Ce sont des entités fantomatiques généreuses et accueillantes quoiqu’un peu disparates qui ont élu domicile dans le premier EP d’Event Cloak. Dès les premières secondes, un tourbillon incessant de longs souffles sur nappages analogiques happe le flâneur avide de spiritualité. Des mirages sonores se forment et se déforment, s’entrechoquent et subsistent avant de disparaître à nouveau. Tous naissent de l’esprit de l’enchanteur Nick Maturo alias Event Cloak. Gardien de la synthwave avant-gardiste à la sauce montréalaise depuis quelques années, il développe son modus operandi au sein de l’excellent label Orange Milk Records, dirigé par Seth Graham et Keith Ranking (Giant Claw). L’artiste, avide de sensations nouvelles et de pureté sonore a fait de l’enregistrement de Life Strategies, son premier EP sorti en mai 2015, une expédition quasi mystique. Un démembrement de la texture et du son réduit à leur pure nature.
La ballade initiatique dans l’univers des spectres et autres formes désincarnées s’ouvre sur le morceau Everything Must Go, souffle infini tantôt caressé par des chants hypnotiques puis transpercé par des notes de piano transmuant les battements du cœur en palpitations haletantes. C’est un couloir de plaisirs inattendus et divers, du shoot d’endorphines à la dose de calmants qui se dessine devant nous. Event Cloak aime ça, nous secouer en nous faisant passer d’un état émotionnel à un autre, mais sans jamais abuser des effets sonores. À son bon plaisir, il se plaît donc à réitérer l’expérience plusieurs fois à travers ce EP, notamment avec le titre False Positive. Ici, le Québécois installe une certaine tension due aux accumulations et aux croisements de couches sonores; un voyage entre espoir et attente, entre mélodies sacrales et solaires.
Life Strategies, morceau du même nom que celui de l’album est un parcours initiatique ascensionnel où l’on nous pousse vers l’au-delà tout en nous berçant de douceur. Minor Somebody suit la même logique, elle est une profonde montée des plaisirs qui nous dépose, au bout du fil, à un endroit où les voix éthérées s’entremêlent autour de modulations électroniques. Des vagues électroniques s’entrechoquent et se séparent dans notre esprit pour que l’on en retienne finalement le principal : la pureté et la clarté de ce morceau. Nick Maturo travaille les sons avec une délicatesse infinie, il les fait flotter à la manière des êtres qu’il veut que nous imaginions à l’écoute de son effort. Cependant, les spectres peuvent aussi s’avérer résistants et rebelles, leurs souffles dérèglent les boîtes à rythmes et font s’emballer la technologie dans le morceau clôturant le chef d’œuvre céleste d’Event Cloak, Situation Comedy, titre aux mélodies version Arcade Game dopé.
Si le musicien montréalais excelle dans la représentation physique de l’espace et de l’air, il sait également retranscrire son univers et le fruit de son subconscient à travers des vidéos aux visuels extatiques. Son ami Rob Feulner y est pour beaucoup. Admirateur des multiples possibilités visuelles qu’offre la VHS, il ressuscite un film original dans la vidéo Life Strategies en y ajoutant des interférences liées à l’enregistrement de cassettes. Ici, les personnes se décuplent, puis disparaissent, forment des tâches évanescentes d’acides. Elles sont comme la musique d’Event Cloak, intrigantes et insaisissables. A une différence près, Nick Maturo est bien un mortel. Un mortel qui arrive à transformer l’anxiété en légèreté et qui nous emporte ainsi dès son premier disque.