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Suite à la tempête Xynthia, en 2010, l’État a revu les plans de prévention des risques littoraux (PPRL). Un principe de précaution qui fige l’immobilier, véritable pépite d’or de l’île, et divise les Rétais.Un vendredi matin, dans la charmante mairie de La Flotte, à quatre semaines des élections municipales. Derrière les murs de pierre blonde, il y a de la tension dans l’air. Au détour d’un couloir, Léon Gendre, inoxydable édile élu sans discontinuer depuis 1977, en lice pour un septième mandat, est soucieux. Une affaire de chaussée et de pavés à remplacer. Le maire presse ses équipes:«Il faut faire vite, sinon l’autre va chercher à en profiter!» L’autre, c’est Jean-Paul Héraudeau, 56 ans, gérant du Tabac du Port, ancien premier adjoint, tête de l’unique liste d’opposition et… cousin du maire. Depuis sa candidature aux élections municipales de 2008, les deux hommes ne se parlent plus.
C’est que Léon Gendre, pas du genre modeste, n’aime pas la contestation… «Avec moi, c’est silence dans les rangs!» tonne M. le maire. Membre de l’UMP, conseiller général, il se dépeint volontiers comme un gaulliste viscéral et règne tel un Bonaparte sur sa commune de 2 949 âmes. En trente-six ans, il a fait de La Flotte un modèle d’urbanisme. Prisée des artistes, des politiques et des hommes d’affaires, qui ont largement contribué à faire de l’île de Ré
ce qu’elle est aujourd’hui-un des lieux les plus cotés de la façade atlantique -, sa coquette commune est répertoriée au catalogue des plus beaux villages de France. Elle compte tout de même 200 logements à habitat modéré, et 27 en cours de construction:un record sur l’île et une indéniable réussite architecturale. Le maire, qui ne rechigne pas à faire le tour du propriétaire au volant de sa vieille XM, n’est pas peu fier du travail accompli. Le doute, il ne connaît pas:«Ma carrière politique est une réussite. J’ai bâti un modèle, le “concept Gendre”, un cocktail de protection de ce village historique, de défense des zones naturelles. J’ai développé une économie très forte. Et maintenant, je relance l’agriculture grâce à notre pomme de terre certifiée. Il vaut mieux planter des légumes que des parpaings! C’est ma ligne depuis 1964 et, si c’était à refaire, je ne changerai pas un iota!»«Les patates, c’était mon idée!» s’étrangle le cousin Héraudeau. «Vous savez, Léon Gendre, c’est vraiment un personnage à la Pagnol. Il a fait beaucoup de bonnes choses pour sa commune et pour l’île. Mais il est temps pour lui de tourner la page. Il est déconnecté, isolé des autres maires, alors que la survie de l’île de Ré dépend entièrement de notre solidarité», poursuit-il.
Depuis Xynthia, tout a changéEn clair: l’union sacrée derrière
Lionel Quillet ,«le patron» comme l’appellent ses fidèles. Et ils sont nombreux:l’énergique président de la communauté de communes a su fédérer les dix maires de l’île, à l’exception de l’orgueilleux Léon Gendre, qui présida l’organisme intercommunal jusqu’en 2008.
Candidat à sa propre succession à la mairie de Loix (727 habitants), Lionel Quillet est assuré d’être réélu pour la quatrième fois d’affilée puisque aucune liste ne s’est constituée face à lui. Sa nomination à la tête de la communauté de communes est également probable car, dans cette campagne, tout le monde le soutient, les élus comme leurs opposants. Ainsi à Saint-Martin, capitale historique de l’île où Henry-Paul Jaffard, ancien adjoint, se présente face au maire Patrice Déchelette. Ou à Sainte-Marie: Jacques Boucard, l’ancien maire PS de la plus grosse commune de l’île (3278 habitants), partage avec Gisèle Vergnon, l’actuelle maire, le soutien à Lionel Quillet. Un consensus s’est fait autour de sa personne avec la montée en puissance de la «CdC». L’organisme a bénéficié du transfert de compétences clés comme la gestion des déchets (une gageure dans ce territoire dont la population passe de 18.000 personnes en
hiver à 140.000 au plus fort de l’été), les crèches, et surtout l’aménagement du territoire.
Deux camps se font face
Entre Léon Gendre et Lionel Quillet, ça n’est pas franchement le grand amour. Les élus rivalisent de vachardises avec un art consommé de l’autocélébration. Gendre: «Je ne serai jamais le porte-parole d’une autre politique que la mienne. C’est toute la différence entre Lionel Quillet et moi.» Quillet: «Nous ne sommes pas de la même génération. Léon Gendre n’a pas compris que l’avenir de l’île se joue à la communauté de communes.»Sans doute n’y a-t-il pas assez de place sur l’île pour ces deux fortes têtes… Mais il se joue entre eux bien plus qu’une simple bataille de clochers. Ce qui divise les deux maires relève de la question majeure, celle qui est dans toutes les têtes depuis la tempête Xynthia, événement majeur de ces dernières années après l’inauguration du pont, en 1988. A savoir: l’aménagement de ce petit territoire où la terre vaut de l’or, surtout quand elle est située dans une zone constructible. Et celles-ci sont rares. Depuis l’adoption du «schéma de cohérence territoriale», en décembre 2012, l’île ne compte plus que 20% d’espace urbanisable autour des dix communes. Le reste, classé en espaces naturels et agricoles, est définitivement protégé de l’urbanisation.Dans l’île de Ré, deux camps se font face. Léon Gendre en tête, le premier milite pour un encadrement strict de l’urbanisation sur le thème «l’île est arrivée à un point de saturation». Le second, dont Lionel Quillet est le champion, est favorable à une interprétation plus souple: surtout, ne pas étouffer l’immobilier, la poule aux œufs d’or de l’île. Or, depuis le 28 février 2010, tout a changé.
Ce jour-là, Xynthia se déchaîne sur l’île de Ré. Posée au ras des flots - son altitude moyenne est de 5 mètres - la petite langue de terre paye le prix fort: deux morts dans la commune de La Flotte, 1400 maisons sinistrées, 2400 hectares inondés, 64 digues endommagées: 165 millions d’euros de dégâts. Une vraie claque. «Quand on s’est réveillé les pieds dans l’eau, il y a eu une solidarité phénoménale», se souvient Lionel Quillet. Xynthia est un vimer: une tempête conjuguée à une forte marée, entraînant montée des eaux et submersion des terres. L’île de Ré en a connu 57 en 400 ans. Le dernier datait de 1941. Depuis, l’entretien des digues laissait à désirer…Au niveau national, Xynthia a généré une prise de conscience et l’État a été conduit à revoir les plans de prévention des risques littoraux (PPRL), qui réglementent l’utilisation des sols en fonction des risques auxquels ils sont exposés. Sur l’île de Ré, on dit, d’un air entendu, «le pépé-airelle». Il est dans tous les esprits depuis le 11 juin 2013, date de sa publication.Ce jour-là, un coup de tonnerre a sonné dans le ciel des Charentes. Car le document, fondé sur une carte de projection des risques en cas de tempête «type Xynthia+20 centimètres» entraîne l’impossibilité de construire sur la quasi-totalité du canton nord de l’île et sur une bonne partie du canton sud. D’après la communauté de communes, plus de 13.500 propriétaires se retrouvent confrontés à une interdiction absolue de construire. Dénonçant «une vision apocalyptique du risque de submersion marine», Lionel Quillet prend la tête de la fronde des élus. Le document, estiment-ils avec lui, est la mise en œuvre bornée du principe de précaution et risque, à terme, de tuer l’économie de l’île, d’entraîner sa désertification. Vision contre vision, Lionel Quillet défend auprès de l’Etat une projection moins catastrophiste, avec des digues restaurées et plus élevées. Une nouvelle carte de projection des risques est attendue pour le printemps prochain.
Entre-temps, des associations de propriétaires mécontents se constituent. «L’État n’a aucunement pris en compte l’existence des digues, on se retrouve au XIVe siècle», pestent Francis Pelissier et Gérard Regreny, le président et le vice-président de l’association Ré-Veille, qui compte 200 propriétaires immobiliers, surtout dans le canton nord de l’île. Attablés dans le café L’Emeraude, aux Portes-en-Ré, ils s’expliquent: «Depuis le printemps dernier, l’immobilier est figé. Des terrains qui valaient jusqu’à 700 euros le mètre carré valent maintenant le prix d’une terre agricole… Et encore, plus personne n’est capable d’estimer leur valeur. Le pire, c’est que des propriétaires payent toujours l’impôt sur la fortune!»
Plus de 600 entreprises dépendent de l’immobilier
Comment transmettre un héritage équitable, assurer un avenir pour leurs enfants si l’économie entière de l’île est bloquée? Plus de 600 entreprises de l’île de Ré sont tributaires d’une vente de terrain ou de la construction d’une maison, affirment-ils. Avant de conclure: «Nous faisons confiance à nos élus pour que les 20% d’espace urbanisable soient de nouveaux ouverts à la construction…» En cette période électorale, la déclaration a comme un air de mise en garde.Message visiblement entendu par certains élus qui, au mépris de l’interdiction administrative, continuent de signer des permis de construire. Lesquels sont portés devant le tribunal administratif de Poitiers par la préfecture de Charente-Maritime. Le 18 février, le tribunal suspendait ainsi cinq permis délivrés par le maire des Portes-en-Ré au motif qu’ils se trouvent dans un terrain «soumis à un risque de submersion».
Des décisions qui ne satisfont pas seulement Léon Gendre. Pierre Bot, le président de l’association des Amis de l’île de Ré, fait partie des Rétais qui veulent freiner l’urbanisme sur l’île. «C’est parce qu’il a déjà construit partout où il pouvait. Il ne veut pas de nouveaux voisins», disent les mauvaises langues. Pierre Bot partage avec Léon Gendre le fait d’être peu apprécié des édiles… Comme le maire de La Flotte, il estime qu’il faut prendre en compte les capacités d’accueil limitées de l’île, réduire au minimum les possibilités d’urbanisation et trouver d’autres domaines de développement économique que la construction. Un constat que partage
Jacques Toubon. Rétais d’adoption, propriétaire d’une maison aux Portes depuis 1979 et membre de l’association des Amis de l’île de Ré, il se méfie ouvertement de l’appétit des maires en la matière. «Il est probable, estime l’ancien garde des Sceaux, que les élus fassent ce que leurs concitoyens attendent d’eux, c’est-à-dire leur permettre de valoriser leurs biens constructibles…»Exactement le point de vue qui énerve les habitants de l’île «à l’année», peste Léon Gendre. «Des gens d’ici sont devenus riches, très riches. Ils sont assis sur un tas d’or. Et ils en veulent toujours plus! Ils ne supportent pas que des étrangers les empêchent de gagner encore plus d’argent. Eh bien moi je leur dis que ça n’est pas très élégant de cracher sur ceux qui ont fait l’île de Ré et qui la font vivre: les résidents secondaires.» Dans les années qui viennent le maire de La Flotte a bien l’intention de poursuivre sa politique,
seul contre tous. A moins que, le 23 mars, son cousin ne lui prenne la place. Il est pro-Quillet.
http://immobilier.lefigaro.fr/article/l-immobilier-de-la-discorde-a-l-ile-de-re_04f423d4-a453-11e3-9f45-973bafb5cc35/