Elevage : la politique du sparadrap

Publié le 25 juillet 2015 par Blanchemanche
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24 JUILLET 2015 |  PAR MARTINE ORANGEhttp://www.mediapart.fr/article/offert/13d8f4183184674b0ef32441468b0951Depuis des mois, les éleveurs n’arrivent plus à vivre de leur production. La chute des cours et la pression de la grande distribution sont les dernières manifestations d’une crise structurelle. Le modèle d’élevage défendu depuis les années 60 reposant sur l’endettement, la course au volume, la mécanisation à outrance, est à bout de souffle. Le gouvernement n’a aucune réponse réelle à donner. Les vieilles recettes de la communication politique sont épuisées. En annonçant le chiffre magique de 600 millions d’euros d’aide aux éleveurs, le gouvernement espérait bien éteindre rapidement la révolte des agriculteurs. Les premiers barrages qui étaient apparus à Caen ou à Saint-Malo ont été levés mercredi soir après l’annonce gouvernementale. Ceux de Lyon, en Auvergne ou dans le Poitou ont été levés le lendemain. Mais les manifestations et les violences sporadiques continuent partout.« Si les agriculteurs ont décidé de lever les barrages, c’est en raison d’une certaine fatigue. Ils sont là depuis lundi. Mais ils sont toujours aussi déterminés. Leur position est : "on lève pour l’instant mais on réfléchit pour la semaine prochaine" », expliquait à Mediapart Loïc Guines, président de la FDSEA 35, l’antenne syndicale régionale de la FNSEA en Ille-et-Vilaine, de retour du barrage de Saint-Malo mercredi soir. « Ce qu’ils ont entendu du gouvernement ne les satisfait pas. »Xavier Beulin, le président de la FNSEA, le syndicat majoritaire qui cogère la politique agricole française depuis les années 1960, s’était montré tout aussi dubitatif quelques heures auparavant.« Hier soir, le gouvernement était encore incapable de donner un chiffre. Ce matin, il a trouvé 600 millions d’euros. Mais dans les mesures annoncées, il y avait déjà beaucoup de dispositifs actés, comme le CICE, des allègements de charges. Nous attendons des mesures nouvelles, portant à la fois sur l’allègement des normes, la restructuration des dettes des agriculteurs, et de meilleurs contrats avec les distributeurs », expliquait-il.« Nous ne voulons pas d’autres subventions. Ce que nous demandons, c’est de pouvoir vivre de notre travail, d’obtenir un juste prix pour nos productions », dit Loïc Guines. Vivre de son travail : cette revendication est devenue le mot d'ordre du mouvement des agriculteurs. Le discours est nouveau et paraît prendre de court la FNSEA, qui a fait de la distribution d’aides et de subventions son fonds de commerce pendant des années. Cette évolution est saluée par tous les autres syndicats agricoles, qui demandent depuis longtemps des réflexions approfondies sur la politique agricole française.© ReutersCar cette révolte des éleveurs n’est pas que la énième manifestation du monde agricole, prenant d’assaut routes, préfectures, ou centres des impôts. Elle est aussi l’expression d’un monde en détresse, pris dans un modèle agricole à bout de souffle, face à un pouvoir politique empêtré dans ses contradictions. Décryptage.

  • COMMENT EST NÉE CETTE CRISE ?  
Le gouvernement ne peut pas feindre la surprise. Depuis des semaines, les connaisseurs du monde agricole ont multiplié les alarmes pour prévenir que la situation devenait explosive dans le monde agricole. Les exploitations pratiquant l’élevage sont quasiment toutes dans le rouge et les agriculteurs sont à bout, avaient-ils averti.De nombreux facteurs se sont additionnés au cours des derniers mois, créant un déséquilibre profond du marché, des surproductions et des baisses de prix. Le premier était attendu et redouté. À partir du 1er avril, les quotas laitiers, qui régissaient la politique laitière européenne depuis 1984, ont été supprimés. Depuis cette disparition, les principaux pays producteurs comme l’Allemagne et la France ont choisi de se discipliner et ont abaissé leur production (de 2 % pour la France, de 1,6 % pour l’Allemagne) afin de maintenir les cours. Mais d’autres ont au contraire augmenté leur volume de production, de façon parfois spectaculaire. La Hongrie a ainsi augmenté sa production de 8,2 %, la Tchéquie de 3,7 %, la Lituanie de 2,4 %, selon les statistiques européennes. La guerre du lait va bientôt commencer.Ces hausses de production interviennent à un moment où le marché laitier était déjà en déséquilibre, en raison d’abord de l’embargo contre la Russie à la suite du conflit ukrainien. L’arrêt des exportations des produits agricoles européens, décrété par Moscou à l’été 2014, a chamboulé le marché européen. Toutes les productions des ex-pays de l’Est exportées vers la Russie ont été réorientées vers l’Europe continentale. Cela a commencé par les pommes, puis le lait et la viande. Cette arrivée massive de produits, fabriqués à des prix moins élevés, a provoqué des surproductions et des baisses de prix. D’autant que dans le même temps, la Chine, présentée comme l’eldorado du marché mondial laitier, a diminué elle aussi ses importations laitières en raison de ses difficultés économiques. Pour l’Europe, la baisse est de plus de 30 % fin juin par rapport à l’année 2014.Résultat ? Le cours de la poudre de lait a baissé de plus de 10 % en quelques mois. Tous les pays, à commencer par l’Europe, mais aussi la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, qui avaient augmenté leurs productions en vue de répondre à la demande chinoise, se retrouvent en difficulté. Selon Gérard Calbrix, économiste de l’association de la transformation laitière, cité par Les Échos« rien ne permet de prévoir une amélioration du marché mondial avant l’été 2016 ».Les difficultés du marché laitier se sont répercutées par contrecoup sur le marché de la viande bovine, déjà mal en point. Afin de limiter les surproductions et d’endiguer la chute des cours, les producteurs de lait ont sacrifié des vaches laitières. Ce bétail, considéré comme de moins bonne qualité, est vendu à des prix très bas. Il est entré en concurrence avec d’autres productions et a engorgé le marché de la viande, déjà malmené alors que la consommation baisse. Depuis le début de l’année, les cours de la viande n’ont donc cessé de baisser et les éleveurs, en concurrence avec d’autres producteurs mondiaux qui n’ont pas les mêmes coûts de production et pas toujours les mêmes obligations sanitaires et environnementales, vendent à perte.
  • QUE DEMANDENT LES AGRICULTEURS ?
Tous les responsables agricoles se réfèrent à l’accord du 17 juin. Le gouvernement avait réuni à cette date une table ronde avec toutes les organisations agricoles, les industriels de l’agroalimentaire et la grande distribution afin d’établir un accord-cadre. Selon cet accord, le prix du bœuf comme celui du porc devaient augmenter de 5 centimes par kilo par semaine, jusqu’à ce qu’il atteigne un prix permettant de couvrir les coûts de production. La fédération nationale bovine estimait que le seuil minimum devait être autour de 4 euros le kilo, alors que les prix des marchés ne dépassaient pas les 3,6 euros.Alors que le mouvement de révolte prenait de l’ampleur, le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll a demandé la semaine dernière au médiateur  des relations commerciales, Thierry Amand, d’établir un rapport d’étape pour vérifier l’application de cet accord. Selon le médiateur, cet accord n’a été que partiellement mis en œuvre, chaque acteur l’appliquant au mieux de ses intérêts. Dans les abattoirs, des hausses ont été appliquées mais sans jamais aller jusqu’aux 5 centimes prévus, dans « des proportions variables selon les régions d’abattage et les catégories d’animaux abattus ».Cette analyse est contestée par les professionnels du secteur. Le président de la Fédération nationale de l’industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV), assure que l’accord est respecté. Le Syndicat national des industries de la viande (SNIV) affirme de son côté que les abattoirs continueraient d’augmenter les prix payés aux éleveurs, mais sans aller immédiatement jusqu’au niveau fixé en juin, pour rester « dans la limite » de leurs moyens. Tous mettent en avant les difficultés actuelles de leur profession, qui doit faire face au dumping social des abattoirs allemands et espagnols.La grande distribution, qui représente 54 % des débouchés du marché, a officiellement accepté les hausses. Mais si « les distributeurs ne se sont pas frontalement opposés à la hausse », ils « n’ont pas forcément joué un rôle dynamique en ce sens », précise le rapport.  Avant d’ajouter : « De nombreux distributeurs se seraient ainsi fournis auprès d’abatteurs-découpeurs ayant remporté les marchés en cassant les prix par des approvisionnements auprès d’éleveurs contraints de brader leurs bêtes. »Aucun nom n’est cité dans le rapport. « Mais nous allons enquêter sur le terrain pour vérifier l’application de l’accord », a prévenu Xavier Beulin. Sur le terrain, les éleveurs eux ne peinent pas à donner des noms. Pêle-mêle, ils ciblent le groupe Bigard, qui détient 40 % du marché de l’abattage en France, connu pour vendre de la viande sous le nom de Charal, des industriels comme Fleury-Michon ou Cochonou, les enseignes de distribution Carrefour ou Auchan.

  • QUI GAGNE DE L’ARGENT ?
Il y a un mystère sur le marché de la viande : officiellement, personne n’y gagne de l’argent. C’est l’analyse, en tout cas, qu’a livrée  Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 8 juillet dernier. Selon lui, toute la chaîne est mal en point. Les éleveurs sont « structurellement déficitaires et n’arrivent plus à couvrir leurs coûts de production ». Les abatteurs se disent à la peine, préfèrent fermer et aller faire abattre les bêtes en Allemagne, comme l’a illustré la faillite de Gad. La grande distribution, cette grande miséreuse qui permet pourtant de faire des milliardaires en une génération, aurait des marges négatives dans ses rayons boucherie comme dans la boulangerie.« Le seul bénéficiaire du système, finalement, est le consommateur mais qui ne s’en rend pas compte, car ses modes de consommation ont changé », a soutenu Philippe Chalmin lors de son audition. Evolution des prix de la viande à la consommation © InseeLes statistiques de l’Insee disent autre chose. Le prix du bœuf, acheté à l’éleveur, référencé sur l’indice 100 en 2005, est à 105 en mai 2015. En d’autres termes, le prix d’achat du bétail est resté le même sur dix ans. Même s’il y a de bonnes années, les éleveurs ont été dans l’incapacité de répercuter l’augmentation de leurs coûts de production et d’obtenir une hausse durable sur une longue période. Pourtant, sur la même période, les prix de la viande bovine à la consommation ont augmenté de plus de 35 %, toujours selon les chiffres de l’Insee.Ces différences d’appréciation illustrent l’opacité qui règne sur la filière de la viande, marché qui n’a jamais été réputé pour sa transparence. De nombreuses structures du monde agricole – abattage, transformation – prospèrent dans ce brouillard. Derrière l’appellation commode de coopérative, qui permet de ne pas rendre de comptes, se sont construits parfois des géants de la transformation du lait (Lactalis par exemple) ou de la viande (Bigard).Une chose est sûre : à chaque étape – marchand de bestiaux, abattage, grossiste, etc. –, chacun prend sa dîme. « Nous ne touchons même pas l’équivalent de 10 % du prix final. Autrefois, dans les bonnes années, il a été possible d’aller jusqu’à 15 %. Aujourd’hui ce n’est même plus envisageable », dit Loïc Guines. « La seule façon d’obtenir un prix correct qui rémunère notre travail est de faire des produits de qualité et de passer par les circuits courts », raconte Michel Noirault, éleveur de charolais dans le Poitou. En passant par des circuits courts, les éleveurs peuvent obtenir des prix 30 à 50 % plus élevés que les prix du marché et le consommateur, lui, paie moins cher. Mais ces circuits ne sont pas encore très développés. « Cela demande beaucoup de temps et d’énergie, de nouvelles connaissances pour mettre ces systèmes en place », dit Michel Noirault. De plus, de nombreux abattoirs municipaux ont disparu, les  professionnels de la découpe se font rares, ce qui complique encore l’instauration de ces circuits parallèles.Les débouchés les plus aisés restent donc la grande distribution et la restauration collective. Arrivées à saturation, les grandes enseignes se sont lancées à partir du milieu des années 2000, à l’initiative de Leclerc, dans une guerre des prix et des parts de marché. Dans cette bataille, la viande figure comme un produit d’appel pour attirer la clientèle. Elles exigent donc des prix toujours plus bas, toujours plus racoleurs.Difficile de résister quand les enseignes du coin, qui ont désormais un quasi-monopole sur le marché du fait de la disparition des commerces traditionnels, exigent des prix bradés, en agitant la menace d’aller s’approvisionner ailleurs. Le rapport de force est encore un peu déséquilibré depuis la loi LME (loi de modernisation de l’économie) en 2008. La notion de vente à perte a disparu, les marges avant, arrière, etc. subsistent toujours. Les grandes enseignes ont le droit de s’installer librement dans les centre-villes, détruisant un peu plus le tissu commercial traditionnel, et ont eu le droit de regrouper leurs forces d’achat. « Ils sont quatre [Carrefour, Casino-Intermarché, Auchan système U, Leclerc – ndlr] à acheter sur le marché de la viande. Eux, ils ont le droit de se regrouper. Par contre, quand deux coopératives veulent s’allier pour discuter des contrats de vente ou commercialiser ensemble leurs produits, elles n’ont pas toujours le droit de le faire », relève Loïc Guines.Le rapport de force n’est guère meilleur dans la restauration collective. Le moins-disant est la règle des acheteurs de ces groupes de restauration collective, comme Sodexho ou Elior, qui ont fait une razzia sur toutes les cantines scolaires, hôpitaux, administration…, comme il l’est chez McDonald's ou Quick. Une grande partie de leur approvisionnement est importée. Et quand ils achètent auprès des éleveurs français, ils exigent des alignements sur les prix les plus bas, en faisant miroiter les volumes.
  • LE MODÈLE EST-IL ENCORE VIABLE ?
La colère, le désespoir, le dégoût dominent chez les éleveurs. « Qu’est-ce qui justifie de ne pas gagner sa vie grâce à son travail ? On aligne les heures, les jours, et on a le droit de vendre à perte. Il n’y a pas un système qui peut subsister avec une telle destruction de valeur », dit Michel Noirault.La révolte est d’autant plus grande chez les éleveurs qu’ils ont le sentiment d’avoir été les élèves appliqués de la modernisation agricole, d’avoir suivi à la lettre les règles prescrites par la politique agricole commune, sous les encouragements des politiques français et de leur syndicat. Fortement incités par les primes distribuées dans le cadre de la PAC (130 euros par vache, de 50 à 175 euros par taureau ou par bœuf), ils se sont agrandis, modernisés. De 50 vaches, ils sont passés à 100, de 100 hectares, ils sont allés à 200 hectares.undefinedEntre le foncier et les équipements mécaniques rendus nécessaires pour faire face aux agrandissements, les exploitations agricoles sont devenues d’une intensité capitalistique extrême, comparable aux industries manufacturières. Les exploitants se sont lourdement endettés pour mener cette transformation. Les banques, Crédit agricole en tête, les structures coopératives très liées à la FNSEA, ont fait les avances. En contrepartie, celles-ci les ont poussés à faire toujours plus de volume, à obtenir toujours plus de rendement. Le Crédit agricole allant jusqu’à lier ses prêts à l’obligation de recourir aux tourteaux de soja et de maïs plutôt qu'à l’herbe, afin d’augmenter les volumes de production.Tout cela a accru encore les coûts fixes. Entre les frais financiers, les charges d’alimentation dépendant de cours mondiaux, les produits phytosanitaires, les frais de culture, la nécessité de se mettre aux normes, les paysans ont plus de 70 % de charges fixes quasiment incompressibles, s’ils veulent garder ce modèle. Des charges toujours en augmentation, mais dont ils ne peuvent plus répercuter les hausses dans les prix de vente.Dans l’espoir d’amortir les coûts fixes, les éleveurs se sont lancés dans une course au volume, au raccourcissement du temps. De même que l’industrie avicole a mis au point les poulets industriels élevés en six semaines, les éleveurs vendent du bœuf de 21 mois, qui voit rarement l’herbe et encore moins la prairie, afin d’obtenir une plus grande rotation. « Le marché est encombré par ces bœufs de 21 mois dont personne ne veut », dit Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, le deuxième syndicat agricole très opposé à la ligne de la FNSEA. « Ce que nous connaissons, c’est une crise du productivisme. Il y a trop de lait, de viande. Il faut réduire la production et revenir à des modes de production plus raisonnables, plus respectueux de la nature », dit-il.La grande majorité des éleveurs est très loin de cette analyse. Tous, cependant, arrivent au constat qu’ils sont dans une impasse. La course au volume, qu’ils ont assumée au prix d’une surcharge de travail, d’une pénibilité accrue, les a menés au bord du gouffre. Beaucoup se sentent à la limite de tout. Ils n’arrivent même plus à vivre de leur travail. Les primes de la PAC qui assuraient il y a encore l’essentiel des revenus d’exploitation ne suffisent plus désormais pour absorber les hausses des charges fixes et la baisse des prix de vente. « En 2013, 50 % des éleveurs de porc de la région étaient encore au-dessus de zéro, ils ne sont plus que 15 % en 2015. Les éleveurs de bovins perdent, eux, tous de l’argent. Les producteurs de lait gagnent à peine 15 000 euros par an, c’est à peine 1 000 euros par mois pour un travail 7 jours sur 7 », dit Loïc Guines. Plus de 200 000 exploitations sont surendettées et parfois au bord de la faillite.Certains ont jeté l’éponge. Les autres abandonnent l’élevage pour les cultures céréalières beaucoup moins contraignantes et plus rémunératrices. Entre 2000 à 2010, 34 % d’exploitations laitières et 27 % des exploitations de vaches à viande ont disparu, selon les chiffres du ministère de l’agriculture.
  • QUE PROPOSE LE GOUVERNEMENT ?
Dans l’urgence,  Stéphane Le Foll a annoncé 600 millions d’aides, essentiellement sous forme d’allègement de charges, de cotisations sociales. Il propose aussi de monter une cellule avec le médiateur du crédit pour venir au secours des éleveurs surendettés. Au-delà, sa grande idée est de soutenir le label français, en renforçant l’étiquetage, en obligeant les collectivités locales à acheter français, en promouvant la qualité française à l’étranger. « Lors de la réunion du comité viande, il nous a été annoncé que le gouvernement allait soutenir la qualité de viande à l’étranger. Il nous a été dit qu’Harlem Désir [secrétaire d’État aux affaires européennes – ndlr] était parti en Grèce pour y trouver des marchés pour les éleveurs français, et que les ambassadeurs étaient mobilisés pour faire la promotion de la viande française », raconte Laurent Pinatel, mi-goguenard, mi-affligé.En gros, le gouvernement, confronté à une crise structurelle majeure, choisit la politique du sparadrap. Aucune ligne ne se dégage à  court terme pour comprendre les dysfonctionnements majeurs de la filière, ou à long terme sur le modèle agricole qu’entend défendre la France à l’avenir. Ainsi, une nouvelle fois, le gouvernement a décidé de fermer les yeux sur les pratiques opaques de la grande distribution, dont il faudra bien un jour faire le bilan tant les destructions de valeur s’enchaînent sur son passage. De même, il n’a pas soufflé un seul mot sur la politique de distribution des aides de la PAC, réclamée par de nombreux paysans avec la suppression des quotas laitiers.« Il ne s’agit pas demander plus de subventions. 10 milliards d’euros [dans les faits 11,5 milliards – ndlr], cela suffit largement. Mais de savoir comment on les répartit », dit Laurent Pinatel de la Confédération paysanne. Est-il logique de continuer à subventionner les grands céréaliers comme ils le sont aujourd’hui ? Ne faut-il pas faire qu’une seule prime pour l’élevage, que ce soit laitier ou pour la viande ? Ne faut-il pas plafonner les aides au-delà d’un certain nombre d’hectares ou de bêtes ?Mais pour cela, le gouvernement doit avoir une vision de l’agriculture, dire ce qu’il entend défendre, le modèle de la ruralité qu’il souhaite promouvoir, combien de paysans il souhaite à l’avenir. La crise structurelle que connaît l’élevage français peut être le moment pour remettre tout à plat. Mais pour l’instant, le président de la République et le premier ministre, qui se sont emparés du dossier, tiennent un discours fait d’ambigüité et de faux-semblants, d’injonctions paradoxales, entretenant l’idée que tout peut continuer comme avant.La main sur le cœur, ils vantent la qualité française, en jouant sur l’image d’Épinal de la paysannerie française, pour l’instant d’après, parler d’une agriculture exportatrice, en concurrence sur les marchés mondiaux très volatils et fortement concurrentiels. De même, ils prônent l’instauration de revenus complémentaires grâce à la diversification, apportant leur soutien notamment aux projets de méthanisation. En creux, cela signifie la multiplication des fermes à 1 000 vaches, une culture industrielle hors sol de grand volume,  polluante et dégradant la nature, de très faible qualité. Et dans le même temps, François Hollande ne cesse de parler de l’urgence climatique, de la nécessité de mener une transition énergétique et environnementale, de retrouver un mode de consommation plus respectueux des hommes et de la nature. Qui croire ? Le François Hollande du matin ou celui de l’après-midi ? Au vu des enjeux, il serait temps de joindre les actes à la parole, d’engager l’agriculture dans un modèle durable.