnage à la fois terriblement tristes et détestables. Le petit Prince qui trouve toutes les grandes personnes qu’il rencontre « très très bizarres » dépeint avec ingénuité certains des pires travers d’une société qui reste, depuis 1943, date de sa première publication, traversée par les mêmes névroses, aggravées certainement par la main-mise néolibérale sur les esprits. Osborne fait donc du Businessman (Vincent Lindon, qui voit ici une continuité à La loi du marché) , l’ennemi suprême de l’enfance et de l’innocence. Il cumule, cumule, cumule. Rien d’autre ne l’intéresse que d’accumuler et rien d’autre ne le rend plus heureux que de priver les autres du peu qu’ils possèdent. Cependant, il ne semble même plus savoir d’où lui provient ce plaisir malsain. La seconde partie du Petit Prince, orientée autour de l’aventure propre de la petite fille est un hommage aux allumeurs de lampadaires, ces derniers se souciant d’autre chose que d’eux-même.
Le Petit Prince (Andrea Santamaria) et le Renard (Vincent Cassel)
Choix artistique inévitable mais assumé, Le petit Prince d’Osborne alterne les vues en animation 3D et les dessins aux allures d’aquarelle, faisant le lien entre le récit du vieil homme et celui de la petite fille. Les évocations du roman font œuvre théorique tandis que l’aventure de la jeune fille prouve par l’exemple l’importance des valeurs défendues. Le monde décrit par Osborne, aux maisons alignés, à la radio insipide, aux préoccupations déplorables est le nôtre. Au milieu de ce chaos organisé surgit un artiste, un aventurier qui fait écho au personnage historique de Saint-Exupéry, grand romancier mais également grand aviateur. La construction scénaristique du Petit Prince prend grand soin de brouiller les cartes entre la réalité et l’imaginaire. Ce qui a pour effet d’amplifier les effets dramatiques. Par exemple, si le sacrifice du Petit Prince est émouvante, c’est surtout l’idée qu’il puisse vivre perpétuellement dans le cœur de l’aviateur qui est tragique. D’autant plus, si l’on est, comme Saint-Exupéry, athée et que loin d’une conviction, cet aspect est une vue de l’esprit, un désir de croire qui nous libérerait davantage qu’un acte de foi. Cette confusion permet également de laisser notre imaginaire décider si la petit fille s’envole vraiment dans l’espace en aéroplane où si elle rêve. Comme si Osborne avait voulu tester notre capacité à l’émerveillement. C’est aussi un moyen ingénieux de faire de la planète du Businessman, un lieu à la fois ignoble, improbable, aliénant et pourtant tout à fait possible, porté en germe par les idéologies destructrices des adultes.
L’aviateur (André Dussollier) et la petite fille (Clara Poincaré)
Véritable pensée d’un monde à venir inquiétant, Le petit Prince, pose un constat pour mieux lui opposer des solutions. Ramenant nos préoccupations quotidiennes à l’essentiel, devenu invisible par aveuglement, le film propose une lecture moderne de la fable de Saint-Exupéry dont le vibrant message d’amour et de simplicité est plus que jamais d’actualité. Le petit Prince n’est pas un monarque universel, un tyran fut-il éclairé, c’est un Prince romantique, romanesque. Le film d’Osborne est une ode glorieuse à l’imaginaire, au réenchantement du monde.
Boeringer Rémy
Retrouvez ici la bande-annonce :
LES COMMENTAIRES (1)