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(anthologie permanente) Françoise Louise Demorgny

Par Florence Trocmé

Les éditions Isabelle Sauvage publient Rouilles de Françoise Louise Demorgny.  
 
La louise se fait rattraper par la ferraille sur le déjà tard de sa vie. Quand elle attaque son troisième cheval. Elle a adopté la formule d’Erri de Luca qui dit qu’une vie d’homme équivaut en gros à celles de trois chevaux. Une vie de femme itou, se dit la louise.  
Passées les années actives, où elle s’affaire à poser sa vie, son cœur, ici, ailleurs, puis là à Vaneilles. Loin de l’Ardenne, loin de l’usine, loin des champs. Loin du curé.  
Belles années par dizaines. Années de papier, de livres et cahiers, odeur de colle fraîche. Années de bois, de planches, copeaux, sciure aux essences si souvent respirées qu’elle les différenciait à l’aveugle dans les cheveux du menuisier.  
Mais de ferrailles, très peu. Ou invisibles à ses yeux.  
 
 
Elle vient d’un pays de fer, de fonte.  
De pluie. 
De rouille.  
La rouille qui se forme, la rouille neuve est orange, elle colore les doigts. C’est son henné de petite fille du Nord qui ne connaît pas le henné. 
La louise petite ramasse un bout de chaîne à vache qui marine dans un fossé et joue avec jusqu’au soir. Ses mains sentent une odeur de froid, fascinante, c’est loin du sucré des lilas, loin du fauve de la fourrure du chat 
(p. 14 et 15) 
 
○ 
 
Nos tissus ne tiennent guère. 
Des mailles filent, des chaînes se dénouent, des fluides stagnent, se rompent.  
On reprise, on renforce, on soigne, on bouche, on veille, surveille, rabiboche et renoue. 
À colmater sans fin les brèches, à rétablir le courant, à rebrancher les désirs, à activer les qui-vive, la lassitude chemine. On passe une frontière. Voici le point de non-retour. 
Il y a dans les rouilles outrepassées quelque chose d’apaisant, comme une défaite heureuse, un abandon ultime 
(p. 46) 
 
○ 
 
Les rouilles infimes, informes que recueille la louise taisent souvent leur histoire.  
Voici une clé sans sa porte 
une serrure sans sa clé 
la mâchoire édentée d’un piège à renard 
un seau sans fond 
une anse de chaudron qui fait le grand écart dans le vide 
Voici une lame de couteau 
l’oreille d’une bassine 
le manche d’une louche.  
Toutes abritent des histoires dont le fil s’est perdu. Elles ne s’incarnent plus dans des visages. Ne sont plus amarrées à des prénoms.  
Voici peut-être la clé de la grange de Firmin, le couvercle de la bouilloire de Léonie. 
La louise les garde toutes près d’elle, dedans, dans son champ de vie. Quelque part. Les laisse à leur destin. Ne réveille pas toujours leurs histoires.  
(p. 55) 
 
Françoise Louise Demorgny, Rouilles, éditions Isabelle Sauvage, 2015.  
 


Éléments de bio-bibliographie : 
Françoise Louise Demorgny est née en 1946 dans les Ardennes. Rouilles est son premier livre publié.  


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